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,@,chaplin,Cannes 2025,ruee-vers-lor2025050813, - Charlie Chaplin, compositeur de cinéma Charlie Chaplin, compositeur de cinéma

[La Ruée vers l'Or - reprise au cinéma reprise le 26 juin 2025]

,@,chaplin,Cannes 2025,ruee-vers-lor2025050813, - Charlie Chaplin, compositeur de cinéma

par Benoit Basirico

- Publié le 07-01-2020




La projection de "La Ruée vers l'Or" en ouverture de Cannes Classics 2025 (et reprise au cinéma le 26 juin 2025) permet de rappeler que Chaplin, non seulement producteur, réalisateur et comédien, était aussi le compositeur de la musique de ses films. 

Après un parcours dans le music-hall en Angleterre, le cinéaste Charlie Chaplin devient un pionnier du cinéma burlesque, du mélodrame, ou encore de la farce satirique. Au temps du muet, les films n'avaient pas de musique propre. Ils étaient accompagnés soit par un pianiste improvisant en relation avec l'action, soit par un orchestre (selon le budget de la salle) jouant des musiques de répertoire illustrant ce qui se passait à l'écran. Déjà, Chaplin ne se privait pas de faire des recommandations d'emprunts musicaux pour des moments clefs de ses films.

C'est avec l'avènement du cinéma sonore que Chaplin commence véritablement son activité de compositeur. Le cinéaste déplore que ce nouveau cinéma soit si parlant, œuvrant, selon lui, pour le "culte du bavardage". C'est alors que, pour survivre artistiquement dans ce contexte, il a l'idée de remplacer les mots par les notes. Chaque dialogue, ou presque, deviendra musical. Il assure alors lui-même la composition musicale, puisque la musique fait chez lui partie intégrante de la mise en scène et des enjeux narratifs.

Le premier film sonore du cinéaste, LES LUMIÈRES DE LA VILLE (City Lights, 1931), est donc aussi son premier film dont il écrit la musique. Comme un pied de nez au parlant, il y remplace les mots des dialogues par sa partition. Par exemple, le discours inaugural du maire est illustré par le son du kazoo, moquant la vacuité des paroles officielles. Chaplin invente ainsi une forme de cinéma sonore sans paroles intelligibles, où la musique se substitue au dialogue verbal pour porter la narration et l'émotion.

Même si la parole et la voix prendront progressivement de plus en plus de place dans son cinéma – que ce soit par le chant (la fameuse chanson "Je cherche après Titine" dans LES TEMPS MODERNES en 1936, où sa voix est entendue pour la première fois) ou par la dénonciation du culte du pouvoir à travers la parole exacerbée d'Hitler (Adenoid Hynkel) dans LE DICTATEUR en 1940 – il continuera malgré tout, jusqu'à la fin de sa carrière, à mettre en musique ses propres films. Il composera ainsi toutes les bandes originales de ses films à partir de l'expérience des LUMIÈRES DE LA VILLE. Il va même élaborer un discours musical en adéquation avec son système comique, militant pour le contrepoint : il propose souvent une musique romantique et mélodieuse qui contraste avec les gags visuels, plutôt qu'une musique qui chercherait à souligner lourdement le comique, bien qu'il n'hésitait pas non plus à utiliser ponctuellement des effets de synchronisation très précis entre la musique et l'action (du "Mickey Mousing").

L'élégance de sa musique, qui fait la part belle aux cordes, confère une forte dimension affective à ses œuvres. Le mélodrame sous-jacent derrière le rire est ainsi largement favorisé et amplifié par la partition. Celle-ci ne fait jamais concurrence aux images mais entreprend son propre envol romantique, enrichissant la portée émotionnelle des scènes.

Il prend tellement goût à l'activité de compositeur qu'il finit même par reprendre ses anciens films muets pour leur attribuer, a posteriori, une partition originale. Ainsi, la musique de LA RUÉE VERS L'OR (1925) sera écrite en 1942 (avec la fameuse "Danse des petits pains", moment où la musique devait se synchroniser avec une précision chorégraphique), et celle de THE KID (1921) en 1971. D'autres films comme LE CIRQUE (1928) bénéficieront également d'une nouvelle partition dans les années 1960-70.

Chaplin était un musicien largement autodidacte. Son grand sens inné de la musique lui vient sans doute de son expérience précoce de l'interprétation et du rythme scénique. Il a appris très jeune à jouer de plusieurs instruments, notamment le violon (qu'il jouait de la main gauche) et le violoncelle, mais il ne maîtrisait ni la lecture de la musique à un niveau professionnel, ni l'écriture de l'harmonisation et de l'orchestration. Pour cette tâche, il s'est toujours entouré d'illustres arrangeurs et orchestrateurs. Parmi eux, on peut citer David Raksin (futur compositeur de LAURA d'Otto Preminger), qui orchestra la partition des TEMPS MODERNES, avec Alfred Newman à la direction d'orchestre, Meredith Willson (pour Le Dictateur). Eric James fut son collaborateur musical attitré pour ses dernières œuvres, notamment sur UN ROI À NEW YORK (1957) et LA COMTESSE DE HONG KONG (1967), ainsi que pour plusieurs des partitions qu'il conçut à la même époque pour la re-sonorisation de ses films muets. Il fredonnait, sifflait ou jouait au piano/violon les mélodies qu'il avait en tête à ses collaborateurs, qui se chargeaient ensuite de la transcription et de l'orchestration sous sa direction très précise. Il était connu pour être extrêmement exigeant et directif, sachant exactement ce qu'il voulait entendre.

Alors qu'aujourd'hui on connaît surtout le cinéaste en oubliant parfois ses talents de composition et ses inventions de mélodies intemporelles (comme "Smile" des Temps Modernes ou "Eternally" des Feux de la Rampe), l'ironie veut que l'unique Oscar de sa carrière (hormis deux Oscars d'honneur) il le recevra pour une musique de film : celle des FEUX DE LA RAMPE (Limelight). Réalisé en 1952, le film ne fut distribué à Los Angeles qu'en 1972, ce qui le rendit éligible et lui permit d'être récompensé aux Oscars de 1973, plus de vingt ans après sa création, en raison de l'interdiction dont il avait fait l'objet aux États-Unis pendant la période du maccarthysme.

Charles Chaplin, compositeur de cinéma, a pu figurer au programme de la Philharmonie et avoir un documentaire pour honorer ce talent : 

Charlie Chaplin, le compositeur | ARTE

Exposition Chaplin, l'homme-orchestre | Philharmonie de Paris

 

 

par Benoit Basirico


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