PENTAGON PAPERS et LES HEURES SOMBRES sont deux films historiques reposant sur une décision capitale qui a changé le destin des Etats-Unis, pour l'un, de l'Europe pour l'autre. Deux films donc très verbeux, où la musique fait ce qu'elle peut pour se glisser dans l'intimité des discussions du Washington Post ou du QG de Churchill. Autant dire qu'écrire la musique de tels films n'est pas chose facile, même pour des compositeurs de renom. Essayons tout de même d'y voir un peu plus clair.
Avec PENTAGON PAPERS, John Williams signe une partition épurée où la parole est souvent à nu ou soutenue par un tapis sonore à peine perceptible. Une économie de moyens efficace, sans nul besoin de violons étranglés ni de grands thèmes orchestraux (donc assez loin des musiques cultes du compositeur...). La guitare sonne comme un tic-tac obsédant, les graves du piano et des cuivres suffisent à souligner la situation de stress que connait le Washington Post. Dario Marianelli opte étonnamment pour des choix plus classiques. L'orchestre s'affirme tout au long du film : plus de cordes, plus de thèmes, plus de cuivres solennels. En somme, de l'émotion à l'état pur pour participer à l'action verbale - des discours époustouflants de Churchill surtout.
Mais ne nous trompons pas, ces partitions ne sont pas antinomiques pour autant. Elles aident toutes les deux les réalisateurs à se faire les maîtres du temps. Entre les mains de Williams et Marianelli, la musique accélère ou ralentit le rythme effréné du film. Dans LES HEURES SOMBRES, la peinture des rues londoniennes suspend l'action et la parole. Chez John Williams, ces moments de calme sont ceux de Kay Graham (interprétée par Meryl Streep). Teintés de smooth jazz mondain ou joués au piano seul, ils s'opposent clairement au caractère bien trempé de Ben Bradlee (Tom Hanks). John Williams nous rappelle par là que le portrait des personnages peut aussi passer par la musique. Et chez Marianelli, le piano, sous les doigts de Vikingur Olafsson, est une véritable caisse de résonance: lorsqu'on l'entend gronder, c'est aussi Churchill qu'on entend. C'est une voix quasi concertante, qui peut se ranger derrière l'orchestre, se contentant de quelques notes glaçantes dans l'extrême grave, mais ne peut s'empêcher de rugir quand elle le peut. Le thème voyage entre divers instruments qui sont comme les multiples facettes de Churchill.
On ne saurait expliquer exactement pourquoi ces partitions ont été boudées. A-t-on préféré nommer le John Williams de la saga STAR WARS (du moins ce qu'il en reste) ? Il est indéniable qu'avec PENTAGON PAPERS, John Williams a composé une partition efficace, discrète et épurée, assez éloignée des strass des oscars si on y réfléchit. Quant à Dario Marianelli peut-être a-t-il manqué d'audace. Difficile de se faire l'alter ego musical de l'écrasant Gary Oldman, même quand on a le talent de Marianelli... Mais une chose est sûre, ces partitions ne sont pas pour autant dénuées d'intérêt, et méritent d'être saluées.
Interview B.O : Pierre Desprats (Les Reines du drame, de Alexis Langlois)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)
Panorama B.O : Noël dans le cinéma américain [Podcast]