Cinezik : ORPHAN (ESTHER en VF) est votre 2e collaboration avec le réalisateur Jaume Collet-Serra, après LA MAISON DE CIRE. Quel a été ce travail et les choix musicaux à prendre ?
John Ottman : Le plus grand challenge quand on fait des films comme ESTHER, c’est d’essayer de les rendre les plus plausibles possible.
La musique doit plonger les spectateurs dans le film afin qu’ils puissent croire à l’univers dans lequel ils sont. Une fois qu’ils sont absorbés, le film peut prendre des directions scandaleuses dont le spectateur n’aura pas conscience du ridicule, ni des invraisemblances. Ils sont accros à cette réalité. Donc le but musical pour ESTHER était d’éviter les clichés des films d’horreur, dans un premier temps, et à la place créer un monde de totale normalité – par essence, la musique aide le spectateur à appréhender l’histoire qu’il regarde de façon sérieuse.
La mère, Kate, est en train de composer un morceau de musique dans le film. J’ai suggéré au réalisateur que le morceau de musique qu’elle composait devait traiter de ses deux filles – L’une qui est morte (Jessica) et l’autre qui est sourde (Max). J’ai donc composé une sorte de morceau classique qui donne au film une certaine forme d’intelligence, autant que les personnages lui donnent de la profondeur.
J’ai également composé un thème pour Max, qui occupe une place importante dans le film. Le sous-texte du film est le lien qui réside entre Max et sa mère. Donc j’ai joué ça musicalement, comme l’esprit sous-jacent de l’histoire musicale globale.
Je crois énormément en l’importance de la présence musicale de chaque acteur. Si vous croyez en eux, vous serez d’autant plus effrayés par les dangers qu’ils courent. De façon simple, jouer musicalement de façon intelligente au lieu de se contenter de clichés et de mauvais présages dés la première image, a été l’une des clés pour travailler sur ESTHER.
Esther, la jeune fille dans ESTHER, est une grande manipulatrice, avez-vous essayé de faire la même chose avec la musique ? A jouer, comme le réalisateur, avec des ficelles et rebondissements utilisés dans les thrillers et les films d’horreur, pour ensuite prendre leur contre-pied, en un certain sens…
J.O : Disons, que dans un sens, oui. Sa “manipulation” est, bien entendu, réalisée avec la douceur et la finesse de l’innocence d’une enfant. Par conséquent, la musique s’applique tout du long avec cette idée en filigrane, jusqu’à bien sur, ce qu’elle révèle sa vraie nature.
Quand elle devient plus sombre, j’ai introduit un motif qui indique sa présence en manipulant le son d’un shaker Africain (ndlr - instrument de percussions). C’était assez inquiétant d’utiliser un son organique simple pour figurer cette présence diabolique.
Le film ESTHER me rappelle “Le bon fils” (avec Macaulay Culkin et Elijah Wood) dont la musique a été composée par Elmer Bernstein. Il représente la dualité d’un enfant d’apparence angélique qui se transforme en véritable démon (il en est de même pour le film récent “Joshua”). Quelles ont été vos références pour composer ?
J.O : Je n’ai vraiment pris aucune référence. Je me suis inspiré de beaucoup de choses quand j’étais un jeune compositeur, mais depuis quelques années je m’assois simplement devant mon clavier et retranscris ce qui me passe par la tête. Je n’ai vraiment aucune idée d’où cela vient !
ASTROBOY est votre première incursion dans le cinéma d’animation. Comment avez-vous été impliqué sur ce projet et quelle expérience en avez-vous tiré ? Avez-vous eu des directions à respecter de la part du réalisateur ou de la production ?
J.O : Le superviseur musical m’a fait connaitre auprès du réalisateur ainsi qu’un couple d’autres candidats. J’ai eu quelques entretiens sur le film et j’ai été embauché. J’étais très excité à l’idée de travailler sur ce projet.
