Ludovic Bource : Votre carrière musicale a t-elle commencé grâce à votre amitié avec Michel Hazanavicius ?
Cinezik : Oui, tout à fait, j'ai débuté avec lui. Je travaillais aussi à mes débuts avec Kamel Ech-Chekh, qui a fait une partie de la musique du premier OSS. On était ses potes, et quand il a commencé à réaliser certaines choses, notamment dans la publicité, il nous a permis de l'accompagner. On a fait quelques spots publicitaires avec lui, puis il a fait un premier film en 1998, MES AMIS, qui n'a pas marché, mais on était aussi en charge de la musique. C'était nouveau pour nous le cinéma, c'était une expérience fantastique.
Quel a été votre parcours musical ?
Je n'ai pas vraiment de parcours d'école. J'ai fait une école de musique, j'ai eu des cours de piano, des cours de jazz, des cours d'harmonie en particulier et en conservatoire un peu, mais rapidement j'ai essayé d'aller dans ma propre voie. J'avais envie de composer, simplement, à la base c'est ma raison d'être. Je m'exprime avec ma composition, quelle qu'elle soit, c'est comme ça que je fonctionne. Après, je suis arrivé à la musique pour l'image grâce à Michel, avec ses films de pubs puis ses films de cinéma, c'est sa réflexion qui m'y a amené : moi-même au départ, je n'avais pas forcément une très bonne « écoute » de la musique à l'image, c'est venu avec l'âge et par le travail avec Michel.
Quel était votre monde musical, à la base ?
J'ai fait beaucoup de rencontres dans le jazz, je me suis donc d'abord tourné vers ça à un moment donné, j'ai collaboré avec différents groupes et musiciens, ça m'a permis d'échanger des choses. Mais personnellement, ce n'était pas une vocation, le jazz. C'était une envie parce que je partageais des choses avec des gens, mais ce n'est pas ce qui me touche le plus, en soi. Après j'ai travaillé avec des artistes qui étaient plus dans la pop ou carrément dans le rap, puisque j'ai fait beaucoup de rap à une époque pour gagner ma vie en tant que musicien. J'ai bossé dans des milieux différents en fonction des opportunités qui s'offraient à moi. J'ai bidouillé dans pleins de genres différents !
Quel rapport entreteniez-vous avec le cinéma à cette époque ?
J'allais voir des films, et j'avais déjà une grande admiration pour ces grands compositeurs qui avaient la place de donner une émotion à travers des images. Gamin, j'avais d'autres sensations par rapport à l'image, ce n'était pas encore très fort en moi, mais c'est venu après, en découvrant les classiques comme Hitchcock et sa collaboration avec Herrmann, puis Schifrin aussi. Ce n'est pas en soi leur manière de composer ou l'orchestration qui m'intéressait mais plutôt leur méthode, leur style, la manière dont ils s'exprimaient.
Vous avez collaboré avec Alain Bashung sur L'IMPRUDENCE, ce fut votre seule collaboration avec lui ?
Oui, la seule. Cette rencontre a été un pur hasard, car je n'étais pas fan de ce que faisait Alain Bashung au départ. Il a commencé à m'intéresser à partir du moment où il a eu une « voix », c'est à dire à partir de FANTAISIE MILITAIRE, où j'ai senti un homme qui exprimait des mots avec beaucoup d'émotion. Je me suis retrouvé à travailler avec lui parce qu'il cherchait un clavier pour travailler sur ses maquettes, il était un peu en friche, il ne savait pas trop où il allait. On me l'a présenté, je suis allé le voir, j'ai écouté ses titres, mais ça ne me plaisait pas. Je lui ai donc proposé de récupérer sa voix et d'essayer des choses de mon côté. Je suis revenu dix jours après avec quatre morceaux qui l'ont un peu bouleversé, je crois. Et je me suis retrouvé à bosser avec lui sur L'IMPRUDENCE, à essayer des choses, à avoir carte blanche, à faire 4-5 versions par titre, à mixer des arrangements de titres de Mobile in Motion avec d'autres que j'avais fait, on a essayé des choses pendant plusieurs mois. C'était en 2001-2002.
