FANTASIA (Disney) : l’inclassable fusion entre la musique et l’image

fantasia, - FANTASIA (Disney) : l’inclassable fusion entre la musique et l’image


par François Faucon

- Publié le 20-03-2020




A l'occasion du discret et très exigeant 4e festival du film d'animation de Courthézon (Vaucluse) durant lequel la conférence d'où découle le présent article a été donnée (février 2020), célébrons ce qui reste l'un des joyaux absolus de la firme Disney : « Fantasia ». Films aux multiples facettes et dont le succès ne se dément pas depuis quatre-vingt ans, « Fantasia » apparaît comme l'enfant sacré du réalisateur, la perle rare, le film inclassable ne rentrant dans aucune case sinon la sienne. Proposons quelques clefs d'analyse pour cette musique à l'écran, ce film musicalisé, cette osmose entre les deux. Les mots sont-ils suffisants ?

Un projet cinématographique évolutif 

1940. Avec un budget de 2,3 millions de dollars (on peut avoir la meilleure idée du monde, si elle ne rapporte rien, l'establishment cinématographique américain ne lèvera pas un sourcil...), « Fantasia » se fixe un objectif simple et ambitieux : faire renouer les plus jeunes avec la musique classique. Cet objectif en croise un autre, plus ancien : redynamiser la carrière de Mickey, en perte de vitesse face à Donald. Le projet initial de mettre en image une œuvre classique date de 1937/1938 alors que Disney souhaite musicaliser « L'Apprenti sorcier » de Paul Dukas. Le personnage principal doit être Simplet, le nain sentimental et très attachant de « Blanche Neige ». C'est finalement Mickey qui lui vole la vedette...
Dans une visée pédagogique visant à clarifier les codes du classique auprès des plus jeunes qui ont du mal se les approprier, sans pourtant avoir d'a priori sur la « musique à l'écran », « Fantasia » s'ouvre sur une scène d'orchestre. Les musiciens s'y installent et « chauffent » leurs instruments comme sur les plus grandes scènes internationales. Puis Deems Taylor, le Maître de cérémonie, fait son entrée. Le spectateur peut alors assister au film comme s'il s'agissait d'un véritable concert.
La première de « Fantasia » est donnée le 13 novembre 1940 au Broadway Theater de New-York. Donc dans une salle de concert, non un cinéma !

Dès le départ, Disney opte pour une diffusion itinérante de « Fantasia ». Mais l'ensemble du matériel audio nécessaire à la projection (Fantasound) représente un coût tel pour les salles, qu'en janvier 1941, seules douze sont équipées aux Etats-Unis. Bientôt, Uncle Sam va rappeler que l'urgence économique, c'est l'effort de guerre et non l'équipement des salles de spectacle... L'Europe représentant à cette époque 45% du marché, les recettes de « Fantasia » ne dépassent pas les 325 000 dollars au terme de la première année d'exploitation. Un loisir grand public à base de Bach et de Stravinsky peut dérouter...

Peu importe. « Fantasia » est révolutionnaire dans sa structure : un spectacle composé de sept séquences sécables, interchangeables et pouvant être données à différents endroits. Un programme évolutif donc, et pouvant s'enrichir de séquences nouvelles avec l'amplification et la diversification du projet. Au-delà du programme initial que tout le monde connaît, Disney envisage de rajouter « Clair de Lune » de la « Suite bergamasque » composée par Debussy (8e séquence de « Fantasia »). Puis, « La chevauchée des Walkyries » de Wagner. A la clef, rien moins qu'un nouveau film chaque année ! Cet aspect-là du projet reste lettre morte. Disney est même obligé de proposer une version abrégée de 88 minutes pour satisfaire son distributeur, effrayé par le gouffre financier que représentent alors Bambi et Pinocchio. En revanche, l'idée du film musical à séquences évolutives perdure. En 1946, Disney ressort « Pierre et le loup » de Prokofiev, un projet initialement prévu pour faire partie des évolutions de « Fantasia » et auquel le compositeur avait donné son accord dès 1941. Il est finalement intégré au long métrage « La boîte à musique » en 1946 avant d'être donné seul en 1955.

