Cinezik : Comment s'est faite la rencontre avec Netflix pour votre première série ?
Mathieu Lamboley : J'en avais entendu parler trois ans auparavant et j'avais envie d'y participer car c'est un univers qui me plaît beaucoup. Et il se trouve que mon agent Quentin Boniface a eu vent d'un appel d'offres comme on le pratique souvent dans le métier. J'ai eu ainsi la chance de faire partie des quelques compositeurs qui ont pu proposer des choses. J'avais écrit le thème principal de la série qui a tout de suite plu à Netflix.
Ce type de casting n'est pas exclusif aux séries, est-ce que vous en avez déjà pratiqué sur des long-métrages ?
M.L : À vrai dire cela m'est arrivé sur la plupart de mes films. J'ai commencé ainsi sur "Libre et assoupi" (2014). On était 7 compositeurs à être castés sur ce film. La même chose s'est produite pour "Un petit boulot" (2016), "Toute première fois" (2015)... Dans le métier de la musique de film on est souvent confrontés à ce genre de proposition quand les producteurs ou les réalisateurs ne savent pas très bien ce qu'ils veulent comme noms de compositeur, mais qu'ils veulent juste une couleur musicale particulière.
La particularité d'une série c'est qu'elle fonctionne par épisodes. Là en l'occurrence il s'agit d'une Partie 1 de 5 épisodes et il y aura 5 autres épisodes pour la Partie 2. Musicalement, qu'est-ce que cela implique ?
M.L : Quand je suis intervenu sur la série j'avais déjà à ma disposition les 10 épisodes. Je n'ai appris que tardivement qu'ils allaient les découper en deux. La particularité tout d'abord c'est la quantité de musiques. Sur un long-métrage on a maximum 1h30 de musique, sur la série on en avait pour des épisodes de 45 minutes quasiment 30-35 minutes par épisode, donc pour l'ensemble ça fait une quantité incroyable de musique. J'ai trouvé intéressant de chercher la couleur dès les premiers épisodes, pour ensuite la décliner et la faire évoluer sur tous les autres. À la différence d'un long-métrage, on doit être assez concis et efficace. On instaure des thèmes au départ et par la suite on peut explorer d'autres choses, tout en développant les premiers thèmes. Il faut garder cette unité tout en trouvant un petit peu de nouveautés. Il ne faut pas lasser l'auditeur. Chaque épisode est différent donc on avait le loisir d'explorer de nouvelles choses à chaque fois.
Il y a dans votre partition un mélange entre l'orchestre et les rythmiques hip-hop, d'où vous est venue cette inspiration singulière ?
M.L : Ma problématique dans cette série était de mélanger une couleur liée au personnage d'Assene Diop (incarné par Omar Sy), animé par la mémoire de son père, un grand lecteur d'Arsène Lupin, et un aspect contemporain puisque la série se passe de nos jours. Il s'agissait de trouver le bon curseur entre le passé et le présent. Effectivement, on part d'Arsène Lupin, un cambrioleur, il y a cette inspiration liée au film d'espionnage, et à la fois il fallait situer cette musique au présent. L'idée de mélanger l'orchestre symphonique avec des rythmiques urbaines m'a paru assez évidente. C'était aussi une exigence des producteurs et du réalisateur, il fallait trouver le bon équilibre, c'était toute la difficulté pour aboutir à un dosage qui ne soit pas trop vulgaire.
Qui était votre interlocuteur principal dans le travail ? Le Showrunner (George Kay) ?
M.L : L'interlocuteur était le producteur, Nathan Franck, responsable chez Gaumont, qui était en lien avec Netflix. À la différence des long-métrages sur lesquels j'ai pu travailler jusqu'à présent où l'interlocuteur est le réalisateur, ici j'avais le producteur en direct. Je recevais les images à partir desquelles je faisais mes propositions. Puis ils nous faisaient des remarques assez précises sur chaque passage musical avec des exigences et un time code. C'était un peu comme des notes de montage, à l'américaine. D'ailleurs les retours étaient toujours justes.
Donc que ce soit Louis Leterrier ou Marcela Said à la réalisation, peu importe dans la discussion ?
M.L : Chaque réalisateur avait sa propre vision, mais le producteur était là pour créer l'unité, et à la musique on est là tout du long donc on contribue à cette unité. Mais bien sûr j'étais aussi en lien avec les différents réalisateurs qui me donnaient leurs avis. Il fallait vraiment sur cette série trouver l'unité sur les trois premiers épisodes, puis les réalisateurs suivants faisaient avec cet univers. Les monteurs montaient avec des musiques précédemment composées. Les ajustements étaient ensuite minimes quand il s'agissait de créer de nouvelles musiques. C'est un peu comme un grand long-métrage de 10 épisodes. J'avais même plus de liberté que sur certains long-métrages dans la mesure où il y avait beaucoup de musiques à présenter et je n'avais pas tout le temps le réalisateur à côté de moi à m'embêter sur chaque note. Au contraire, il y a une globalité qui est intéressante, et qui représente une forme d'ouverture et de liberté pour le compositeur.