Votre musique se veut très « vintage », dans cet esprit des années 60 qui est celui du premier film OSS 117…
Oui, il le fallait. LE CAIRE, NID D'ESPIONS se passe en 1955, mais à l'époque on n'avait pas autant de brillance, de swing, d'orchestration, donc ma musique lorgne davantage du côté des années 60. Je pense à la musique du film L'HOMME AU BRAS D'OR avec Frank Sinatra, composée par Elmer Bernstein en 1955, qui faisait jouer du jazz ou du swing à un philharmonique qui n'avait pas encore le « groove » (qui est arrivé dix ans après). Du coup la musique est complètement décalée. Le personnage, en soi, a plus un style « années 60 » que 1955. Si à l'image, avec les décors, les voitures, on est dans cette époque, à aucun moment la musique ne l'est vraiment. On triche un peu. Comme dans RIO NE RÉPOND PLUS, qui se passe en 1967 : la musique tend davantage vers les années 70.
Quel lien avez-vous entretenu avec les premiers films OSS 117, composés par Michel Magne ?
On a beaucoup étudié cela, les producteurs voulaient au départ que je reprenne le thème, mais cela me semblait un peu contrariant, surtout pour Michel Hazanavicius qui voulait faire autre chose, avec un autre personnage, c'est un détournement. Il fallait trouver autre chose en musique aussi. On aurait pu faire un clin d'oeil dans le premier film ou même dans le second, qui rappelle « Furia à Bahia » avec la présence de la musique brésilienne, mais Michel voulait sortir de cette thématique. Il ne voulait pas non plus réutiliser le thème du premier film sur le second. Cela a été difficile car il ne voulait plus de thématique, plus de répétition... à aucun moment il n'y a de thème fort qu'on répète. C'était sa volonté.
On est souvent dans une certaine synchronisation musicale, surtout lors des cascades…
Tout le temps, à chaque phrase ! Les cuivres sont là pour ponctuer les dialogues. C'est moins le cas dans le deuxième film, mais c'est tout de même présent de temps en temps, comme un code que l'on répète. Michel aime ça, c'est important de garder une certaine orchestration et certains arrangements. Il y a aussi une utilisation des silences. C'est un peu de la musique de cirque, ça part dans tous les sens !
Pouvez-vous nous parler de la fameuse séquence chantée par Jean Dujardin dans LE CAIRE, NID D'ESPIONS, avec cette reprise de la chanson « Bambino » ?
C'est Kamel qui en fait les arrangements. Il a passé beaucoup de temps à réécrire les paroles dans un arabe un peu « universel » qui puisse être compris par les algériens, les tunisiens, les marocains, en reprenant certaines expressions de régions et de communautés différentes, y compris celles qui vivaient à Paris à l'époque. Après on a arrangé tout ça à partir des orchestrations originales, notamment les violons.
Comment Michel Hazanavicius aborde-t-il la musique en général, et avec vous en particulier ?
Sur le premier OSS 117, on avait l'habitude de travailler sur le scénario. Dès les premières lectures, j'avais un ressenti, un sentiment, que j'avais besoin d'exprimer. Il fallait que je mette cette innocence, ce truc qui nous échappe, de côté. L'espace d'un an, j'ai beaucoup travaillé là-dessus, en amont, entre quelques autres projets, à réfléchir à la musique du film, à proposer des choses à Michel, pour voir comment il concevait musicalement son personnage. Au début ça n'allait pas, j'ai dû proposer cinq thèmes différents, et c'est au pré-montage du film, lorsque le monteur a mis l'un de ces thèmes sur la scène de l'arrivée à l'aéroport d'OSS, le deuxième je crois, que Michel a trouvé le thème qui marchait. C'était ça, c'est ce qui lui fallait : le bon costard !
Comment se passe ensuite la création de votre musique par rapport au montage ?
Michel monte les images avec mes démos, ensuite il faut évidemment « raccommoder » l'ensemble. Mais tout est remis en question au moins deux-trois fois pendant le film. C'est parfois assez frustrant. Par exemple dans RIO NE RÉPOND PLUS, j'ai travaillé sur la séquence finale au Corcovado qui durait 4 minutes 50 au début, et au final elle fait 2 minutes 40. C'est une grosse perte de temps et d'énergie car on s'imprègne d'un rythme initial qui change d'une version à l'autre. Il faut être patient, mais c'est le jeu, les compromis du cinéma, c'est la manière de travailler de Michel et l'étape nécessaire pour arriver à un bon synchronisme.
