En partenariat avec les sites Critique-Film et EcranNoir, qui proposent pour les 70 ans du festival, 70 textes pendant les 70 jours précédant la 70e édition.
Cinezik y contribue par ses décriptages concernant les musiques de films du festival.
La musique de film n'est pas un métier, ni une vocation, mais est la conséquence de rencontres et de circonstances qui amènent tel musicien à rencontrer une image. Après un parcours pour la scène, certains ont franchi un cap qui les lient exclusivement au cinéma au point de faire oublier leur première activité. C'est le cas de Danny Elfman que l'on associe au cinéaste Tim Burton en oubliant qu'il était d'abord leader du groupe de New Wave Oingo Boingo. C'est d'ailleurs pour un film très rock qu'on le retrouve à Cannes pour son unique présence en compétition ("Hôtel Woodstock" d'Ang Lee). C'est la même chose pour Cliff Martinez qui était batteur des Red Hot Chili Peppers avant d'être identifié comme le compositeur de Steven Soderbergh (palme d'or en 1989 avec sa première B.O, "Sexe, Mensonges et Vidéo", puis en compétition de nouveau en 1993 avec "King Of The Hill") et il est surtout dernièrement associé à Nicolas Winding Refn (3 films en compétition : "Drive", "Only God Forgives" et "The Neon Demon" l'année dernière). Le japonais Ryûichi Sakamoto a conçu des albums de musique électronique à partir de 1978 avant de fréquenter le Festival de Cannes, lui aussi dès son premier film, en 1983 (pour "Furyo" de Nagisa Ōshima, qu'il retrouvera à Cannes avec "Tabou" en 2000). C'est également à Cannes que l'incontournable Hans Zimmer fait ses débuts au cinéma. Alors membre - au synthé - du groupe The Buggles (avec le fameux "Video Killed the Radio Star"), il est en compétition du festival en 1984 avec "Success Is the Best Revenge" de Jerzy Skolimowski. Il sera ensuite 5 fois présent en compétition dont "Rangoon" de John Boorman en 1995. Cannes est ainsi toujours à la pointe des futurs talents musicaux.
Alors que Danny Elfman, Cliff Martinez ou Hans Zimmer ont complètement fait le deuil de leurs travaux solo ou de groupe, Sakamoto continue les deux activités conjointement avec une égale popularité. De plus, les compositeurs de cinéma renouent depuis quelques temps avec la scène (Ennio Morricone, Michel Legrand, Vladimir Cosma, et même Danny Elfman) en jouant leurs bandes originales en concert avec de nouvelles orchestrations (et en glissant quelques oeuvres personnelles), une manière pour eux de renouer avec leur statut de compositeur exclusivement en sortant du contexte filmique, et ainsi surmonter ainsi quelques frustrations. A ce propos, Hans Zimmer est en concert à Paris Bercy le 11 juin 2017. Malgré ces présences scéniques, leur nom demeure associé au cinéma.
Parmi les musiciens dont la belle réputation au cinéma prend le relai d'une carrière d'albums, il y a souvent une belle rencontre avec 1 ou 2 cinéastes privilégiés. On peut citer Lim Giong qui est passé de la musique électronique à Taïwan à une collaboration avec Hou Hsiao Hsien et Jia Zhang Ke (en compétition 5 fois avec ces deux cinéastes, de "Goodbye South, Goodbye" en 1996, sa 2nd B.O, à "The Assassin" en 2015). Nick Cave et Warren Ellis (associés sur les albums du chanteur australien) ont commencé au cinéma avec John Hillcoat ("Ghosts... of the Civil Dead" en 1988, puis en compétition à Cannes avec "Des hommes sans loi" en 2013) alors que le violoniste s'est émancipé avec le succès que l'on connaît pour "Mustang" (Quinzaine des réalisateurs, et le César à la clé). On le retrouve d'ailleurs cette année à Un Certain Regard avec "Wind River" de Taylor Sheridan. Jonny Greenwood, guitariste et membre actif du groupe de rock Radiohead, s'est fait connaître au cinéma avec Paul Thomas Anderson ("There Will Be Blood" en 2007), mais c'est pour Lynne Ramsay qu'il est venu à Cannes ("We Need To Talk About Kevin" en 2011).
