Interview B.O : Klaus Badelt, son arrivée en France avec POUR ELLE

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Propos recueillis le 14 novembre 2008 à Auxerre par Benoit Basirico, Fabien Morin et Sylvain Rivaud - Publié le 03-12-2008




Après avoir collaboré plusieurs années durant avec Hans Zimmer (période dont l'aboutissement était Pirates des Caraïbes, en 2003), Klaus Badelt a cherché depuis à se renouveler et à goûter à de nouvelles expériences, en voyageant et en se confrontant à d'autres cinémas (celui de Werner Herzog en Allemagne, celui de Kaige Chen en Chine, et ceux de Fred Cavayé et de Laurent Tirard en France). Ce qui ne l'a pas empêché de faire cavalier seul auprès de vétérans d'Hollywood tels que Wolfgang Petersen, John McTiernan ou Richard Donner. Klaus Badelt revient sur ce parcours atypique.

Cinezik : Vous voyagez beaucoup pour composer et votre premier voyage vous a conduit de l’Allemagne aux Etats-Unis. Quels souvenirs en gardez-vous ?

Klaus Badelt : Vous avez raison de dire que j’ai beaucoup voyagé depuis mes années en Allemagne. L’année dernière par exemple, j’ai commencé à Londres puis je suis allé à Paris, j’ai fait plusieurs allers-retours. J’aime bien m’installer un peu dans les villes où je suis. Je ne sais pas pourquoi, mais ça m’intéresse de découvrir de nouvelles choses pour éviter à tout prix de me répéter ou de faire quelque chose que j’ai déjà fait. On s’ennuie à faire les mêmes choses, à utiliser la même créativité, les mêmes technologies, les mêmes compositions. Mais je ne peux pas toujours les changer car les gens autour de moi me disent : « Non, non, ton travail est génial, ne change pas ! ». Moi, j’aime essayer de nouvelles choses suivant les villes où je me trouve, les films que je fais.

Etait-ce un rêve de quitter l’Allemagne pour rejoindre les Etats-Unis ?

Je ne sais pas, c’était plutôt une coïncidence. J’aimerais vous dire : « Oui, c’était un rêve d’aller en Amérique ! ». Bien sûr, c’est toujours quelque chose d’aller là-bas, mais je ne savais pas vraiment ce que je pouvais y faire en m’y rendant. J’y étais plutôt pour les vacances. Finalement, je m’y suis installé et j’ai rencontré des gens qui m’ont conseillé sur ce que je pourrais y faire. Mais je n’attendais rien, je n’avais rien planifié.
 
A l’origine, n’était-ce pas pour travailler avec Hans Zimmer ?

Là-aussi c’était une coïncidence ! Il ne me connaissait pas, je ne le connaissais pas. Les gens pensaient peut-être le contraire puisque nous venions tous les deux d’Allemagne. Cela m’a peut-être aidé, je ne sais pas. Moi, j’arrivais là un peu par hasard, juste pour apprendre, pour voir. Je n’avais écrit que pour quelques films en Allemagne, pour la télévision notamment. Même si c’était plutôt cool d’aller aux Etats-Unis, je ne réalisais pas vraiment ce que je voulais y faire, ce que je pouvais y faire. C’était vraiment une coïncidence. Hans Zimmer et les gens qui l’entouraient ont trouvé en moi des qualités qui me permettaient de faire ce travail. J’ai été un peu pris de court !
 
Est-ce vrai que vous aviez laissé une démo de votre travail aux studios de Hans Zimmer ?

(rires) Oui, mais ne faites surtout pas ça ! Je ne me souviens pas précisément comment les choses se sont passées, mais je lui ai demandé son avis. Je ne crois pas que cela marcherait encore aujourd’hui. De nos jours, ce n’est plus comme il y a dix ans où vous pouviez vous permettre de vous rendre dans ces studios sans problèmes. Moi, j’étais donc là-bas, j’ai déposé mon CD « par accident ». Mais vous savez, j’ai appris plus tard que ce n’était pas grâce à ce CD qu’on m’avait choisi. Personne ne vous attend là-bas, on vous prend en fonction de vos qualités d’adaptation et de votre personnalité. Il existe de nombreux compositeurs de talent qui peuvent écrire des musiques magnifiques, mais ce qui compte par-dessus tout, c’est que les gens des studios veuillent travailler avec vous. Vous devez comprendre qu’écrire de la musique de film, c’est avant tout une collaboration. C’est ça que vous apprenez là-bas, au-delà d’apprendre à composer.
 
Aux Etats-Unis, vous travaillez avec beaucoup d’orchestrateurs, c’est une grosse industrie. Est-ce qu’en France les choses sont différentes ? Etiez-vous tout seul sur le film « Pour elle » ?