Une fois la musique validée, comment se déroule la création de votre partition, l'orchestration ?
Sur LE CAIRE, NID D'ESPIONS j'avais fait appel à une orchestratrice qui avait bien géré l'ensemble. Sur RIO NE RÉPOND PLUS, j'ai fait toutes mes orchestrations, virtuelles au départ, pour faciliter le choix de l'orchestre final et le travail de l'orchestrateur-copieur. On affine ensuite les choses ensemble. Sur RIO NE RÉPOND PLUS, la musique était encore en train d'être composée vingt jours avant l'enregistrement. C'était un rush permanent pendant quatre mois et demi, à chaque modification de montage il fallait changer la musique. En revanche, la musique est totalement jouée par l'orchestre Colonne, en France, dirigé par Laurent Petitgirard, auquel s'est greffé un orchestre pop avec Laurent Robin, un spécialiste de « l'école tambour » de jazz, et des musiciens spécifiques (guitares brésiliennes, cithares, basses, percussionnistes brésiliens).
Après le succès du premier OSS 117, aviez-vous plus de budget pour la musique du second ?
Non, on n'a pas eu plus de budget que le premier film pour enregistrer, je dirais même pas assez ! Je tenais à enregistrer en France, mais ça coûte plus cher. L'idéal aurait été d'enregistrer une partie du score avec l'orchestre Metropol de Holland pour tout ce qui était très swing ou années 70, et une autre partie avec l'orchestre Colonne pour tout ce qui est plus symphonique, plus « herrmannien ». Sauf que là, en ayant tout enregistré avec l'orchestre Colonne, ça ressemble vraiment à ce qu'on aurait pu entendre à l'époque, comme dans L'HOMME AU BRAS D'OR de Bernstein, qui fait jouer des boucles jazz à son philharmonique. Ça a son charme, ce décalage rétro. Ainsi, sur RIO NE RÉPOND PLUS, on a fait attention à ne pas trop moderniser la musique. Il fallait garder ce côté élégant, mesuré, british.
Quelle a été votre réflexion autour du pastiche, de la parodie ? On pense évidemment à James Bond sur le premier épisode, avec deux notes qui rappellent le célèbre thème : (« tu-duuu »)...
Oui, ces accords-là viennent sans doute de John Barry mais je l'ai découvert après, en réécoutant, je ne m'en suis pas directement inspiré. J'ai dû écouter quelques BO de James Bond et inconsciemment reprendre cette harmonie mais on n'a pas eu la volonté d'aller dedans. J'essaie de faire une musique décalée, mais c'est vrai qu'avec les scènes d'espionnage, par exemple, ou de suspense, où l'on rejoue le thème décliné dans les suraiguës du violon, on est dans le John Barry de l'époque. Un peu comme dans ce que faisait Quincy Jones dans les années 60-70, ou dans la musique de Lalo Schifrin. Il y a eu à cette époque une véritable révolution musicale qui déteint encore sur les musiciens d'aujourd'hui, qu'ils composent pour l'image ou non, on l'entend encore un peu partout. Peut-être aussi parce qu'on tourne un peu en rond sur plein de formats différents...
Sur OSS 117 : RIO NE RÉPOND PLUS, l'histoire se passe au Brésil. Qu'est-ce que cela a impliqué musicalement ?
Au départ j'ai fait une musique qui commençait en bossa nova et qui finissait en samba. C'était évident ! Mais le réalisateur ne voulait surtout pas rentrer dans ce cliché « carnaval », parce que cela avait été déjà vu dans les premiers OSS et que c'était trop évident. Pour lui, la fin des années 60 c'est l'explosion de la bossa nova à travers le monde. C'est donc plutôt ça qu'on retrouve dans le film, même si la bossa n'est pas omniprésente, pas plus qu'elle n'influe la rythmique de la musique du film. Pour Michel, il fallait un peu de bossa nova, et un peu de samba rock, comme celle qu'on entend à l'arrivée d'OSS à l'aéroport. C'était très moderne à l'époque, une vraie révolution, qui a permis de mixer le rock américain à la samba brésilienne. Sur le premier scénario, il devait y avoir une scène de carnaval, mais elle a été supprimée pour des raisons budgétaires.
Cette partition est particulièrement easy-listening...