Tout en étant un compositeur au sens large, et parfois musicien de scène comme nous venons de le voir, tout musicien n'est pas capable pour autant de devenir un compositeur pour le cinéma. Ce travail de musique à l'image implique des considérations et des compétences qui ne sont pas exclusivement liées à la composition elle-même, mais aussi à la compréhension du film, aux enjeux du récit... les compositeurs qui se consacrent exclusivement à cette activité peuvent ainsi par expérience et savoir-faire apporter leur compétence à un réalisateur pour le soutien du film. Philippe Sarde (en compétition cette année pour la 21e fois avec "Rodin" de Jacques Doillon) se définit d'ailleurs comme un scénariste musical. Il est plus dans la considération du film que dans la musique elle-même, allant même jusqu'à proposer des modifications de montage au cinéaste. Bien souvent il s'agit pour le réalisateur ou producteur d'un choix de raison et un gage de confiance que de faire appel à un artiste qui connaît le cinéma. Ces compositeurs sont aussi caméléons, n'ont pas de style propre et défini (même si une identité et des éléments de personnalité peuvent se dégager). Pour les besoins d'un film, ils pourront alors convoquer un orchestre, un instrument soliste, une valse, un tango, du jazz, ou des sonorités plus électroniques.
Malgré les qualités requises pour écrire sur-mesure la musique d'un film, certains cinéastes invitent des musiciens issus du concert. Ils le font pour leur style propre, parce qu'ils ont aimé leur musique à l'écoute de leurs albums. Ils ne leur demanderont pas de faire autre chose, de sortir de leur territoire. Il s'agit donc ici de créer une confrontation entre deux univers plutôt que de provoquer une véritable collaboration. C'est ce que fait Jim Jarmusch, lui-même par ailleurs musicien, lorsqu'il invite Neil Young à improviser avec sa guitare face aux images de "Dead Man" (en compétition, Cannes 1995). Hormis le rock, avec dernièrement Sqürl sur "Paterson" (Cannes 2016) et "Only Lovers Left Alive" (Cannes 2013), le cinéaste a pu explorer d'autres genres, tel que le rap avec RZA sur "Ghost Dog" (Cannes 1999) et le jazz à ses débuts par sa collaboration avec le saxophoniste John Lurie (à Cannes avec "Down by Law" en 1986 et "Mystery Train" en 1989). D'autres réalisateurs ont pu manifester leur passion pour le rock, que ce soit Olivier Assayas avec David Roback, membre de Mazzy Star, sur "Clean" (Cannes 2004), et Sonic Youth, groupe de rock avant-gardiste américain sur "Demonlover" (Cannes 2002), Leos Carax avec Neil Hannon, leader du groupe de pop rock The Divine Comedy ("Holy Motors", Cannes 2012) et avec le chanteur anglais Scott Walker sur "Pola X" (Cannes 1999).
Tous les styles musicaux ont fait leur cinéma, en voici une petite énumération non exhaustive.
Pour le rock, on peut ajouter Peter Gabriel ("Birdy" de Alan Parker, Cannes 1985), John Cale - ex-Velvet Underground ("N'oublie pas que tu vas mourir" de Xavier Beauvois, Cannes 1995), ou encore David Byrne, groupe du groupe new wave Talking Heads ("This must be the place" de Paolo Sorrentino, Cannes 2011). Pour la pop, il y a Bjork chez Lars Von Trier ("Dancer In The Dark", Cannes 2000), Jon Brion chez Paul Thomas Anderson ("Punch-Drunk Love", Cannes 2002).
Pour l'électro, Thomas Bangalter de Daft Punk officie chez Gaspar Noé ("Irréversible" et "Soudain le Vide" et leurs polémiques cannoises), Moby chez Richard Kelly ("Southland Tales", Cannes 2006), et les précurseurs Giorgio Moroder dans "Midnight Express" de Alan Parker (Cannes 1978), Vangelis (5 sélections dont "Les Chariots de feu" de Hugh Hudson en 1981), ou encore Tangerine Dream, groupe allemand psychédélique ("Le Solitaire" de Michael Mann, Cannes 1981). Cette année, Arnaud Rebotini, fondateur du groupe Black Strobe, est en compétition avec "120 battements par minute" de Robin Campillo.
Pour le jazz, le clarinettiste Michel Portal est venu 5 fois à Cannes en compétition (dont "Max mon amour" de Nagisa Oshima, 1986). Amos Gitai a fait appel au saxophoniste norvégien Jan Garbarek ("Kippour", Cannes 2000) et au clarinettiste et saxophoniste français Louis Sclavis ("Kadosh", Cannes 1999).
Enfin, pour terminer avec la chanson française, il y a eu Serge Gainsbourg dans "Tenue de soirée" (Cannes 1986) de Bertrand Blier, Jacques Brel pour son propre film "Le Far West" (Cannes 1973), Philippe Katerine dans "Peindre ou faire l'amour" (Cannes 2005) des frères Larrieu, ou encore Jean-Louis Aubert chez Philippe Garrel qui faisait avec "L'Ombre des femmes" (2015) l'ouverture de la Quinzaine des réalisateurs où on le retrouve cette année avec "L'Amant d'un jour".
Interview B.O : Pierre Desprats (Les Reines du drame, de Alexis Langlois)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)