Interview B.O : Michel Portal, ICI-BAS

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Interview réalisée à Paris le 14 janvier 2012 par Benoit Basirico - Publié le 18-01-2012




Personnalité atypique et inclassable du monde du jazz, le poly-instrumentiste Michel Portal a signé de nombreuses musiques de film dont de fidèles collaborations avec des cinéastes talentueux : Jean-Pierre Denis, Alain Jessua. Il est lauréat de trois César.

Cinezik : Vous avez rencontré Jean-Pierre Denis, le réalisateur de ICI-BAS, en 1987 pour CHAMP D'HONNEUR qui vous a valu votre troisième César de la meilleure musique de film. Vous l'avez retrouvé ensuite sur LA PETITE CHARTREUSE en 2004. Comment s'est faite cette rencontre ?

Michel Portal : J'ai rencontré Jean-Pierre Denis pour CHAMP D'HONNEUR grâce au producteur Jacques Perrin. Notre rencontre a aussi été favorisée par le fait que nous sommes tous les deux du sud-ouest de la France (il est de Bergerac, je suis de Bayonne). On a parlé du pays avant de parler de la musique pour un film. On a eu ainsi, par le terroir, une amitié particulière avant de travailler ensemble.

Quelle a été l'approche de la musique pour ICI-BAS ?

M.P : Il y a l'aspect religieux dans le récit mais je ne vais pas dans cette direction. Dans le jazz, je suis plutôt guerrier et sauvage. Pour les films, je contrôle un peu plus, j'oublie ma personnalité. Je me suis dit qu'il ne fallait pas être dans une complaisance vis à vis de la religion ou de la trahison. J'ai juste demandé à Jean-Pierre quel était le caractère de cette femme dans sa quête, avec cette fragilité qui la caractérise. J'ai noté pour chaque musique un sentiment. J'ai ainsi travaillé dans le caractère d'une musique. Puis à partir de là j'ai cherché une mélodie, un thème qui pouvait se démarquer avec le piano et le violoncelle. J'ai fait une musique qui avance, un peu comme une musique baroque, mais sans chercher la religion ou la pureté. J'ai juste tenté de me mettre à la place du personnage comme si c'était sa musique.

Le film se situe pendant la deuxième guerre mondiale. Qu'est-ce que cela a impliqué musicalement ?

M.P : Pour l'aspect de la guerre de 40 avec les allemands, j'ai utilisé un violoncelle trafiqué en le faisant jouer comme des percussions, avec un son assez violent.

Et pourquoi le choix de la clarinette qui est votre instrument fétiche ?

M.P : Le choix de la clarinette basse s'est fait pour ne pas être trop classique et pour se rapprocher du jazz. Cet instrument se marie bien avec la gravité du violoncelle. L'écriture pourrait être orchestrale mais nous ne sommes qu'avec deux instruments. Je suis dans l'épure, parfois un peu froid. J'ai essayé de passer à côté des pièges tendus par le sujet, ne pas être complaisant et éviter un type de musique que j'appelle "le caramel". J'ai horreur de cela. En jazz, quand je sens que ma musique devient du caramel, je deviens violent, je commence à taper du pied par terre... je fais attention à tout cela.

Malgré cette épure, votre musique peut aussi être ample et épouser les larges paysages du Sud-Ouest. En quoi avez-vous été inspiré par le pays que vous connaissez bien ?

M.P : On est dans le terroir de mon pays. Il y a un certain lyrisme assumé. C'est le folklore imaginaire d'un pays qui m'inspire ces mélodies. Je ne vais pas dans le folklore officiel basque. Il s'agit de la musique imaginaire de ce pays.

Avez-vous cité des références musicales dans vos échanges avec le réalisateur ?

M.P : J'ai cité John Adams ou Vivaldi au réalisateur, des choses que j'avais dans ma tête. Il m'est arrivé de mettre un disque de Charlie Parker sur une scène d'amour, mais je me disais que c'était "too mutch". Pour Vivaldi, je me disais ensuite que ce n'était pas possible, son style est trop connu. Mais Adams m'a tenté. C'est quelqu'un qui a un chemin proche du blues en partant d'une cellule pour se laisser aller à des variations. Je peux ainsi dans mes recherches m'en référer à un compositeur d'hier ou d'aujourd'hui pour déblayer ce que serait le caractère de la musique d'une séquence. Et quand j'ai le déclic, je développe à partir d'une idée et je n'en bouge plus.

De quelle nature est cette collaboration avec Jean-Pierre Denis ?