Oui, très souriante. C'est une volonté de Michel, c'est un peu ce qu'il aime, entre autres. C'était important de ramener beaucoup d'humour et de dérision dans le film avec la BO. Comme par exemple lors de cette scène où l'on voit OSS et ses compagnons arriver à l'hôtel de Brasilia tout propres en racontant avoir traversé la rivière en canard : la musique, très débile et décalée, raconte ce que l'on n'a pas vu.
Vous parlez de décalage, mais Michel Hazanavicius parle de votre musique comme d'un élément qui crédibilise le film, aussi...
Ça dépend des moments, mais oui il y a aussi un premier degré qui permet de ponctuer le film par des moments plus dramatiques. J'ai essayé d'ailleurs de mettre moins de mélodies dans mes arrangements sur ce second film, le premier est trop « chanté » à mon goût. Il y a davantage d'underscore dans RIO NE RÉPOND PLUS, c'est moins chargé, moins bavard d'un point de vue émotionnel. Sur le premier film, on devait faire trente minutes de score, et plus Michel avançait dans le montage, plus il s'apercevait qu'il avait besoin de musique. C'était son deuxième film, il a tout réappris, et au final on a une heure de musique. Sur le deuxième OSS, un peu moins, mais quand même presque cinquante minutes. C'est énorme pour une comédie ! On a tout de même réussi à affiner la musique, comme le scénario. Je crois avoir progressé, j'ai davantage fait attention à gérer mon égo de compositeur, à me mettre au service des dialogues, qui sont beaucoup plus subtils, même s'il y a des vannes du début à la fin !
Cinezik : Les films de Michel Hazanavicius (OSS 117) sont très référentiels, cela oriente votre musique ?
Ludovic Bource : Evidement, je partage son univers, précisément sur THE ARTIST. Depuis un an, on s’est enfermé pour voir des films du répertoire Hollywoodien (les comédies musicales, Murnau, Borzage, "Ivan le Terrible" d’Eisenstein…). Cela fait deux ans que je me suis imprégné de ces pionniers. Ensuite, il fallait penser les films par rapport à la trame de l’histoire et de cette romance. Cette histoire d’amour nous a amené à un romantisme complètement assumé dans le style de la musique hollywoodienne, mais davantage celle entre 1936 et 1940 où l’âge d’or du cinéma hollywoodien avait pris un poids énorme.
Et il y a Bernard Herrmann....
L.B : Il y a un hommage fantastique à Bernard Herrmann. Je pense que c’est un compositeur qui est considéré par les connaisseurs comme l’un des plus grands. C’est vrai qu’il m’a beaucoup influencé sur le film parce qu’on avait des références en terme d’image, de climat, il était déjà présent, il est incroyable en terme d’orchestration, avec des arrangements assez lourds et puissants et ce leitmotiv propre à Herrmann. "Citizen Kane" nous a aussi suivi un peu dans cette trame esthétique et musicale, mais aussi inévitablement Hitchcock avec "Vertigo"… Je suis vraiment très heureux de pouvoir entendre Herrmann sur la musique du film.
Le fait que ce soit un film muet, qu’est-ce que cela a impliqué dans votre travail à l’image ?
L.B : D’une part, que la musique ne soit pas indigeste à un moment donné, en sachant qu’on avait par rapport aux personnages des codes sonores, avec leurs thèmes, les situations, la solitude de Georges Valentin dans le film - il a un thème qui est assez minimaliste, naïf. C’était une vraie course, tout s’est passé très vite. J’ai composé la musique du film au début du montage et on a fini le mois dernier. On a enregistré dans la foulée et j’ai vu dimanche dernier le film d’un bout à l’autre pour la première fois. Avant, je n’avais pas eu le temps, on était sans arrêt en train de faire et refaire les choses en fonction de la continuité du montage . Je pouvais prendre une semaine pour une séquence de huit minutes et la semaine d’après la même séquence faisait six minutes. C’est un peu frustrant car quand on donne une petite séquence à un compositeur, il imagine forcément un rythme en fonction d’une situation, d’un geste, d’une émotion et ce surtout dans les films muets où il fallait tout souligner, essayer d’être le plus juste possible. C’était très compliqué et fatiguant mais il fallait passer par là pour arriver à un résultat qui me semblait honnête.
Vous disiez être intervenu sur le montage final. En revanche, dans le film, il y a des séquences de claquettes, de danse. Quelle musique était présente au tournage pour les comédiens et ensuite quel fut le travail de synchronisation avec les mouvements ?
