Interview B.O / Matthieu Gonet : MADAME, la musique d'une lutte des classes

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Propos recueillis par Benoit Basirico - Publié le 22-11-2017




Matthieu Gonet fait la rencontre de Amanda Sthers pour MADAME, avec une partition illustrant la lutte des classes, partagée entre les rythmes d'une musique populaire espagnole (des accents de flamenco et de tango pour accompagner la servante espagnole incarnée par Rossy de Palma), et le raffinement des cordes pour la bourgeoisie, sans oublier le piano épuré pour l'histoire d'amour.

Cinezik : Comment a eu lieu la rencontre avec Amanda Sthers ?

Matthieu Gonet : La rencontre a eu lieu par l'entremise du superviseur musical Jeff Génie (de l'agence Gloria). C'est un métier assez nouveau dans le cinéma français mais qui a une vraie place. C'est une fonction essentielle dans la production cinématographique. C'est donc lui qui m'a fait rencontrer la réalisatrice. C'est un film cadeau pour un compositeur, il y a beaucoup de choses à évoquer. Il y a à la fois l'univers bourgeois décrit avec beaucoup de finesse par la réalisatrice et cette lutte des classes. Mais le film n'est pas manichéen, c'est sa grande force. Le film aurait pu être uniquement esthétisant, un peu ennuyeux, décrivant une sorte de bourgeoisie américaine, mais ce n'est pas le cas, il y a une très belle photo, ce qui est très inspirant pour un compositeur.

Est-ce que Amanda Sthers avait des indications précises ou vous aviez Carte Blanche ?

M.G : C'est un entre-deux. On s'est parlé. Je lui ai proposé un thème, puis un second, et elle m'a fait le grand cadeau de sa confiance.

La réalisatrice est écrivaine à l'origine. Le film est très écrit, beaucoup de dialogues, il y a quelque chose de très littéraire dans le film, et très souvent le littéraire s'oppose au musical, ce qui n'est pas le cas ici car le film est très musical... Comment ce film très écrit a pu accueillir la musique ?

M.G : Je dois saluer ici le travail du son, de l'ingénieur du son formidable Vincent Cosson, un travail compliqué où pendant le dîner, il fallait passer des discussions entre convives à la musique qui se fait une place discrète, sous-jacente. Le travail du son est essentiel pour que la musique s'imbrique au sein de ces discussions. C'est un vaste sujet : Est-ce qu'on entend suffisamment la musique, est-ce qu'on entend trop le dialogue ou les bruitages ? Cet équilibre est la force du film et de son univers sonore !

À quel moment êtes-vous intervenu ?

M.G : Le travail s'est passé en cours de montage. Je recevais les séquences les unes après les autres en cours de montage. Je ne me pose pas à ce stade la question de la nature de ma musique, mais la question est toujours de savoir qu'est-ce que la musique va raconter, est-ce qu'elle doit être sous-jacente ou primordiale et est ce que l'on doit en mettre.

La présence des sonorités flamenco ou tango correspondent au personnage féminin de la servante espagnole...

M.G : L'idée était de ne pas tomber dans un aspect trop "Almodovar", c'était un peu la facilité avec la présence de l'actrice Rossy de Palma. Il y a quelques relents espagnols, mais en général cela se résume à la présence d'une guitare Nylon. Je voulais partir au départ sur une valse lente, jouée soit au piano soit à la guitare. Je voulais que cela soit un thème très simple que l'on rencontre tout au long du film, et l'Espagne arrive avec cette guitare. Il y a aussi l'Alto, un instrument que l'on met rarement en soliste dans la musique de film. J'ai une bonne raison de le faire, j'ai épousé une altiste. J'ai la chance de pouvoir exprimer cet instrument que j'adorais même avant de la rencontrer. J'ai composé une musique pour un film, "Fleur de Tonnerre", avec Déborah François et Benjamin Biolay, où la partition est dédiée à l'alto. Ce n'est pas un choix marital, c'est un instrument qui évoque la voix humaine. Sur MADAME, il y a quelques extraits où l'on retrouve cet alto, sous une forme différente.