M.P : Il a une générosité incroyable. Il est passionné. Il me donne des directions du type "tendu", "extrême"... Ensuite je ne sors pas de ces caractères. En tout cas, pour élaborer ce type de relation, il faut au départ aimer l'univers de quelqu'un. A partir du moment où il y a une confiance mutuelle entre un réalisateur et un musicien on est heureux d'avancer ensemble. La musique de film n'est pas une chose facile. On peut faire mille musiques pour une séquence, mais il faut savoir écouter les intentions du réalisateur, écouter ses choix, savoir refaire des musiques en fonction des avis. J'aime quand on vient me chercher pour moi, mais il m'est arrivé de faire de l'exercice de style (une musique type Louis XIV avec de grandes orchestrations). Je me demande dans ce cas si cela est vraiment pour moi.

Comment définiriez-vous votre style musical ?

M.P : Je suis afro-jazz, c'est à dire que je mélange les choses. Et je joue toujours (en l'occurrence la clarinette basse pour ce film). J'aime bien jouer pour la musique que je fais, ainsi je suis directement dans le sentiment que je veux. Pour le violoncelle je donnais des indications à l'interprète. Je suis à ses côtés. La partition est écrite mais il improvise sur mes indications exprimées en direct. Je travaille toujours dans la musique de chambre, je suis un "chambriste" avec des formations qui ne dépassent pas dix personnes. Et en général je choisis des personnes capables d'improviser. C'est pour cela que je ne fais pas de score avec 80 musiciens.

Que retenez-vous de vos autres collaborations avec des cinéastes ?

M.P : Je suis arrivé tard dans la musique de film, vers 38/40 ans. Mes relations avec les réalisateurs ne sont pas évidentes car je commence toujours mon travail par de l'improvisation plutôt que par l'écriture. Les réalisateurs sont souvent rassurés de pouvoir entendre assez tôt quelque chose de précis, mais avec moi cela est plus compliqué. En plus je n'ai pas de home studio ni d'Internet, il est ainsi difficile de faire entendre des choses aux réalisateurs. 
Nagisa Oshima (MAX MON AMOUR en 1986) voulait une flûte basse avec vibrato comme une flûte japonaise, avec des ornements. Il savait exactement ce qu'il voulait. J'ai écrit la musique en deux jours en fonction de ses choix. 
Alain Jessua (TRAITEMENT DE CHOC en 1973, LES CHIENS en 1979, EN TOUTE INNOCENCE en 1988) me disait pour LES COULEURS DU DIABLE (1997) vouloir des tambours africains dans une séquence avec la voix d'un africain qui chante dans les graves comme du slam. J'ai trouvé ces choix osés. Ce réalisateur m'a fait réfléchir à aller de l'avant, à oser plus. Ce type de collaboration est stimulant. Avec Jessua, je faisais de l'abstraction. Il me poussait à aller chercher des choses à laquelle on ne pense pas.

Pour finir, expliquez-nous pourquoi vos BO sont rarement éditées en disques, la plupart de votre filmographie étant indisponible ?

M.P : J'ai pu faire une compilation de mes musiques qui s'appelait "Musiques de Cinémas" avec le sous-titre "Déjouées avec des amis Jazzmen". Mes morceaux pour les films durent parfois trente secondes, alors pour les éditer il faut les rejouer et les prolonger. J'ai ainsi préféré prendre des thèmes et faire quelque chose de plus long avec de bons musiciens. Ces musiques deviennent ce que je pourrais faire en jazz sur mes albums. C'est difficile de faire des disques de musique de film, et personne ne me le demande. J'essaie en ce moment de monter une compilation de mes musiques pour Jean-pierre Denis avec ses trois films pour lesquels j'ai fait la musique mais personne n'est intéressé. Si vous avez des conseils là-dessus, je vous écoute.

Ok, on en reparle après. Le message est en tout cas passé. 
Par ailleurs, quels sont vos projets ?

M.P : J'ai travaillé sur un film tunisien de Mahmoud Ben Mahmoud : PROFESSEUR. Sinon je joue toujours de ma clarinette basse en concert, que ce soit du classique ou du jazz.

Jouez-vous de vos musiques de films en concert ?

M.P : Je joue parfois MAX MON AMOUR, une des rares BO présentes à mes concerts. Les gens apprécient. Mais je ne me vois pas jouer LE RETOUR DE MARTIN GUERRE.

Interview réalisée à Paris le 14 janvier 2012 par Benoit Basirico

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