La sortie de « Fantasia » n'est pas un succès, même si les critiques restent plutôt favorables. Certains félicitent Disney « pour sa hardiesse en entreprenant en premier une telle expérience ». « Fantasia » n'est pas pour les enfants ; c'est de l'art ! Peu avant la première, le New-York Times est élogieux : « Le Disney qui a rendu les personnages de contes de fées vivants a ici libéré la musique de la scène, l'a fait couler et surgir de l'auditorium, et lui donne une nouvelle dimension et une nouvelle richesse. » D'autres hurlent au scandale à l'idée même de visualiser la musique et vont jusqu'à parler d'attentats cinématographiques, d'une débauche de sexualité anale dans la « Pastorale » de Beethoven. Quoiqu'il en soit, Disney reste fier de son œuvre en expliquant que « Fantasia est intemporel. Il peut continuer dix, vingt, trente ans. Fantasia est une idée en elle-même. Je ne pourrai jamais refaire un autre Fantasia. Je peux l'améliorer. Je peux le détailler. C'est tout. »

Le film va connaître différentes évolutions que Disney ne pouvait prévoir. 1960. La censure supprime Otika, le juvénile centaure africain, de la « Pastorale » de Beethoven afin d'éviter les accusations de racisme.

Les minorités noires de l'époque sont, pour beaucoup, cireurs de chaussures, balayeurs et autres métiers dégradants sur fond de ségrégation raciale. Les coupures et zooms découlant de cette censure créent une désynchronisation entre la musique et l'image qui mènent à la refonte de certaines séquences (à voir ICI). En 1990, le film d'origine ressort avec l'enregistrement musical d'époque, resynchronisé et en stéréo grâce au numérique. A cette occasion, le travail sur les négatifs permet de récupérer la 8e séquence que l'on pensait perdue « Blue Bayou » sur le « Clair de Lune » de Debussy.

2000. Disney sort une suite intitulée « Fantasia 2000 ». Hommage plus qu'évolution véritable du projet initial, ce film reprend le même type de séquences et fait la part belle à « L'Apprenti Sorcier », source du projet initial. Sorte de revanche amicale face à Mickey, star du film depuis 1940 et qui avait repris l'ascendant sur son rival Donald, ce dernier se voit attribué l'un des rôles principaux : un avatar du Noé biblique dans la marche n°1 de « Pomp and Circumstance » composée par Edward Elgar en 1901.

2006. Un troisième opus doit voir le jour et avorte suite à la fermeture de certains studios Disney en Floride, fermetures découlant des sous-performances de certains films. Si le principe de la séquence musicale reste le même, la nouveauté vient alors des choix musicaux. Pour la première fois depuis 1940, les musiques ne sont plus exclusivement européennes mais empruntent aux « musiques du monde » quitte à sortir du classique. Ainsi, une séquence consacrée aux Beatles aurait peut-être été envisagée à l'initiative de Jeffrey Katzenbger, directeur de Walt Disney Company à partir de 1984. Les tentatives de rapprochement entre Disney et le groupe légendaire ne constituent pas une idée neuve. On se souvient du quatuor de vautours dans « Robin Hood » (musicalisé par l'excellent Georges Bruns en 1973)...

En tout, 23 minutes existent de ce « Fantasia 2006 » qui ne verra jamais le jour en tant que tel : « Destino » (image de Salvatore Dali sur une musique composée par Armando Dominguez), « Lorenzo » (sur un air de tango : « Bordoneo y 900 » composé par Mosalini en 2008), « One by One » (sur une musique de Lebo M, disponible en bonus sur le DVD « Le Roi Lion 2 »), « The Little Matchgirl » (sur une musique de Borodine).

Un projet cinématographique musical 

« Fantasia » est une fusion entre l'image voulue par le génial Disney (il est considéré comme tel de son vivant) et la musique selon Léopold Stokowski. Chef de l'orchestre de Philadelphie de 1912 à 1938, charismatique, populaire et possédant un sens du phrasé musical perdu aujourd'hui, Stokowski est célèbre pour les libertés qu'il prend avec le texte musical. Aucun chef contemporain n'aurait (à juste titre d'ailleurs...), l'audace d'accomplir un centième des arrangements qu'il s'autorisait. Quant aux transcriptions, notamment celles depuis les partitions pour orgue de Bach vers grand orchestre, elles sont toujours jouées par de grands noms de la direction d'orchestre : depuis le regretté Wolfgang Sawallisch jusqu'à l'inclassable Esa-Pekka Salonen.

Toscanini détestait Stokowski, et dans une lettre jamais envoyée (vraisemblablement sur les conseils de son fils), le maestro italien s'adressait à lui en ces termes : « Believe me, you are ready for mad-house or for jail... Hurry up!!! ». En cause, une interprétation par Stokowski de la « Symphonie » de César Franck. Toscanini prendra des libertés identiques sur d'autres œuvres sans que cela ne le gêne davantage. Celibidache quant à lui, verra dans Toscanini un « fou » qui confond vitesse et tempo ! Comme quoi... Quoiqu'il en soit, Stokowski est l'architecte musical du film et y apparaît de façon récurrente, dans son propre rôle, en ombre chinoise à l'ouverture de chaque séquence. Parfois, Mickey vient le féliciter comme un moyen de rapprocher la jeunesse de ce monstre sacré de la baguette.

