Interview B.O avec Grégoire Hetzel (ROUBAIX, UNE LUMIÈRE, en Compétition Cannes 2019)

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Propos recueillis par Benoit Basirico - Publié le 29-05-2019

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Le compositeur Grégoire Hetzel est l'invité de Benoit Basirico pour le film de Arnaud Desplechin qu'il retrouve pour la 7e fois, avec un retour en compétition 11 ans après "Un conte de Noël" (2008).

De quelle nature est votre collaboration régulière avec Arnaud Desplechin ?

Grégoire Hetzel : J'ai appris la musique de film sur le tas, en la faisant avec lui. Et à chaque fois ce fut différent. Sur ROIS ET REINE (2004), je n'avais eu que 15 jours pour composer la musique. Curieusement quand on a peu de temps l'essentiel vient. Pour UN CONTE DE NOËL (2008), j'avais beaucoup plus de temps. Mais on peut imaginer que quand on connaît un réalisateur, on travaille plus facilement, alors que sur ce dernier film, ça a été ma plus difficile collaboration avec lui. C'était vraiment terrifiant. A la fin, on a fini par s'engueuler, on a même annulé une séance d'enregistrement. C'était très compliqué.

Quel rôle a votre musique dans son cinéma ?

G.H : La musique est toujours narrative, romanesque, c'est vraiment un personnage sans visage. La musique de film est sous les dialogues, derrière les visages. Le cinéma, c'est d'abord des images avant d'être du son. C'est une fonction très humble de faire de la musique de film. J'écris humblement ma musique sous des dialogues qui sont ensuite vénérés par des millions de spectateurs. J'adore cette idée de fonction. La musique est évidemment très importante, elle contribue totalement aux films, mais de manière assez secrète. Il faut être attentifs pour entendre à quel point elle contribue aux films. Mais Arnaud est très reconnaissant. Il n'y a pas de problème d'ego à avoir si on sait à quelle place on est, tout simplement.

Comment le dialogue sur la musique s'opère avec lui ?

G.H : Arnaud ne connaît pas la musique au point de vous donner des indications précises, mais il a une très forte intuition, il est très sensible, donc il entend ce que ça donne en terme d'émotions et de dramaturgie. Il est très attentif au moindre détail instrumental. Parfois il me suggère de monter une note, et il la chante... Au fur et à mesure le langage commun est devenu très facile. Et sur ROUBAIX, UNE LUMIÈRE, c'était d'un simplicité incroyable ! C'était totalement inspirant. Je n'ai eu que 4-5 semaines pour composer une heure de musique. C'était un dialogue absolument merveilleux.

Avec ROUBAIX, UNE LUMIÈRE, Arnaud Desplechin semble avoir changé son cinéma, le registre de filmage, le montage, son approche du réel. Musicalement, avez-vous senti ce renouvellement ?

G.H : Oui. D'abord, il n'y a que de la musique originale, ce qui est assez neuf, puisqu'il avait l'habitude de placer des airs classiques, du rap ou de la variété. Et la musique est beaucoup plus minimaliste que d'habitude, moins romanesque, plus tenue, plus post moderne. Et pour la première fois, il n'y avait pas de références. En même temps, ayant eu l'apprentissage "Desplechin" depuis six films, j'ai forcément une identité "Desplechin" très prononcée. D'ailleurs, ma compagne qui ne savait pas sur quel film j'étais en train de travailler passe dans mon studio et me dit "ah c'est pas Desplechin ?", en écoutant la musique. On entend tout de suite dans la musique qu'elle s'adresse à un film de Desplechin. Mais cette musique est très différente de toutes celles qu'on a faites. Elle est totalement moi-même. J'ai impression de mettre libéré de Desplechin, c'est très curieux. J'ai réussi à me libérer de son oreille, de son regard, à faire totalement ce que je voulais, et à m'emparer du film. Il en était ravi. C'était nouveau pour moi.

Quelle est la place de la musique dans cet univers très réaliste, presque documentaire, de ces interrogatoires policiers ?

G.H : J'avoue que c'était un travail très complexe. En revoyant le film à Cannes je me suis dit d'ailleurs qu'il y avait un peu trop musique. Je pense qu'il y a des endroits où on peut la sous-mixer ou l'enlever, je vais voir, on va peut-être retravailler dessus. C'est mon point de vue, pas le sien. Il y a des interrogatoires, des arrestations, ce qu'on appelle un réalisme, la musique est là pour inoculer des affects, de l'angoisse, de la peur, de la tristesse, du destin... c'est vraiment un contrepoint de sens et d'accompagnement du réel. La musique fait basculer le film dans un autre univers. Desplechin a d'ailleurs essayé le film sans musique, et c'est là qu'on le retrouve, ce n'est pas non plus les frères Dardenne, le film a quand même un autre versant. Il assume le divorce entre le cinéma et le réel. Et la musique vient accompagner cela et faire la bascule. Le film est nocturne, cela contribue à un certain mystère esthétique. Il y a Noël aussi. C'est comme un versant nocturne d'UN CONTE DE NOËL. Ca se passe le même soir donc on peut imaginer qu'à côté de la vie bourgeoise d'UN CONTE DE NOËL dans une maison, il y a ce qui se passe par ailleurs ce soir-là dans les rues et au commissariat de Roubaix.

 

 

Propos recueillis par Benoit Basirico

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