Le personnage principal (incarné par Omar Sy) a son thème dans la musique, un thème principal qui va être décliné...
M.L : C'est vrai que j'aime la musique thématique, je trouve que ça a tout son sens dans une série comme celle-ci où chaque personnage a sa personnalité. Il fallait trouver un thème pour Pellegrini, pour Claire, c'est ce que j'aime faire, puis créer des variations à partir de ces thèmes principaux pour que les gens puissent s'identifier.
On peut reconnaître dans un des morceaux l'emploi d'un cymbalum. Il y a aussi au-delà des thèmes un travail d'instrumentation...
M.L : Du cymbalum en effet, et aussi des guitares électriques, de la clarinette basse, de la flûte et des cordes. Je trouvais intéressant de mélanger ces instruments, avec aussi une voix de chant lyrique à la fin du générique d'ouverture.
Il peut y avoir un lien entre cette partition et celle que vous avez écrite pour "Le retour du héros" (Laurent Tirard, 2018) avec le personnage interprété par Jean Dujardin qui joue également à porter les costumes d'un héros, avec un lien entre le passé le présent.
M.L : On peut effectivement trouver des similitudes, c'est aussi ma façon de transcrire musicalement cet héroïsme, c'est mon inspiration qui revient.
Est-ce que vous avez écouté les musiques des précédentes séries sur Arsène Lupin ?
M.L : Alors pas du tout. C'est quelque chose que je ne fais pas. J'aime assez rester vierge de toute influence. Il y a bien des influences inconscientes qui reviennent, mais les miennes sont globalement issues du répertoire classique symphonique. Je suis aussi inspiré par le jazz. Mais j'aime rester distant par rapport à une influence antérieure liée au projet. Même si bien sûr je connaissais les romans.
Dans "Lupin", on alterne les humeurs, on passe de la comédie au thriller, avec des émotions pour la romance, également du suspens...
M.L : J'essaie à chaque fois de trouver une direction artistique. Et ici j'ai voulu mélanger l'ancien et le nouveau, avec mes influences du répertoire classique, tout en pensant à la musique répétitive américaine comme Steve Reich pour les ostinato de cordes qui fonctionnent bien avec les rythmiques hip-hop.
Au niveau des délais, vous aviez du temps ou il y avait de l'urgence ?
M.L : L'urgence, on a l'habitude quand on fait des musiques de films, on doit être rapide. Et là en l'occurrence le timing était très serré. J'ai dû avoir 2-3 mois pour faire les trois premiers épisodes. On avait des délais de livraison. Mais bon c'est pas plus mal. On se met un peu la pression.
La musique, d'abord rythmée, devient au fur et à mesure des épisodes de plus en plus climatique et tend vers une dimension plus cinématographique...
M.L : Je me suis adapté à ce que je ressentais dans les épisodes. Il est vrai que les trois premiers épisodes sont dans le mode "action". Mais quand le personnage du méchant Pélegrini apparaît la musique devait s'assombrir. Je voulais une marche funèbre très austère pour ce personnage. Il fallait quelque chose d'élégant et à la fois sombre.
Pour terminer, pouvez-vous nous évoquer vos prochains projets, notamment des films qui devaient sortir en 2020 mais qui ont été reportés à cause du Covid...
M.L : Il y a "Le Discours" de Laurent Tirard avec une musique très épurée, un piano et une basse fretless. Il y aura aussi "La pièce rapportée" d'Antonin Peredjatko (sortie prévue le 10 février) avec une musique très jazz pour big band, c'est une comédie décalée avec un côté Jacques Tati qui se retrouve dans la musique. J'avais très envie de travailler avec lui, je lui ai un peu fait du rentre dedans quand j'ai entendu parler de son film car j'aimais son univers. J'ai insisté pour le rencontrer, lui proposer des maquettes, et au final ça a fonctionné, il a accroché. Ça fait partie des rares réalisateurs que je connaissais vraiment avant de le rencontrer. En avril, il va y avoir "La Fine fleur" de Pierre Pinault, également une première collaboration, avec une musique très impressionniste en référence à Ravel et Debussy. Et enfin "Le quai de Ouistreham" de Emmanuel Carrère, également une première rencontre. C'est un homme incroyable. Une collaboration fantastique. Je le connaissais pour ses romans.
En tant que compositeur vous aimez être caméléon, varier les langages en passant d'un univers à un autre...
M.L : En effet, on s'adapte à un univers à chaque fois tout en apportant notre personnalité aussi. Il ne faut pas s'effacer, il faut aller dans une esthétique qui correspond à l'exigence du réalisateur et du film tout en n'essayant d'apporter son propre style.
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