A l'origine, Stokowski est intéressé par le projet initial sur « L'Apprenti Sorcier » au point qu'il renonce à ses émoluments. Stokowski nourrit depuis longtemps une passion pour les instruments électroniques notamment pour le Clavilux, un appareil inventé par le danois Thomas Wilfried dans les années 20. Instrument silencieux, l'appareil permet de concrétiser la conception qu'a son inventeur de la lumière : une « onde inaudible », un « rayonnement silencieux ». Les compositions de lumière se meuvent avec lenteur, incarnées dans des formes de couleurs fascinantes et fugaces. Le premier « concert » est donné le 10 janvier 1922 au Neighborhood Playhouse de New York. Certaines œuvres ont été conservées (à découvrir ICI).

A certaines occasions, Stokowski marie l'image générée par le Clavilux et la musique, notamment celle de Shéhérazade de Rimsky-Korsakov. L'aventure de « Fantasia » ne peut donc qu'enthousiasmer le chef américain. Par ailleurs, ce dernier cherche depuis longtemps à mettre au point un nouveau procédé de reproduction sonore stéréo et de haute-fidélité. Son partenariat avec les laboratoires Bell lui permet de créer le procédé en question. Pour les détails techniques, cliquez ICI (à entendre également sur ce site, deux rares enregistrements d'époque selon le procédé en question).

Sur le projet initial de mettre en image « L'Apprenti Sorcier », Disney utilise un enregistrement de... Toscanini. Lors du développement de ce projet, Disney rencontre finalement Stokowski à Hollywood et évoque son travail. Disney ressort de cette soirée « revigoré », enthousiasmé face « aux possibilités d'une telle combinaison ». Elles « nécessiteront son orchestre complet ainsi qu'une forme de compensation pour Stokowski ». Ce dernier accepte d'enregistrer « L'apprenti Sorcier » pour la première animation avec Simplet. Pendant les différentes phases d'enregistrement et de pré-production, Stokowski lance une idée dont on imagine volontiers qu'elle lui permettrait d'exploiter son goût pour l'innovation sonore et picturale. « Fantasia » est né (sur une expression de Stokowski), défini comme un « spectacle cinématographico-musical évolutif ». Disney est intrigué et convoque Deems Taylor, musicologue, pour travailler sur ce nouveau projet. Celui-là même qui sera le « maître de cérémonie » du film.

Le coût de production de « L'Apprenti Sorcier » dépasse alors les 125 000 dollars, ce qui pousse Disney à le fondre dans le nouveau projet « Fantasia ».

Le choix des musiques semble dater de 1938. Mais, mécontent des avancées sur « Cydalise et le Chèvre-pied » de Gabriel Pierné, Disney le remplacera par la « Symphonie Pastorale » de Beethoven.

