misery,shaiman,@, - Misery (Marc Shaiman, 1990), complexité psychologique d'un face à face malaisant Misery (Marc Shaiman, 1990), complexité psychologique d'un face à face malaisant

misery,shaiman,@, - Misery (Marc Shaiman, 1990), complexité psychologique d'un face à face malaisant


par Thibault Vicq

- Publié le 20-09-2019




La bande originale de Misery marque une étape cruciale dans la collaboration fructueuse entre le réalisateur Rob Reiner et le compositeur Marc Shaiman. Après le succès de leur romance emblématique Quand Harry rencontre Sally..., le duo opère ici un changement de registre radical. Shaiman, alors connu pour ses partitions légères et jazzy, démontre une polyvalence saisissante en plongeant dans les méandres du thriller psychologique. Sa musique pour Misery n'est pas un simple accompagnement, mais un pilier fondamental de la tension du film, transformant ce huis-clos anxiogène en une exploration terrifiante de l'obsession et de la captivité.    

Au cœur de la partition se trouve un thème principal d'une simplicité désarmante, mais d'une efficacité redoutable. Construit autour d'un motif lancinant de trois notes descendantes, il incarne l'ambiguïté du personnage d'Annie Wilkes. Initialement confié au piano et à des vents solistes, ce thème installe une atmosphère de fausse quiétude, presque une mélancolie romantique qui pourrait suggérer la dévotion sincère d'une admiratrice. Cependant, cette apparente douceur est constamment minée par une dissonance sous-jacente, créant un malaise palpable. Ce motif devient ainsi le leitmotiv de l'amour obsessionnel d'Annie, une berceuse macabre qui annonce sa folie latente bien avant qu'elle n'éclate à l'écran.

L'intelligence de la composition de Shaiman réside dans son évolution orchestrale, qui suit parfaitement le basculement psychologique des personnages. Alors que la façade de normalité d'Annie se fissure, la partition se métamorphose. Les arrangements délicats du début cèdent la place à des textures sonores de plus en plus agressives. Les trémolos stridents des cordes et les accords dissonants martelés traduisent l'instabilité grandissante d'Annie, tandis que les cuivres brusques et menaçants soulignent la violence de ses actes. Cette orchestration évolutive crée un contrepoint angoissant à la mise en scène géométrique et quasi théâtrale de Rob Reiner, où la musique exprime le chaos intérieur qui se cache derrière l'ordre apparent de la maison.

La musique fonctionne également comme un puissant outil narratif pour gérer le suspense et l'espace. Shaiman utilise des masses d'accords pesants et des phrases musicales fragmentées pour illustrer les tentatives d'évasion infructueuses de Paul Sheldon et le sentiment d'enfermement claustrophobique. Chaque fois que l'écrivain explore la maison, la musique souligne la précarité de sa situation, transformant chaque pièce en un territoire hostile. À l'inverse, le thème associé au shérif Buster, plus rythmé et mélodique, offre un bref espoir venu du monde extérieur, rendant son échec final d'autant plus tragique et isolant davantage Paul dans son cauchemar.

Loin de se contenter de souligner l'action, la musique en est une composante active, un personnage à part entière qui manipule les émotions du spectateur avec une précision chirurgicale. En parfaite symbiose avec la vision de Rob Reiner, la musique amplifie chaque nuance du duel entre les protagonistes, rendant la performance oscarisée de Kathy Bates encore plus terrifiante. C'est une œuvre sombre et complexe qui prouve que le silence et les mélodies les plus simples peuvent être plus effrayants que les plus grands éclats orchestraux, et elle demeure l'un des sommets de la carrière du compositeur.



par Thibault Vicq


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