L.B : C’était un enfer total. Pour la scène finale des claquettes, il y a eu deux morceaux de Cole Porter dont "Sing ! sing ! sing !" et une autre chanson de Benny Goodman. On avait fait le choix de ces morceaux sans déterminer les tempo car à l’époque ils n’enregistraient pas avec les "clip track", donc la baguettiste avait refait un témoin dans le studio, et Jean Dujardin et Bérénice Béjo se sont entraînés à apprendre la chorégraphie, les pas de danse. Et pendant le tournage, qui s’est déroulé en 22 images par seconde, on nous a donné l’enregistrement du plateau, et quand j’ai reçu les enregistrements, il n’y avait aucune piste sonore en dessous de la musique. J’ai écrit un autre morceau, très inspiré des deux initiaux. J’ai passé deux jours à re-composer le tempo pour pallier à l’image. Cela se fait toujours dans ce sens-là, mais j‘aurais préféré le faire dans l’autre sens.
Michel Hazanavicius a voulu revenir dans le temps, au temps du muet, et on a l’impression qu’il a utilisé les moyens de l’époque. Est-ce le cas pour la musique ?
L.B : Il n’y a pas d’ordinateur dans la musique du film. D'ailleurs, à chaque film si je peux défendre les musiciens, je le fais. J’ai eu la chance de toujours avoir les moyens d’enregistrer avec un orchestre. J'établis des maquettes qui s’approchent d’un rendu final pour que Michel puisse avancer avec ce que l’on va entendre avec un orchestre. On s’est posé beaucoup de questions sur des codes qui s’approchent de Chaplin et de cette époque, avec une romance qui s’approche de "Casablanca" avec le violon romantique.
Parlez-nous de la musique en elle-même. Comment l’avez-vous travaillé avec ces 80 musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Flandres ?
L.B : J’orchestre pour tous les pupitres et les instruments. Après, j’ai une équipe d’orchestration et d’arrangeurs qui m’aide à finir les séquences parce que c’était un enfer de pouvoir en trois mois fournir 1H40 de musique. Approcher un orchestre comme celui de Flandres était assez sensationnel. On a eu un coup de foudre mutuel.
Par rapport au réalisateur et ses orientations musicales, quelles discussions avez-vous eu ?
L.B : Au départ, c’était l’ouverture de "Sunset Boulevard" de Franz Waxman. C’est un morceau qui l’a entêté, qui est devenu un fantasme pour lui. J’ai composé les premiers thèmes du film au piano avec une mélodie simple, qu’on puisse s’imaginer comment on pouvait l’arranger. Ensuite, on m’a demandé de l’arranger à la manière de Waxman, avec aussi un appel de trompette de "La Fiancée de Frankenstein". C’était assez difficile parce que trois mois avant la fin du film, j’avais fait une ébauche mais ça ne sonnait pas encore comme je le voulais, comme je l’entendais. Michel voulait mettre beaucoup de musiques de "Sunset Boulevard", et laisser de côté des choses plus extravagantes, et Herrmann pour les climats forts, et simples parfois.
Ce melting pot musical reste homogène, avec un travail autour du thème ?
L.B : Je me suis inspiré d’un ôde symphonique de Brahms, et la dernière phrase de ce poème se finit par « comme une rosé de larmes ». Donc j’ai fait un morceau au piano qui est en hommage à ce poème et qui est devenu un thème régulier. Le thème de Peppy Miller quand elle arrive au début, son arrivée au Kinographe qui est très Walt Disney, c’est un peu "Mary Poppins".
Les films de Michel Hazanavicius sont des comédies non vulgaires, que ce soit OSS 117, ou THE ARTIST. A quel niveau la comédie est-elle présente subtilement dans la musique ?
L.B : Il y a toujours dans la musique, dans certains thèmes, un sourire, je ne sais pas, c’est peut-être dans mon tempérament. J’ai commencé la musique par l’accordéon donc j’ai fait des bals quand j’étais gamin, et je pense que certains thèmes un peu vieillots, on va dire du début du siècle dernier, viennent de ce répertoire là, le bal populaire, l’art de la mélodie populaire.
Sur OSS 117, Michel avait monté certaines séquences sur la musique. Pour THE ARTIST, y a t-il eu des réajustements au montage ?
