Cinezik : Quel est votre parcours musical ?
Cécile Corbel : J'ai appris la guitare à 10 ans, je n'étais pas spécialement virtuose, puis à l'adolescence j'ai eu un coup de foudre pour la harpe celtique. Je suis né et j'ai grandi en Bretagne où la harpe est un instrument banal. On peut l'apprendre aussi facilement que le piano dans les écoles. Il n'y avait pas de prétention d'en vivre un jour. Cela s'est fait au fil des ans.
La harpe est un instrument qui se prête très bien à l'improvisation. J'ai appris avec une méthode orale. Je travaillais sur des thèmes bretons, irlandais, de la musique du monde... J'avais en moi cette envie de créer.
Quelle relation votre musique avait déjà avec le cinéma ?
C.C : J'ai toujours eu envie de raconter des histoires avec les chansons. Pour mes compositions, j'ai eu des images qui me venaient en tête. Beaucoup de gens m'ont dit en écoutant mes disques précédents qu'il y avait des images qui se déclenchaient facilement.
Comment avez-vous été choisi par les Studios Ghibli pour votre première musique de film ?
C.C : Avec Simon Caby, mon partenaire et complice musical, on est fan de toutes leurs productions depuis une dizaine d'année, et lorsque j'ai sorti mon dernier album en France, "SongBook 2", j'ai fait une liste de personnes à qui je voulais l'envoyer, et j'avais naïvement mis les Studios Ghibli dans ma liste perso, le disque est parti à l'aveuglette avec un mot de remerciement qui disait "merci pour vos films qui m'inspirent beaucoup dans mon parcours de musicienne". Je n'avais même pas mis d'adresse. C'était un geste naïf que je n'avais jamais fait auparavant. A partir de là, le disque est réellement arrivé à destination, sur le bureau de Suzuki-san, le producteur en chef. C'était un timing parfait puisqu'il se creusait la tête à ce moment-là pour savoir quelle allait être la musique du futur film, et il est tombé amoureux de la première chanson du disque. On lui doit beaucoup, c'était le seul à y avoir cru, car je n'existais pas au Japon, et ils travaillent avec des musiciens de talent comme Joe Hisaishi que j'admire beaucoup, donc il n'y avait aucune raison, il a fait un vrai choix artistique de se dire que cette musique qu'il avait entendu irait bien avec le film. C'était un pari risqué de leur côté. Et quand j'ai appris la nouvelle, c'était pour moi un vrai challenge. C'était une première des deux côtés en fait.
Quel a été le premier travail sur ARRIETTY ?
C.C : Ils nous ont demandé de créer des chansons, c'est quelque chose dont j'ai l'habitude puisque c'est ce que je fais pour moi, uniquement des chansons, une vingtaine... ce qui est nouveau de la part de Ghibli, et à partir de ces thèmes chantés on a dérivé tous les instrumentaux qui allaient être la musique d'arrière plan. Le début n'était donc pas angoissant car on m'a demandé ce que je savais faire. Ils n'ont jamais mis autant de musiques chantées à l'image, d'habitude il y a juste un générique en fin de film, car on est loin des univers de Disney où il y a toujours 3/4 chansons par film façon comédie musicale, et Ghibli a eu peur à un moment de ressembler à ça, mais ils ont quand même décidé de garder les chansons, trois thèmes chantés en plus du thème final. Car la voix est comme un instrument parmi les autres, comme la harpe qui avait séduit Suzuki avec l'album.
Au départ du projet, nous devions donc juste composer un thème chanté qui est devenu le générique, c'est "Arrietty's song", la première chanson que nous avons composé, et à partir de laquelle dérive un peu les autres thèmes, avec la harpe qui est l'instrument central, qui fait écho au personnage d'Arrietty, c'est un peu son double instrumental, un instrument au son clair, un peu fragile, cristallin, magique, et Arrietty, c'est ce genre de personne, une petite fille fragile, limpide et souriante.
Comment est né l'aspect dansant de certains morceaux ?
C.C : Le côté dansant qu'il y a sur certaines musiques, c'est le côté celtique de mes compositions. On s'est penché sur la musique irlandaise, sur les airs à danser du répertoire breton. Le thème de Spiller, petit personnage qui vit comme un sauvage, est inspiré par une danse traditionnelle bretonne. Le réalisateur voulait une musique qui évoque ce côté primitif et un peu naïf, j'ai donc cherché un équivalent dans la musique bretonne, reliée à la terre, un peu rustique.