Je me souviens avoir été dans la salle de montage pour voir une première ébauche du film. Après l’avoir visionné, j’ai réalisé que j’avais gardé le sourire tout au long du film. Les temp tracks étaient fades et répétitifs, mais je savais que je pouvais insuffler plus de vie dans ce film attachant…
J’étais également dans un lieu où une chose aussi innocente et joyeuse qu’Astro peut devenir une thérapie terrifiante, un changement radical de décor depuis une récente série de films sérieux, sombres voir oppressants sur lesquels je travaillais. Attachant, innocent, enjoué, émouvant, bourré d’action et de pur divertissement, ce film m’a permis de m’exprimer de la manière dont j’ai toujours rêvé en tant que compositeur – pour parler d’une histoire musicale riche avec une abondance de gamme de motifs par personnage allant de la tristesse à l’exaltation.
Il n’y avait aucune intention de notre part de marcher dans les traces du dessin animé original télévisé, ni d’idées préconçues. Nous voulions tous une nouvelle thématique et une musique qui reflétait le mieux possible la vie et les émotions d’Astro.
Le thème de ASTROBOY est très épique, aventurier et héroïque dans le morceau “Reluctant warrior”, il y a également des sonorités de Peplum avec des tessitures asiatiques. D’où proviennent ces inspirations et pourquoi le choix d'une musique sombre pour un dessin animé destiné aux enfants ?
J.O : Je voulais que tout dans le film ait du caractère et que ça serait ainsi plus amusant.
Un grand robot vêtu comme un guerrier Samouraï attaque Astro, donc j’ai donné une forme de signature asiatique à la bataille qui suit avec des percussions chinoises. Même si c’est un film pour enfants, c’est une histoire dramatique et pleine d’émotion. Ca aurait amoindri l’impact de l’histoire si on l’avait infantilisée.
Les meilleurs films pour enfants, comme “Le magicien d’Oz“ ou “Chitty Chitty Bang Bang !“ ont un côté sombre et lumineux, par exemple. Donc la musique pour Astro est
une constante interaction entre l’ombre et la lumière, comme tout bon film dramatique ou d’aventure. Mais même lors des moments les plus mouvementés, il y a toujours un ressenti plein d’entrain.
Les moments les plus sérieux sont ceux qui sont les plus sensibles. C’était indispensable pour le bon équilibre musical.
Riche de cette expérience, quelles sont les différences que vous avez apprises de travailler sur un film d’animation par rapport à un film classique ?
J.O : J’ai constaté qu’il n’y avait pas tant de différence que ça, excepté le fait que l’on peut être plus manifeste avec la musique. L’animation met vraiment la musique au premier plan comme le narrateur principal du film. Vous n’avez pas besoin de vous cacher autant, en tant que compositeur. Vous pouvez être plus ouvert sur les émotions, en fait, tout est plus ouvert à tout.
J’ai trouvé ça très libérateur et gratifiant. Malheureusement, le film n’a pas aussi bien marché au box office que nous l’avions escompté. Ca n’a pas été déchirant que pour moi, j’ai eu beaucoup de peine surtout pour le réalisateur quand on sait toute l’énergie et l’amour qu’il a investi dans ce film. Nous espérions tous revoir Astro dans d’autres aventures futures – surtout pour avoir l’excuse de tous nous retrouver pour revivre une telle expérience.
Néanmoins, je me souviendrais d’Astro Boy, comme l’un des moments les plus exaltants de ma carrière et je pense, comme étant l’un de mes meilleurs scores.
Vous avez des nouvelles concernant “Superman returns 2 : Man of steel” ?
J.O : Je ne pense pas que Bryan Singer fera le film. Je n’ai d’ailleurs aucune idée si Warner Bros a envie de le faire. Donc ça dépendra du réalisateur du film, s’il devait arriver que j’en compose la musique. (Ndlr : Christopher Nolan plancherait actuellement sur le projet sur demande de la Warner).
Nous savons que vous êtes un grand fan de Star Trek. Donc si Star Trek 12 venait à être réalisé, feriez vous votre possible pour pouvoir composer la musique de celui-ci ?
J.O : Eh bien, je dois pour cela organiser un accident de voiture à l’encontre de Michael Giacchino. (rires) Je suis sûr qu’il le composera grâce à son étroite relation avec J.J.Abrahms. S’il ne venait pas à le faire, ensuite, c’est sûr, je couperais quelques orteils pour le faire.
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