L.B : Oui, une fois. J’avais fait pendant six jours une séquence de neuf minutes assez forte et j’étais très content de moi ainsi que mes collaborateurs. Mais Michel m’a demandé de refaire la musique car cela ne lui convenait pas. Il a vu que j’étais un peu dépité. Une semaine après, il me dit que la musique au final est très bien, et qu’il a juste changé des images.
Pour THE ARTIST, le rôle du mixeur est réduit puisqu’il n’y a pas de bande son. Quel fut ce travail ?
L.B : J’avais fait des recherches sur les méthodes de placement des micros, les micros utilisés à l’époque à la Warner… C’étaient des micros à bande, et j’avais vraiment besoin de retrouver ce son-là. Sachant qu’on avait 80 musiciens, disons pratiquement un à chaque pupitre, chaque instrumentiste, leurs micros plus les micros d’ambiance, c’était très important de pouvoir se rapprocher du même enregistrement d’époque. Pour ces enregistrements-là, il y a un mixeur final qui a passé trois jours dessus. Sinon toute la musique a été mixée en 5.1 avec Etienne Colin, un ingénieur du son avec qui je travaille souvent. Aussi, pour enchaîner les synchronisations de morceaux qui ont un son très spécifique, un grain qui est difficile à retrouver de nos jours, ces micros à ruban qu’on avait utilisé nous ont permis de faire des enchaînements pour s'ajuster assez précisément.
Revenu à Paris quelques jours juste après les Oscars avant de repartir au Japon pour la sortie de THE ARTIST, malgré un emploi du temps chargé, il a pu se libérer pour rencontrer Cinezik en exprimant toute sa gratitude envers le site qui l'a soutenu depuis OSS 117. Cela nous touche particulièrement.
Cinezik : Quand est-ce que l'aventure internationale autour de THE ARTIST a commencé ?
Ludovic Bource : Juste avant les Golden Globes, en janvier, il y avait déjà un sentiment très fort de la part des gouverneurs de l'académie des Oscars. Les gens du métier ont été touchés par l'hommage du film au cinéma hollywoodien.
Dans quelle mesure étiez-vous actif dans cette aventure ?
L.B : C'était une vraie campagne, des publicistes nous entouraient. Me concernant j'étais tout d'abord à un petit niveau car la musique intéresse forcément moins qu'un comédien, producteur ou réalisateur. Mais j'avais tout de même une personne qui m'accompagnait sur les tapis rouges, les différentes cérémonies préparatoires, et lors des "tea party" pour aller serrer des poignées de mains à des gens chaleureux. Je ne savais pas trop ce que je faisais, on me guidait en me disant qui était important. Quand j'ai eu la chance de gagner le Golden Globe, cela a eu des répercussions plus fortes sur les tapis rouges car les gens me connaissaient mieux. Au lieu d'avoir quatre médias qui m'interviewaient par politesse en attendant Brad Pitt ou Jean Dujardin, je me suis retrouvé avec vingt médias sur le même tapis rouge. Il se passait quelque chose sur ma participation à ce film.
Quelles personnes ont pu vous préparer à cela ?
L.B : J'ai eu la chance d'avoir été à Paris encadré par les compositeurs Jean-Michel Bernard, Bruno Coulais et Laurent Petitgirard qui m'ont soutenu. J'ai fait un déjeuner avec eux. Ils ont eu la classe de m'inviter et de me parler du processus. Je les en remercie. Peut-être qu'une confrérie est en train de s'installer entre les compositeurs en France. Je suis un jeune compositeur, je n'ai fait que cinq films, donc tout cela est nouveau pour moi.
Quels ont été leurs conseils les plus précieux ?
L.B : "Surtout n'écoute que toi, tu vas avoir pleins de propositions, de nouveaux amis...". Après je suis capable de sentir qui sont les bonnes personnes, dans l'oeil de quelqu'un on sait à qui on a à faire, il faut avoir ce don de vision. Pour les César, ils m'ont expliqué tout le protocole. C'était surtout très sympa de se voir pour partager cela car ils étaient très contents pour moi. Mon plus beau souvenir est d'être ainsi reconnu par ses pairs.
Quelle a été l'émotion lors des César, deux jours avant les Oscars ?
L.B : Je palpitais, j'étais très stressé car j'étais touché d'avoir un César, c'était le plus important.