Stokowski procède à des arrangements pour les besoins du film. Sa vision des œuvres musicales et les contraintes techniques du projet semblent les imposer. Pour la première séquence, Toccata pour orgue de Bach, Stokowski réorchestre totalement la partition de Bach et l'adapte pour grand orchestre avec, à l'écran, des visuels géométriques et de couleur inspirés de l'œuvre abstraite de l'allemand Oskar Fischinger. Cherchant à reproduire l'écho de l'orgue dans une église, le chef d'orchestre prolonge la durée de certaines notes à la fin des accords. Il double également les notes par octave, utiliser le tuba contrebasse. La musique du « Casse-Noisette » de Tchaikovsky est déjà proposée en 1935 pour la série de courts-métrages « Silli Symphonies » (1929-1939). Monument d'élégance, la séquence respecte l'orchestration du compositeur malgré la suppression de quelques reprises dans « La Valse des fleurs » et un tempo plus lent que prévu dans la « Danse chinoise ». Le fait est qu'il faut suivre le timing du film. « L'Apprenti Sorcier » respecte la partition en dépit de coupures petites mais répétitives. Cette séquence est l'occasion de mettre en scène le sorcier Yensid (anagramme de Disney), celui qui fait marcher les étoiles. Elle permet aussi d'établir une comparaison entre Stokowski dirigeant son orchestre « à la baguette », tout comme Disney dirige son équipe de production. La séquence consacrée au « Sacre du printemps » de Stravinsky est plus problématique. Dès sa création en 1913, l'œuvre fait scandale et fascine en même temps, sur fond de ballets russes à la fois barbares et préhistoriques créés par Diaghilev. Il est prévu que cette séquence évoque aussi la création de l'homme en plus de celle de l'univers. Mais la longueur du film conjuguée aux hostilités religieuses de l'époque oblige la production à la prudence... Quant à Stravinsky, s'il n'est pas convaincu par l'orchestration de Stokowski, il cède les droits pour la somme de 5000 dollars (aux Etats-Unis, l'œuvre est déjà tombée dans le domaine public). La « Symphonie Pastorale » quant à elle, fonctionne sur le contraste entre son incontestable spiritualité, et les minauderies des centaures visibles à l'écran et au sein desquelles s'ébroue un Bacchus toujours aviné. L'orchestration est revue : utilisation de cors bouchés avec un orchestre plus volumineux que nécessaire, doublement des solistes pour rétablir l'équilibre orchestral, etc. Le tout sur fond d'une interprétation pâteuse ! La légèreté viendra avec « La Danse des Heures », seule piste intéressante de « La Gioconda », l'opéra finalement assez vulgaire composé par Amilcare Ponchielli. L'occasion est donnée (par l'hilarante danse des autruches et des hippopotames) de railler les habitudes un peu pompeuses du ballet classique. La dernière séquence, longue et magnifique, prend naissance sur les terres de la région ukrainienne de Kiev. Le démon Chernabog, tout d'une sépulcrale magnificence, y torture ses âmes damnées avant que celles-ci ne soient pas bannies par les lumières divines. « Une Nuit Sur Le Mont Chauve » de Moussorgski se fond, par un subtil jeu de réécriture et de décomposition des tempi, dans l' « Ave Maria » de Schubert. Au point que le néophyte peut aisément croire qu'il s'agit d'une seule et même œuvre. Pour évoquer le mal à l'œuvre dans la nuit de Kiev, Stokoswky use (de façon criminelle et néanmoins ingénieuse) des crissements d'instruments à vents, impose des sonorités aigres aux violons, multiplie les percussions agressives pour renforcer la laideur de la scène. L'ensemble des séquences de « Fantasia » est entrecoupé d'intermèdes : ceux durant lesquels Stokowsky devise avec Mickey ; celui intitulé « A la découverte de la piste sonore », digne héritière du Clavilux et à visée pédagogique.

L'unité générale du film repose peut-être sur l'idée de cycle (celui des saisons autant que celui de l'alternance entre l'harmonie et le chaos) ainsi que sur la prise de pouvoir réalisée par des forces supérieures (Zeus, Chernabog, Dieu) sur ces cycles. De peur que le grand public soit dépassé par l'ampleur des choix musicaux, Disney prévoit un guide de présentation. Le contenu de chaque séquence y est détaillé (à découvrir ICI). Une sorte de programme comme dans les plus grandes salles de concert.

En 1982, « Fantasia » connaît une nouvelle sortie avec un réenregistrement stéréo de la partition d'origine. A la direction : Irwin Kostal, connu notamment pour être à l'origine des arrangements et de la direction de « Peter et Eliott le Dragon » en 1977. L'objectif est alors de recréer l'enregistrement de Stokowsky en plus moderne et de resynchroniser la musique et le film suite aux désynchronisations des années 60. Malgré ses incontestables qualités musicales, cette version est boudée par les fans. Il faut attendre 1990 pour que soit disponible la version d'origine avec l'enregistrement de Stokowsky en stréréo, resynchronisé grâce au numérique.

En 2000, un nouveau « Fantasia » naît. A la baguette : James Levine dirigeant l'Orchestre symphonique de Chicago qui ne permet pas de retrouver la féerie de 1940. Depuis, « Fantasia » n'a connu aucune suite mais des pastiches, à l'image de « Allegro non troppo » en 1977 par Bruno Bozzetto.

Après « Fantasia 2000 », on pourrait croire l'aventure terminée ; mais la structure du film, par « séquences évolutives », le rend éternel et jamais achevé. D'où « Fantasia 2006 » qui, même s'il ne comprend que 23 minutes pour quatre séquences, évolue dans la même logique.

Un projet cinématographique sonore 

Au-delà de toute considération esthétique sur l'image ou l'interprétation musicale, « Fantasia » est d'abord une nouveauté technologique. Elle porte un nom : le Fantasound. Cette innovation vaudra un oscar à Disney.

A l'origine du projet, Disney estime que le son monophonique n'est pas satisfaisant et ne peut en aucun cas réaliser « l'expérience immersive » dont il rêve pour son film. Etre non pas devant un écran mais à l'intérieur d'une salle de concert. Il souhaite donc passer à un autre système nommé aujourd'hui « stéréophonie ».

