par Benoit Basirico
- Publié le 21-05-2019Après un premier virage comique de son cinéma à partir de la série P'TIT QUINQUIN (2014), confirmé avec MA LOUTE, le cinéaste Bruno Dumont entreprend depuis JEANNETTE (2017) un tournant musical, lui qui misait plutôt sur le son, les silences, pour une forme d'austérité. Tandis que le premier volet de ce diptyque sur Jeanne d'Arc était rock, dansant et extravagant (avec la musique de Igorrr), illustrant la fougue de la jeunesse et l'innocence, cette deuxième partie s'oriente davantage vers le spirituel. L'expression du corps laisse la place à l'expression du verbe. La parole est ainsi au centre et celle-ci se fait aussi chantante. Le travail sur le timbre des voix est incroyable, prolongé par les chansons de Christophe invité improbable du cinéma de Dumont.
En plus de signer un thème lyrique revenant à plusieurs reprises, placé et interrompu par Dumont de manière arbitraire (à la Godard), il a écrit et interprète quatre chansons (dont une à l'image lors de la scène du procès). Après n'avoir été qu'une voix, il devient un visage lors de ce chant enfin incarné. Le film relate le dilemme entre l'expression des mots et l'esprit, à l'image de cette Jeanne (superbe Lise Leplat Prudhomme) qui s'obstine à renoncer à Dieu malgré l'insistance de la communauté et la menace de mort. Elle ne peut se mentir, incapable de dissocier la parole de sa pensée. C'est un film sur l'intégrité et la ténacité. Et la partition instrumentale majestueuse de Christophe (piano, synthé éthéré ou imposant) atteint le sublime par sa pureté, dénuée de fonction narrative et illustrative, elle relate la pensée intime de Jeanne, son mystère et son illumination.
"Oh mon dieu, je serai la douleur, des batailles quand les assaillants montent comme un flot qui s'emporte... J'aurai peur de ce flot qui déborde... les manteaux écrasés, les casques et les cranes, les haches entaillées, la cuirasse et la chair... j'étais chef de bataille, au dieu ces haches là taillées pour m'obéir, à moi.... à l'assault, à lui..."
par Benoit Basirico