L'histoire d'ARRIETTY, c'est une histoire celtique, ça rappelle les contes et légendes sur des lutins qui vivent sous les maisons. J'étais familière avec cette histoire. Cela dit, la musique que j'ai composé avec Simon, ce n'est pas de la musique bretonne ou celtique, c'est une musique originale d'aujourd'hui, mais c'est vrai que le choix des instruments avec cette harpe qui sonne comme venue d'un autre monde et peut être attachée aux lutins.
Pouvez-vous détailler l'instrumentation de cette musique ?
C.C : J'ai essayé de garder le son qu'ils avaient aimé sur l'album, donc il y a un travail sur la harpe, la voix, avec tous les musiciens qui travaillent avec moi, comme Simon Caby qui orchestre mes disques. Mais on a fait une création originale sur le film avec des échanges avec Tokyo, et 25 thèmes composés sur les indications du réalisateur.
Simon Caby : On est resté fidèle à ce qu'on faisait, c'est à dire qu'on travaille en général les cordes avec un trio, un quartet parfois, mais pas plus, une structure de base avec un instrument par voix, un violoncelle, un alto, un violon, on double parfois le violon, mais cela reste très simple. Si on veut quelque chose de plus imposant, on va ajouter de la perspective sonore avec des instruments traditionnels qu'on va mettre avec de la réverbération, comme la cornemuse. Le tout mélangé à des percussions peut donner une musique large, mais on ne va pas se servir des cordes pour donner de l'ampleur, les cordes sont souvent identifiables en solo. Nous ne sommes pas dans une grosse orchestration comme le fait Joe Hisaishi, grand virtuose dans ce domaine.
Quelle a été la plus grande difficulté par rapport à un travail d'album ?
C.C : Le réalisateur m'a demandé un thème qui soit effrayant et comique, déjà l'alliance des deux mots m'avait dérouté, j'ai jamais travaillé pour concevoir une musique comique ou effrayante, c'était angoissant, et finalement on s'est pris au jeu, et cela donne un des thèmes.
Quel a été le matériau qui a donné une orientation à la musique ?
C.C : Le film n'existait pas quand on a commencé à travailler sur la musique, donc j'ai lu le scénario de Miyazaki, le livre originel, les premiers dessins avec les personnages, deux ans avant que le film sorte, et ce qui m'a le plus guidé, ce sont des textes du réalisateur et du producteur sous forme de poèmes de 4/5 lignes sur un thème précis, ou une situation. Ils travaillent ainsi avec Hisaishi aussi. Il y a un thème pour le jardin, un autre pour la relation entre Sho et Arrietty, un thème pour le personnage de Spiller, un autre pour la maison de poupée... Il y en eu beaucoup.
Et les images du film animées ?
C.C : Il n'y a eu aucune composition sur l'image. A mi-chemin du travail, on a visionné des croquis mis bout à bout non-animés avec des voix témoins, pour avoir une idée du film dans sa longueur. Mais la synchro, le calage à l'image, a été fait à Tokyo par le directeur musical en charge des effets sonores qui est responsable du mixage retenu, et de la place de la musique. On n'aurait pas su le faire depuis Paris. Il a fait des choix intéressants.
Avez-vous demandé de l'aide à Joe Hisaishi, et avez-vous rencontré Miyazaki ?
C.C : Nous n'avons surtout pas voulu réécouter ses musiques, et Ghibli n'a pas souhaité mélanger les créations. Joe Hisaishi travaille pour eux dans la durée, alors ils le retrouveront très vite pour un prochain film. Quant à Miyazaki, il s'est effacé au profit du réalisateur. L'intention de Ghibli était de lancer un nouveau talent. Mais il n'est jamais loin, on s'est juste croisé, salué.
Deux disques sortent du même film, ce qui est fréquent pour les animations japonaises...
C.C : L'image-album rassemble les chansons du début construites avec couplets et refrains, sorti bien avant le film en avril 2010, avec des chansons non utilisées dans le film, mais c'est une sorte de cahier de tendances, puisque ces chansons tournaient en boucle dans le studio au moment de la création du film, les graphistes les écoutaient en dessinant.
Le Score sort en même temps que le film, avec les morceaux entiers.
Avez-vous envie de poursuivre cette aventure ?
C.C : C'est une expérience que j'aimerais revivre. J'aime que ma musique raconte des histoires. Pour l'instant, nous sommes encore dans la parenthèse enchantée de cette collaboration qui n'est pas refermée puisqu'il y a la sortie française. On verra ce qui se passe ensuite...
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