Batman, le défi (Danny Elfman), Analyse musicale

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par Martin Mavilla

- Publié le 13-11-2020




"Batman, le défi", sorti en 1992, marque la cinquième collaboration entre Tim Burton et Danny Elfman après "Pee Wee" (1987), "Beetlejuice" (1988), "Batman" (1989) et "Edward aux Mains d'Argent" (1991). Dans cet épisode de la saga, Batman affronte le Pingouin et Catwoman. Voici l'analyse musicale, en vidéo et par écrit, de Martin Mavilla. 

BATMAN (Michael Keaton)

Le célèbre thème de Batman possède plusieurs caractéristiques.

Premièrement, il peut être joué à un tempo lent et rapide, ce qui n'est pas toujours le cas. Par exemple, le thème de Superman de John Williams est toujours joué avec un caractère dynamique inaltérable. Le thème de Batman est donc joué lentement pour les passages ténébreux et rapidement pour les scènes d'action.

Ensuite, il s'agit d'un thème modulant, souvent à distance de seconde majeure ou de tierce mineure, ce qui offre un renouvellement harmonique constant mais, d'un autre côté, donne une musique imprévisible, ce qui correspond plutôt bien au caractère impulsif de Batman.

En plus du changement de tempo et des modulations, Danny Elfman apporte un grand soin à l'orchestration, chaque nouvelle énonciation du thème étant confiée à un instrument différent de l'orchestre.
La trompette, le trombone ou le cor se relaient le thème à des hauteurs différentes ; ce qui permet au compositeur de varier à la fois les instruments et les registres.

Mais Danny Elfman ne se contente pas de répéter le thème de manière isolée puisqu'il en fait également en canon. Il s'agit de la même mélodie jouée en décalage, donnant ainsi une impression d'écho. Danny Elfman s'illustre également à travers des canons plus complexes, avec le thème de Batman joué à plusieurs vitesses en même temps.

Les cinq notes du thème de Batman permettent donc à Elfman de générer plusieurs types de variations : tempo, modulation, orchestration, canons. Mais, bien que la musique se renouvelle en permanence, on reste cependant focalisés sur les cinq mêmes notes tout du long.

Il s'agit de la même idée répétée continuellement à travers différents habillages, ce qui traduit le côté un peu obsessionnel voir névrosé du personnage. On dirait parfois un thème qui tourne sur lui-même sans jamais trouver de solution, ce qui reflète également l‘aspect maudit de Batman.

LE PINGOUIN (Danny DeVito)

Le Pingouin possède un thème et un motif.

Les deux éléments peuvent être joués indépendamment ou en se répondant, et parfois simultanément, notamment pour la naissance du Pingouin.
Ce n'est probablement pas pour rien que Elfman superpose les deux éléments pour la venue au monde du personnage, comme si le motif et le thème sortaient du ventre en même temps que le Pingouin.

L'orchestration du Pingouin est principalement caractérisée par les bois dans le grave. Dans une écriture pour orchestre, la formation standard pour les bois est composée de Basson, Clarinette, Hautbois, Flûte.
Mais pour écrire des notes relativement graves qui ne sont pas atteignables par les instruments de base, on appelle alors leurs grands-frères : Contrebasson, Clarinette Basse, Cor Anglais, Flûte alto.

Mais Danny Elfman convoque des instruments encore plus graves comme la Clarinette Contrebasse ou le Heckelphone ; des instruments qui, de par leur taille et leur registre, sont plus à même d'évoquer la lourdeur du Pingouin et la profondeur des égouts.

Le Pingouin est également caractérisé par une harpe, jouée dans le grave, près de la table et avec les ongles, ce qui donne une couleur horrifique à un instrument souvent synonyme de beauté et de grâce.

Le Pingouin déclare d'ailleurs, dans la version originale du film :
« I played this stinking city like a harp from hell »

Qui, si l'on traduit littéralement, veut dire :
« J'ai joué de cette ville puante comme une harpe des enfers ».