En fait, j’ai utilisé une partie de mon équipe (des orchestrateurs, des copistes, des coproducteurs de musiques…). J’ai mis en place une façon de travailler que j’affectionne particulièrement et j’ai essayé de le faire sans imposer le système américain, car avant toute chose, un film est un film, il est unique. C’est vrai que le budget est peut-être moins important en France, mais il y a moins d’intermédiaires et donc vous avez plus de chance d’avoir un développement personnel dans le film. On peut le faire aussi aux Etats-Unis en s’impliquant de manière plus personnelle, on le peut vraiment. J’ai toujours dit vouloir mettre plus de caractères, plus de personnalité dans mes musiques. La différence, c’est qu’aux Etats-Unis, il y a plus de personnes impliquées et qu’elles ont toutes quelque chose à dire sur votre musique. C’est terrible aussi pour le réalisateur ! Mais votre personnalité ne doit pas non plus empiéter sur la manière de voir du réalisateur ou des producteurs, il faut trouver le bon compromis. C’est pour ça que j’ai beaucoup aimé travaillé à Paris.

 Savez-vous pourquoi le réalisateur Fred Cavayé a fait appel à vous pour son premier film « Pour Elle » ?

L’envie de travailler ensemble était partagée. J’espère que c’était vrai quand il m’a dit que j’avais la réputation d’être un compositeur-cinéaste. Cela voulait dire qu’il voulait quelque chose avec des vraies intentions, avec des vrais personnages. C’est un film très souple, nous devions faire très attention à ce que nous faisions. Il ne fallait jamais tomber dans le piège d’en faire trop. Ça a été soudain le travail d’un groupe avec l’expérience de chacun. Fred Cavayé m’a dit qu’il pouvait écouter et il ne voulait pas vraiment faire un « film français » même si bien sûr le film utilisait cette langue. Le but était d’éviter les clichés des films français et de faire ressentir aux spectateurs que le film pouvait être tourné n’importe où. Bien sûr, il a fait un film français avec des acteurs français, des dialogues en français, un scénario français. Mais je pense qu’il a été au-delà des limites que nous avions l’habitude de voir et c’est ce que j’ai aimé. J’ai aussi besoin de quelqu’un qui est ouvert et qui est capable d’écouter mes propositions. Je n’ai pas grandi en France, je n’ai pas d’attaches dans ce pays. C’est même l’opposé, j’ai été un peu partout dans le monde, car j’aime voyager, avoir de nouvelles expériences et j’apprécie de faire à chaque fois quelque chose aussi authentique que possible pour le film. J’ai par exemple été en Chine il y cinq mois pour enregistrer la musique d’un film chinois. J’ai fait souvent des choses comme ça pour contribuer à la qualité d’un film.
 
Et pour ce film, avez-vous composé à partir du script ou seulement avec les images ?

J’ai commencé à lire le scénario et j’ai tout de suite été très enthousiaste ! Mais le film avait déjà commencé à être tourné quand je me suis trouvé impliqué sur le film. J’y suis arrivé assez tardivement. Parfois, je préfère commencer à composer dès la lecture du scénario, ce qui permet de faire évoluer sa musique au fur et à mesure pour trouver enfin la musique qui correspond parfaitement.
 
Et vous avez-enregistré votre musique aux Etats-Unis ?

J’ai enregistré cette musique à Londres, c’est vraiment mon endroit préféré pour enregistrer. Dès que j’en ai l’opportunité, je vais là-bas.
 
Dans le film, votre musique anticipe les scènes d’action. Etait-ce ce que vous désiriez ?

Oui, nous voulions toujours que la musique reste en retrait. Il n’y a pas de héros dans ce film. Le personnage principal (Vincent Lindon) est professeur de français, il n’est pas né héros et ne souhaite pas le devenir. Cela ne l’amuse pas. C’est pour ça que ce film est presque l’opposé d’un film d’action. On pourrait avoir le sentiment que ce qu’il fait est excitant, plutôt fun, mais ce n’est pas du tout ça pour lui. Tout ce qu’il fait, il le fait pour des raisons romantiques. Il pense qu’il a besoin de le faire parce que c’est la dernière carte qu’il a. C’est dramatique et romantique à la fois. Il ne sait pas ce qu’il l’attend, comment il doit agir.
 
Comme à votre habitude, vous utilisez un orchestre et des musiques électroniques...

Je ne sais pas si on peut appeler ça vraiment des musiques électroniques, c’est plutôt une musique contemporaine. Ça ne ressemble pas à de la musique électronique, car le héros est un homme normal. Il est simplement « Monsieur Tout-le-monde » ! Je voulais obtenir la sonorité et la musique de ce « Monsieur Tout-le-monde » ! C’est ce que je recherchais : avoir un son contemporain qui accompagne le personnage sans en faire trop. Je voulais trouver le ton juste pour illustrer le tic-tac incessant de la course-poursuite de cet homme. Dans le même temps, il fallait insérer le contenu émotionnel de l’histoire. Tout ce qu’il fait est guidé par son émotion.
 