La place accordée aux musiques des nommés était-elle la même selon les pays lors des cérémonies ?
L.B : On a plus célébré la musique lors de la cérémonie des Oscars qu'en France ou ailleurs, même si on diffuse toujours un extrait de la BO. Quand le film a gagné aux Golden Globes, on entendait le thème de Georges Valentin.
Quelles rencontres avez-vous faites ?
L.B : J'ai rencontré Hans Zimmer plusieurs fois, c'est devenu un copain, il est extrêmement généreux. Ils ont joué pendant la soirée plus de cent "Cue", cent morceaux. Il m'a convoqué par mail. C'est son agent qui m'a contacté, un homme très redouté mais charmant, avec une queue de cheval et habillé en Jean et T.Shirt, un vrai californien. Il était important pour eux que je les rencontre pour parler du show TV des Oscars car ils voulaient jouer deux extraits de THE ARTIST, ils en ont au final diffusé quatre. Juste avant les Golden Globes, j'étais reçu dans son Studio. Il y avait Howard Shore avec nous, aussi des mecs qui ont joué avec les Pink Floyd, des grands producteurs... Là-bas, tout le monde se connait, c'est un vrai village. C'est particulier Los Angeles pour pouvoir y vivre et surtout y rester. J'ai rencontré des compositeurs qui gardaient les voitures sur des parkings, d'autres étaient cuisiniers... la roue peut vite tourner.
Hans Zimmer vous a-t-il invité à le rejoindre chez Remote Control ?
L.B : Oui, il compte me recevoir là bas pour me louer un studio en urgence en cas de besoin, comme il le fait pour plusieurs compositeurs, c'est un endroit immense. Il a crée ce centre pour échanger des idées et éventuellement faire travailler les compositeurs, arrangeurs, orchestrateurs, programmateurs... un peu comme le faisait Walt Disney. J'ai d'ailleurs eu la chance de rencontrer le boss du département musique à Walt Disney, c'était collégial.
Et John Williams ?
L.B : Je n'ai pu échanger que 30 secondes avec lui lorsque l'association des compositeurs aux Etats-Unis, la veille des Oscars, a organisé une réception Champagne où il y avait tous les compositeurs votants pour le prix de la musique, puisque pour les Oscars on est nominé par ses pairs musiciens, avant que tous les membres de l'académie ne désignent le vainqueur à partir de ces nominations. J'ai ainsi pu y retrouver Howard Shore que j'avais vu aux Golden Globes, Alberto Iglésias que j'ai rencontré à chaque cérémonie, à Berlin pour les European films Awards puis aux Bafta... il parle en plus couramment français.
Vous devez avoir beaucoup de propositions depuis quelques jours... où se portera votre choix ?
L.B : J'ai des propositions certes, mais j'aimerais avoir la chance de ne pas refaire de films d'époque, car mon parcours s'est fait sur les OSS et THE ARTIST, des films de pastiche, avec une musique orchestrée dans le style d'une époque, j'ai donc envie aujourd'hui de découvrir des choses dans tous les styles de films, ou imposer un autre type de musique sur un film d'époque, comme Desplat l'a fait pour LE DISCOURS D'UN ROI avec une partition intemporelle. On m'a proposé des Blockbusters, un Walt Disney, je suis en train de préparer la possibilité de travailler ou pas sur ces projets, j'ai un agent aux Etats-Unis, Amos Newman, fils de Randy Newman, de l'illustre famille de l'oncle Alfred Newman, et qui travaille avec William Morris. Je veux faire les bonnes rencontres, que ce soit dans le Blockbuster ou le cinéma indépendant. Je vais rencontrer les boss des grands studios qui sont des gens passionnés et très techniques. Ce n'est pas comme en France, quand on parle de musique avec eux, ils savent de quoi on parle, je n'ai pas le droit à l'erreur.
Quelles sont vos préoccupations immédiates ?
L.B : Dans un premier temps, je vais redescendre un peu, je suis harcelé de toute part, je verrai tout cela à tête reposée. Puis THE ARTIST sort au Japon donc on part tous y présenter le film. Sinon, j'ai annoncé à l'AFP que je désirais écrire une musique personnelle inspirée de l'épopée du Boson de Higgs (c'est de la physique des particules). Je suis allé visiter le CERN pour cela. Mais l'actualité a un peu tout bouleversé. Ce n'est plus dans mes priorités.