Drôle de coïncidence car la couleur que Elfman donne à cet instrument fait bel et bien penser à une harpe qui viendrait des enfers.

Le compositeur traduit également à merveille la thématique de l'enfant monstre, si chère à Burton. Pour ce faire, il utilise un célesta, mélangé aux bois dans le grave et à la « harpe des enfers ».
Nous assistons à un conflit entre l'innocence du célesta et la noirceur des instruments dans le grave. On a l'impression d'entendre une boîte à musique difforme qui, elle aussi, viendrait des enfers.

Si le célesta est présent de manière justifiée pour la scène d'ouverture où le Pingouin est bébé, pourquoi le conserver par la suite quand il est adulte ?

Sans doute car le Pingouin est un enfant qui n'a pas grandi, comme en témoignent son accoutrement qui est plus proche du pyjama et du bavoir qu'autre chose et de son jouet en forme de canard, visible au début du film, qui lui servira de véhicule par la suite.

Au-delà de l'aspect horrifique, son thème est teinté d'une forme de mélancolie avec ce célesta, comme une aspiration à retrouver la chaleur de son foyer. Rappelons qu'en remontant à la surface, le Pingouin cherche d'abord à retrouver la trace de ses parents et savoir d'où il vient.

Ce qui nous mène à une scène qui est sans doute l'une des plus belles compositions de toute la carrière de Danny Elfman : la mort du Pingouin.

Pour commencer, le thème est cette-fois ci joué dans le registre médium, ce qui est plutôt rare avec le Pingouin. Quitter le grave pour le médium nous offre un équilibre acoustique inconnu jusque-là.
Danny Elfman ajoute également des notes au thème du Pingouin, qui devient alors mélodieux et lyrique, comme si sa mort était plus une délivrance qu'autre chose.
Notons également que cette scène nous offre une déclinaison du thème en majeur.
Et, pour couronner le tout, le célesta n'est plus enlaidi par d'autres instruments. Il perd de sa couleur horrifique et retrouve une forme d'innocence.

C'est donc au moment où le Pingouin meurt que son thème devient beau.

CATWOMAN (Michelle Pfeiffer)

Selina Kyle est privée de musique pendant une partie du film, ce qui nous fait mieux éprouver sa solitude et le poids des situations. De plus, la musique de l'ancienne Selina est composée à partir de bruits du quotidien peu séduisants, comme le bruit du métro qui passe ou les pubs de son répondeur. Ce qui rend le thème d'autant plus fort quand il éclate ; on ressent cette marmite qui a bouilli pendant trop longtemps.

Le thème de la transformation est réparti sur trois octaves, dans l'aigu, ce qui donne un sentiment de hurlement très lyrique et puissant. On peut également remarquer une ligne chromatique accompagnant la mélodie à chaque mesure, symbolisant la mort de l'ancienne Selina.

Aussi frappant soit-il, ce thème n'est présent que dans trois scènes du film. La première est celle de la transformation et la deuxième est à dix minutes de la fin, quand Selina découvre que Batman est en réalité Bruce Wayne.
Et l'on entend ce thème une dernière fois quand Bruce croit l'avoir aperçue dans une ruelle mais ne récupère qu'un chat noir lui évoquant le souvenir de Catwoman.

Pourquoi ne pas utiliser ce thème plus souvent ? Dans des scènes de combat ou de cambriolage, par exemple ?
Car ce thème qui a une connotation tellement tragique que Danny Elfman le réserve pour les moments de détresse et de mélancolie, et il serait inapproprié de l'entendre dans des passages où Selina reprend le dessus. Ce thème n'est donc pas utilisable à volonté contrairement à celui de Batman et du Pingouin.

Dans ce cas, quelle musique pour les autres passages ?