Il y a dans le film une scène de concert, avec violoncelle et piano, où l'on entend une pièce de Dvorak, vous l'avez arrangée ?

M.G : Pendant ce dîner, il y a un jeune enfant prodige pianiste, et son maître violoncelliste chinois auprès de lui, qui ne parle pas français. Ils vont donc interpréter tous les deux une pièce de Dvorak. On a enregistré cette réinterprétation en amont. Il a fallu réadapter ensuite en fonction de l'image.

MADAME, c'est aussi une histoire d'amour. Quel est votre rapport à l'émotion ?

M.G : Traiter de l'amour avec la musique de film, c'est comme ajouter du sucre sur de la chantilly, c'est un grand travers... Sur certains films mainstream grand public sur lesquels on nous demande sans vergogne d'appuyer sur le champignon, c'est une facilité très agréable. Mais sur d'autres projets où les sentiments sont plus à la disposition du spectateur, c'est un travail de réflexion, il ne faut pas mettre du sucre sur de la chantilly. C'est très agréable de travailler plutôt sur la légèreté des sentiments que sur la profondeur.

À la fin du film, il y a un thème très lyrique, vous vous êtes aussi permis cet emphase...

M.G : Il ne faut pas avoir peur de la musique de film, il faut au contraire savoir s'amuser là-dessus. J'ai l'impression qu'aujourd'hui, que ce soit dans un gros blockbuster américain ou le dernier film français, hongrois ou espagnol, les musiques commencent toujours par une "tenue", une nappe, on a l'impression d'entendre toujours la même musique de film, et après 20 secondes on commence à avoir une ébauche de thème. J'ai l'impression qu'aujourd'hui à quelques exceptions près, les compositeurs et réalisateurs ont peur de mettre de la musique.

Vous avez été très longtemps étiqueté "compositeur de comédie", avec "Les Profs" (1 et 2), "Tout schuss" ou encore "Joséphine"...

M.G : Les étiquettes, je dois avouer que j'ai l'habitude. J'ai fait de la télévision sur TF1 pendant longtemps. Le milieu du cinéma étant assez snob, il faut du temps pour enlever ces étiquettes et se refaire une virginité musicale. Je remercie mon agent Jeff Génie d'avoir eu confiance en moi et les réalisateurs qui m'ont donné la possibilité d'enlever ces étiquettes. Effectivement, la comédie est un art considéré comme mineur dans la musique, surtout celles qui marchent. J'ai l'impression que les compositeurs de musique de film se prennent très au sérieux. Tous les matins quand je me lève je me dis que j'ai une chance incroyable de faire ce métier, de pouvoir travailler au service d'un film. Qu'on pleure, qu'on rigole, qu'on voyage... le cinéma est un art complet qui doit transmettre toutes les émotions.

Vous allez très vite revenir à la comédie, avec le nouveau film d'Alain Chabat, "Santa & Cie", sortie le 6 décembre prochain. C'est un film de Noël ?

M.G : C'est vraiment un film de Noël. C'est un grand cadeau que m'a fait Alain Chabat en me confiant les rennes (sans mauvais jeu de mots) de la musique de son film. Ca raconte l'histoire du Père Noël qui débarque à Pigalle. La demande d'Alain Chabat était d'avoir un thème, LE thème du film. Il y avait plusieurs pistes évoquées, Michael Giacchino était une référence. C'est une partition très symphonique, on a enregistré avec un très grand orchestre. J'ai eu la chance de découvrir un orchestrateur formidable. Normalement j'enregistre seul toutes mes musiques, mais là l'union a fait la force. J'ai eu le plaisir de travailler avec Jehan Stefan qui est un musicien extraordinaire.

 

Propos recueillis par Benoit Basirico

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