ANNETTE (Leos Carax / Sparks) : une fresque musicale à la fois monumentale et intime

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par Benoit Basirico

- Publié le 08-07-2021




Le cinéaste français Leos Carax a construit son film à partir des chansons du groupe pop-rock américain Sparks, tout en y ajoutant des airs d'opéra, pour une comédie musicale foisonnante, sombre et tourmentée, loin d'un film musical romantique et festif, pour notre plus grand bonheur. Un véritable geste de cinéma de la part d'un amoureux du rock. 

L'ouverture du film rappelle celle un intermède de "Holy Motors", précédent film de Carax, et autre sensation cannoise, dans lequel Denis Lavant joue d'un accordéon dans une église, filmé frontalement, en mouvement, et que de nouveaux musiciens rejoignent dans le cadre, formant un véritable défilé. Dans ANNETTE, nous retrouvons ce mouvement perpétuel, et cet élargissement du champ. Carax sait filmer la musique. Dès la scène d'ouverture, le cinéaste apparait en train de diriger une session d'enregistrement, où apparait les frères Mael -les membres du groupe Sparks- en personne, avant d'entonner un « Alors pouvons-nous commencer ? ». C'est alors qu'apparait le duo Adam Driver et Marion Cotillard qui reprennent cette phrase d'invitation dans un mouvement du studio vers les rues de Los Angeles, un mouvement expansif et contagieux du spectacle qui commence à se mettre en scène. Ce film, plus que tout au film musical, parvient à rendre le plaisir du spectacle communicatif, dans une sensation d'invention en direct. Cette spontanéité équilibre l'artificialité de la forme, que le réalisateur pratique sans peur du ridicule. Carax est un équilibriste, sur le fil des sensations, sans cesse au bord de tomber, mais toujours se redresse.

Cet équilibre est à la fois dans les choix musicaux, très variés, du rock des Sparks à l'opéra (Verdi, Bizet, Puccini...) en passant par la symphonie (Brahms, Mahler), que dans les ambiances, de la comédie au thriller, pour s'éloigner de plus en plus du caractère festif et romantique attendu pour une noirceur intime. Carax se saisit du genre musical, et des chansons des Sparks, pour se raconter. Il parle de son travail de créateur, de l'envers du décor, et de sa vie intime, évoquant en creux son sentiment de culpabilité suite au suicide tragique de sa compagne, Katerina Golubeva en août 2011, à 44 ans. 10 ans plus tard, ce terrible anniversaire résonne dans chaque plan et paroles de Annette.

Le sordide et le triste se faufilent dans la plupart des scènes, en souterrain ou dans la dynamique des numéros eux-mêmes. Euphorique et mélancolique à la fois, ce film a une beauté étrange. Dans cette construction quasi métaphysique, une autre thématique se détache, celle de la satire du spectacle, et des médias (le couple Driver / Cotillard défraie la chronique), et sa manière d'exploiter les individus, notamment un enfant (un bébé objet, que le héros voit comme un pantin dans sa volonté d'en faire une star). Le cinéma est un art total, et Carax parvient ici à s'emparer d'un matériau musical pour élever son récit dans des sphères inattendues et vertigineuses.

par Benoit Basirico


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