Avant que Selina ne se transforme, nous assistons à une préfiguration du thème, à travers deux éléments.
Une première mélodie tortueuse est d'abord énoncée ; assez proche du thème mais avec les notes dans le désordre et faisant des pauses. Il s'agit d'un thème qui se cherche encore.
De plus, les notes sont groupées par sept, ce qui offre un débit très régulier mais à la fois inquiétant car il est joué sans émotion par les cordes.
On retrouvera quelques variations de ce thème de manière plus sensuelle, notamment lorsque Catwoman décapite des mannequins dans la boutique de Shrek et flirt avec Batman

Le deuxième élément est caractérisé par les glissandi de violons qui rappellent les miaulements d'un chat. Le glissando, comme son nom l'indique, consiste à faire glisser le doigt sur la corde de l'instrument. Il s'agit d'une technique plutôt efficace pour évoquer des miaulements.
Dans l'Enfant et les Sortilèges, Maurice Ravel utilise cette technique de jeu pour illustrer une parade entre deux chats, sauf qu'aucun chat ne miaule dans le registre aigu et strident que nous livre Danny Elfman.
Une fois de plus, le compositeur mutile le son pour en donner une version horrifique.

Il est également amusant de voir comment la musique interagit avec le design sonore du film. Parfois, les violons se mêlent aux miaulements des chats et dans d'autres cas, ils se rapprochent plus d'un crissement des griffes.
Danny Elfman parvient donc à fusionner le miaulement et le coup de griffe à travers un seul geste musical.

Pour résumer, le compositeur nous offre trois thèmes magnifiquement pensés aussi bien orchestralement que mélodiquement mais va également mettre ces trois thèmes en commun.

POINTS COMMUNS

Comme il déclara dans une interview de l'époque :

« J'ai composé trois thèmes principaux, chacun ayant ses propres caractéristiques, mais devant aussi fonctionner avec les autres, soit par jumelage ou bien en combinant les trois en même temps. »

Dans ce film, Elfman traduit la vision de Burton, nous montrant à quel point ces trois personnages sont proches, aussi bien à travers leur animalité que certaines valeurs morales.

Par exemple, notons que le thème de Batman et Catwoman démarrent sur les trois mêmes notes, comprises dans un intervalle de tierce mineure. Le motif du Pingouin, quant à lui, est également englobé dans ce même intervalle bien que les notes ne soient pas jouées dans le même ordre.

Nous pouvons donc constater un cousinage dans l'essence même de leurs thèmes mais, parfois, il arrive que le thème d'un personnage soit camouflé chez l'autre.

Dans la scène où le Pingouin envoie son armée sous l'eau, la musique démarre sous forme de marche militaire et se transforme en danse qui rappelle le folklore des pays de l'Est, illustrant la jubilation du Pingouin.

On retrouve les cinq notes emblématiques de Batman, jouées dans l'aigu et par les bois, ce qui n'est ni le registre ni l'orchestration du personnage. Chez Batman, les bois servent généralement à ponctuer et relancer le discours de manière très brève, et les cuivres ont la partie thématique.

Ici, le thème de Batman a réussi sa mission de camouflage en quelque sorte.

Mais parfois, le thème est aussi joué à découvert, comme dans le générique.
Ce générique se déroule dans les égouts, l'univers du Pingouin et c'est pourtant le thème de Batman qui est joué.
Plusieurs pistes de réflexion s'offrent à nous. La première serait de dire qu'il s'agit d'un générique dont la fonction est d'évoquer le héros du film à travers un thème emblématique.

Cependant, il est presque troublant de constater à quel point le thème de Batman fonctionne bien dans les égouts, comme s'il était dans son élément. Sachant que Bruce et Oswald ont un point commun dès leur naissance : il viennent du même milieu social.
Et comme le fait justement remarquer Max Shreck (​Christopher Walken) : « Si ses parents ne l'avaient pas viré, vous l'auriez eu comme camarade dans votre école privée ».