Une tentative dans ce sens a été réalisée par Abel Gance pour son Napoléon datant de 1935 : « Napoléon vu et entendu par Abel Gance ». Sorti le 11 mai de la même année dans la salle parisienne Paramount, le film utilise pour la première la « Perspective sonore » inventée par André Debrie. Le son ne provient plus d'une source unique à l'arrière des spectateurs mais est spatialisé par un ensemble de trente-deux haut-parleurs entourant les spectateurs. Quelques années auparavant, Abel Gance prophétisait : « Conformément à la présente invention, au lieu d'un seul enregistrement sonore, on en utilise plusieurs pour la représentation. Ces divers enregistrements sonores permettent de réaliser toutes sortes de combinaisons. Ils peuvent être identiques les uns aux autres et se dérouler simultanément ce qui renforcera simplement, d'une manière temporaire, les sons produits. Ils peuvent être identiques et décalés les uns par rapport aux autres, de sorte que le spectateur pourra à la fois entendre des bruits, des musiques, des voix venues de différents points de l'espace, ou même de lieux extrêmement éloignés, tels qu'en réalité il ne pourrait les percevoir ensemble, ce qui lui procurera une sensation extraordinaire d'ubiquité et d'élargissement de la perception. Bien entendu un ou plusieurs de ces enregistrements sonores pourront être discontinus de sorte qu'ils interviennent à certains moments, ce qui ajoute encore à la représentation une nouvelle cause de variété. [...] La multiplicité des enregistrements sonores peut évidemment être employée en combinaison avec la représentation visuelle d'un film unique. Cependant, le maximum d'effet sera obtenu en le combinant à la multiplicité des projections visuelles, telle que l'inventeur, par exemple, l'a pratiquée en faisant accompagner l'image centrale, produite par un film visuel normal, d'images d'encadrement prolongeant temporairement l'image centrale ou l'accompagnant selon les exigences du scénario. Chacune des séries d'images pourra être accompagnée des bruits qui lui sont propres, sans que cependant cela soit indispensable, le procédé conforme à la présente invention présentant une souplesse pour ainsi dire infinie [...] ».

Fantasound reprend le principe d'un grand nombre de haut-parleurs entourant les spectateurs mais va plus loin en profitant notamment des travaux de Stokowski. Ce projet révolutionnaire créé par l'ingénieur William E. "Bill" Garity, entend palier les quatre principales failles du système sonore traditionnel : plage de volume limité, source ponctuelle du son, localisation fixe de la source sonore au centre de l'écran, source fixe du son. Au cœur du système, le dispositif TOGAD : Tone-Operated Gain-Adjusting Device. Sans entrer dans les détails techniques, ce dernier est composé de deux unités : un amplificateur à gain variable et un redresseur de tonalité. L'enregistrement se fait à l'aide de plusieurs sources (système multicanal) permettant d'enregistrer plusieurs parties de l'orchestre. Le matériel nécessaire est colossal et, au-delà des problèmes de coût, l'espace disponible dans certaines salles ne permet pas son exploitation optimale.

L'ensemble est ensuite ramené à trois pistes audio plus une piste de contrôle permettant d'ajuster les bruits divers en fonction des passages musicaux puissants ou calmes. Le résultat est à la hauteur des espérances de Disney et si l'on compare les performances sonores du procédé Fantasound avec les standards de l'époque, ce dernier en sort vainqueur.

Jamais à court d'idées, Disney avait aussi souhaité un projecteur olfactif notamment pour « Casse-Noisette » ! Il ne verra jamais le jour... Pas plus que la réutilisation de certaines séquences dans des parcs d'attraction. Et que dire des jeux vidéos. Des parodies d'Itchy et Scratchy, personnages des Simpson. Des feux d'artifices. Etc. Etc.

Ce que l'on retient aujourd'hui de ce procédé, c'est le « son qui tourne ». Mais le passage définitif à un « Fantasia » en stéréo, range cette savoureuse particularité au rang des vieilleries. A moins de mettre la main sur les CD vendus dans les années 90...

L'idéal avec « Fantasia » reste peut-être simplement de profiter du spectacle...

Bibliographie :
Robin Allan, Walt Disney and Europe, John Libbey & Co, 1999.
Leonard Maltin, The Disney Films, Hyperion Books, 1995.
Harvey Sachs, The letters of Arturo Toscanini, Lettre du 19 octobre 1941, The University of Chicago Press, 2002, 2006.
W. A. Smith, The Mystery of Leopold Stokowski, AUP, 1990.
Plusieurs articles d'époque par Garity sur Fantasound sont disponibles en anglais ICI.

 

par François Faucon


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