Interview B.O : Alexis Rault, L'ADIEU À LA NUIT

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Propos recueillis par Benoit Basirico - Publié le 22-04-2019




Alexis Rault retrouve André Téchiné après "Quand on a 17 ans" (2016) et "Nos années folles" (2017) avec une partition de cordes (violons, violoncelle) parcimonieuse pour ce film au sujet délicat : Kacey Mottet Klein est Alex, en pleine radicalisation religieuse, il s'apprête à partir avec sa petite amie (Oulaya Amamra) tandis que sa grand mère (Catherine Deneuve) n’a rien vu venir.

Cinezik : A quel moment André Téchiné vous a t-il présenté ce nouveau projet ?

Alexis Rault : Il m'en parlait déjà pendant l'écriture, scénario qu'il a écrit avec Léa Mysius pendant la post-production de NOS ANNÉES FOLLES. Ensuite je suis réellement intervenu quand le film était presque fini de monter, comme souvent avec lui (excepté NOS ANNÉES FOLLES puisque ce film était en partie musical, on devait travailler en amont). Il aime bien avoir un film qui se tient entièrement sans musique avant de l'utiliser ensuite pour aller plus loin, pour peaufiner. Je pense qu'il rêverait même de faire un film totalement sans musique.

Comment la nécessité de musique s'est-elle donc présentée ?

A.R : C'est un film délicat, avec un thème très clivant, il fallait faire attention à ne pas ajouter du pathos, d'autant que son cinéma est très pudique. C'est un cinéma qui ne porte pas de jugement de valeur, il n'y a jamais de bons et de méchants, il n'y a que des gens qui font ce qu'ils peuvent, avec ce qu'ils sont et d'où ils viennent. Avec la musique on pouvait vite mettre l'accent sur des émotions, en imposer trop. On voulait donc laisser la liberté aux gens d'avoir de l'empathie ou pas pour ces personnages. L'idée était principalement de montrer la lumière avec la musique. C'était surtout ça.

C'est vrai que la musique a un aspect plutôt climatique, de l'ordre de la couleur, vous n'avez pas écrit un thème évident, ce qui aurait pu justement ne pas convenir au sujet...

A.R : Au début, on a parlé avec Téchiné d'un motif obsédant qui pouvait l'aider à déceler la beauté, montrer l'intelligence et l'ouverture d'esprit de Muriel (Deneuve) et montrer l'idéal romantique chez les jeunes, montrer tout ce qu'il y a d'humain dans leur déshumanisation. L'ouverture du film est très nébuleuse et inquiétante, et le propos était d'aller vers une musique de fin plus lumineuse et minimaliste à la fois.

La musique est parcimonieuse, quel a été le travail sur cet emplacement judicieux ?

A.R : Comme souvent chez Téchiné, il n'y a pas de musique sous les dialogues, mais quand la musique est là elle a du temps pour s'exprimer et elle est signifiante. Si elle ne dit pas quelque chose on l'enlève. La musique est donc là pour montrer le chemin de Muriel et celui de la radicalisation des enfants ainsi que cette recherche de beauté. On essaye de montrer ce qu'il y a de beau là-dedans sans apporter de jugement.

On peut parler d'un espoir en train de la musique ?

A.R : En effet, il y a quelque chose de fantastique aussi. C'est l'histoire de deux gamins qui cherchent un nouvel enracinement, il y a donc un aspect un peu maléfique. Notamment avec ce générique de début qui montre une éclipse, le passage de la nuit au jour.

La musique ne les condamne pas, sans rendre pour autant leur projet positif...

A.R : Pas du tout, c'était de montrer qu'ils restent des êtres humains qui ont sombré dans quelque chose bien évidemment Inacceptable mais ils y trouvent des raisons, quelque chose qu'ils ont perdu en France, un nouvel enracinement.

L'idée était-elle d'épouser leur point de vue quelque part ?

A.R : Totalement, d'être avec eux dans leur vérité à eux, et de ne pas avoir un jugement condescendant au-dessus. C'est aussi le propos d'un homme de l'âge d'André Téchiné, qui est aussi celui de Catherine Deneuve dans le film, donc c'est le regard de leur génération sur une jeunesse qui se déshumanise.

Quel réalisateur Téchiné est-il sur ce film là pour un compositeur ?

A.R : Il offre un cadre très précis, dans lequel on est très libre de faire ce qu'on veut. Il n'a pas été directif dans l'instrumentation ni dans l'orchestration, je sais juste qu'il n'aime pas le piano, ni les mélodies trop insistantes. On est surtout libre de ne pas être d'accord avec lui éventuellement. Il aime qu'on lui propose autre chose. On dépasse les choses auquel il avais pensé. Au pire, il n'aime pas, mais il est toujours content d'avoir essayé autre chose, de sortir de sa zone de confort. C'est agréable évidemment ! J'ai composé pour des endroits précis, on a aussi pu enlever des choses pour voir si ça fonctionnait sans, et ensuite je lui ai suggéré d'en ajouter à d'autres endroits. Il avait quand même une idée assez précise de ce que la musique pouvait apporter sur son film. C'est ce qu'on demande à un metteur en scène, de savoir ce qu'il attend de nous et ce que la musique peut apporter à sa mise en scène. J'aime être guidé, je ne suis pas au cinéma pour avoir une Carte Blanche, surtout pour quelqu'un de ce talent-là !

Utilise-t-il des musiques références ?

A.R : Il avait juste en tête un thème de Max Richter, un petit motif répétitif. C'était la seule chose qu'il m'a faite écouter.

Ce que vous faites pour Téchiné est très différent de ce que vous faites en dehors...

A.R : C'est vrai, mais curieusement c'est cette musique qui m'est le plus naturelle, cette musique que je ferais le plus naturellement si je devais faire quelque chose pour moi. C'est un cinéma que je crois bien comprendre. Il y a quelque chose d'assez naturelle dans la collaboration.

Votre prochain film ?

A.R : "Les Hirondelles de Kaboul" de Zabou Breitman et  Eléa Gobbé Mévellec (Présenté à Un Certain Regard, Cannes 2019). 

Propos recueillis par Benoit Basirico

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