Ou bien, peut-être avons-nous tout simplement affaire à une musique qui préfigure leur rencontre. Nous sommes à un stade de l'histoire où Batman et le Pingouin sont encore bébés et la musique martiale du héros nous suggère déjà un affrontement.

D'ailleurs, Tim Burton joue beaucoup avec la préfiguration et tisse des liens entre les personnages à travers sa mise en scène.
Notamment pour le générique en mettant des chauves souris dans les égouts ; mais également pour la scène d'ouverture, où le Pingouin, comme par hasard, mange... un chat !
Et inversement, quand Selina Kyle détruit son appartement, on peut voir deux pingouins sur un cintre, dont un avec un chapeau ; sans parler du logo de l'entreprise de Shreck, représenté par une tête de chat.

Tim Burton va donc réussir à évoquer des personnages qui ne sont pas à l'écran en nous montrant les animaux qui leur correspondent, et Danny Elfman va traduire cela musicalement en échangeant les instruments des personnages.
Par exemple, il arrive que les violons aigus de Catwoman accompagnent le thème de Batman.
On peut également entendre une sonorité « Pingouinesque » quand Selina trouve sa griffe en métal en fabriquant son costume. La juxtaposition du tuba et de la clarinette contrebasse apporte une lourdeur orchestrale peu fréquente chez Catwoman, plus propice à illustrer le Pingouin.
Après que le gang du triangle rouge ait piraté la Batmobile, on entend le thème de Batman joué par un orgue de cirque : son orchestration, elle aussi, a été piratée.
Et pour finir, dans la scène où les deux méchants font équipe, le motif du Pingouin est joué avec l'habillage orchestral de Catwoman.

Dans les exemples ci-dessus, les personnages échangent leurs couleurs orchestrales de manière ponctuelle ; mais, au travers des thématiques, certains personnages ont des instruments en commun pendant tout le film.

Par exemple, Selina Kyle, au même titre que le Pingouin, a une enfance relativement tardive : on la découvre dans son appartement rose, avec ses peluches, sa maison de poupée et elle est encore très dépendante de sa mère.
Ainsi, lorsqu'elle détruit son appartement, on peut entendre un célesta qui devient ingérable et effrayant ; et il y d'autres moments où le célesta retrouve une forme de légèreté lorsqu'elle fait de la corde à sauter avec son fouet.
Le Pingouin et Catwoman sont donc reliés par la thématique de l'enfance, d'où la présence du célesta.

Enfin, la « harpe des enfers » est également commune aux deux méchants du film.
Comme on a pu le voir, la harpe a une fonction mélodique chez le Pingouin et sert de ponctuation chez Catwoman, ce qui lui confère un côté à la fois psychotique et mesquin.

Pour rester dans la galerie des méchants, nous pouvons remarquer que Max Schreck ne possède pas de thème, ce qui est finalement assez raccord avec le personnage.
Il s'agit d'un personnage froid, qui ment et manipule avec décontraction, n'hésite pas à tuer ceux qui lui barrent la route, tout en étant satisfait de ses meurtres.
Par conséquent, l'absence de thème est parfaitement appropriée car elle traduit sa froideur et son manque de compassion.

Au-delà des thèmes propres aux personnages, Danny Elfman nous offre également des moments de frissons purs et simples avec la présence de chœurs féminins.

Le compositeur commence à écrire pour les voix de manière significative à partir d'Edward aux Mains d'argent (1991), sorti un an plus tôt. Il les emploie à nouveau dans Batman, le défi, ce qui donne au film une dimension mystique que le premier n'avait pas. Danny Elfman a d'ailleurs confié être tombé sous le charme de ce genre d'écriture vocale en écoutant le Requiem de Gabriel Fauré.

Pour conclure, près de 30 ans après sa sortie, la musique de Batman, le défi reste l'une des œuvres phares de Danny Elfman : audacieuse, poétique et intense ; où chaque écoute continue à mettre en lumière de nouvelles choses.

 

 

par Martin Mavilla


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