Pensez-vous que d’une certaine manière, vous êtes plus libre en France pour composer ?

C’est une bonne question ! Je pense que je le suis, mais peut-être que je me trompe ! J’ai peut-être des restrictions ! (rires) Pour un film du type POUR ELLE qui bénéficie d’une grande visibilité en France, je suis conscient de la responsabilité que j’ai sur le film. Si vous le comparez à un blockbuster comme POSEIDON, par exemple, qui est un pas en avant évident dans mon travail, oui, c’est pareil, c’est comme prendre une douche, nu, en public, tout ce que vous faites est forcément vu ! En France, j’ai peut-être eu la possibilité d’innover un peu plus, mais c’est peut-être juste mon sentiment. Quand le film sort, quoi qu’il arrive et quel que soit le film, vous devez faire face à un public, c’est toujours la même chose !
 
Mais c’est vrai que le système et le business en France sont différents. Assez souvent, le réalisateur est jeune, sans trop d’expériences et il donne alors plus de liberté. Aux Etats-Unis, ceux qui font les films, les grosses compagnies, veulent contrôler un peu plus et ils vous imposent plusieurs lignes à suivre. Ils font parfois plus le film que le réalisateur lui-même et quand vous avez fini votre travail, il ne vous appartient plus. J’ai connu ça, quelques supercheries de ce genre, en fonction du pays, du réalisateur. Par contre, pour les nombreux films indépendants tournés aux Etats-Unis, ça ne marche pas pareil. J’ai fait aussi des films de moindres envergures et je me souviens que j’avais cette même impression. Ce fut le cas pour THE PLEDGE réalisé par Sean Penn où personne ne lui a dit ce qu’il devait faire, nous avions des rapports très proches dans notre travail. Pareil pour le film 16 BLOCKS de l’immense réalisateur Richard Donner. Il a fait son film selon ses propres visions. Je n’ai vu personne venir lui donner des consignes, mais c’est vrai que c’est aussi un réalisateur très renommé. 
 
Que pouvez-vous nous dire sur votre prochain film en France, LE PETIT NICOLAS de Laurent Tirard ?

Je viens tout juste d’arriver sur ce projet, je viens de prendre mes marques. Tout ce que je sais, c’est que c’est incroyable ! Chaque scène est extrêmement drôle, vive et bien écrite. Le film n’est pas encore terminé, mais d’après tout ce que j’ai pu voir, j’ai un excellent pressentiment. C’est une incroyable opportunité pour moi d’arriver sur un projet aussi différent. C’est un film drôle et mélancolique qui ne ressemble pas aux comédies traditionnelles. C’est un projet sur lequel je vais prendre beaucoup de plaisir. Je viens tout juste de le commencer, ce sont mes tous premiers jours. Je vais retrouver mon âme de petit garçon.
 
Quels sont les compositeurs français que vous connaissez et appréciez ?

Parmi les classiques, quand j’étais plus jeune, un de mes héros était Maurice Jarre. Il a écrit pour des films magnifiques. J’ai essayé d’orienter ma musique en mettant en avant les mélodies. Vous l’avez peut-être entendu dans POUR ELLE. Bien qu’il y ait de la tension, de la romance, du stress, la musique est construite autour de mélodies. Et Maurice Jarre était clairement l’un des maîtres incontestés pour écrire de superbes mélodies.
 
Maurice Jarre est un bon exemple, car beaucoup de compositeurs français travaillent maintenant aux Etats-Unis, comme Alexandre Desplat, et de plus en plus de compositeurs américains viennent en France !

Je pense qu’aujourd’hui, chacun s’ouvre vers les autres et c’est génial ! Il n’y a pas si longtemps, il n’y avait pas beaucoup d’allemands au-delà de leurs frontières, assez peu de français également ou d’espagnols. Hollywood est plus ouvert aujourd’hui.
 
On peut penser à Javier Navarette par exemple ?

Oui, il a un style qui lui est propre et qui est magnifique. C’est la même chose avec Alexandre Desplat. Chacun de ces compositeurs amène un style différent. Les compositeurs espagnols ou brésiliens apportent quelque chose en plus. Des portes ont été ouvertes et c’est fantastique. Santaolalla a eu plusieurs Oscars et il a la reconnaissance du monde entier à présent. C’est une bonne chose pour nous, compositeurs.

Propos recueillis le 14 novembre 2008 à Auxerre par Benoit Basirico, Fabien Morin et Sylvain Rivaud

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