Interview B.O : le duo SPARKS pour ANNETTE de Leos Carax

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Propos recueillis par Benoit Basirico / traduction de Viktorija Antonovic - Publié le 08-07-2021




Le groupe pop-rock américain Sparks, fondé par les frères Ron & Russell Mael, signe les chansons originales de ce film musical réalisé par le cinéaste français Leos Carax, dont la quasi intégralité des dialogues sont chantés.  Ouverture Festival de Cannes 2021.

 

Cinezik : Quelle place a le cinéma dans votre musique ? Vous avez étudié le cinéma à l'école... où se situent vos goûts ?

Sparks : Quand on était à l'Université, nous étions de grands amoureux du cinéma français, en particulier Godard et Truffaut parce que c'était tendance à cette époque-là. Les jeunes gens aimaient la musique british et le cinéma français. Et vous savez, quand on a commencé, la plupart de nos musiques avait l'air cinématographique. Pas dans l'orchestration mais juste parce qu'elle suggérait de grandes images. Et beaucoup de fois, même si nos chansons duraient 3 ou 4 minutes, il y avait une narration. Notre travail a une vraie influence cinématographique, même sur une forme courte, et nous avions toujours eu l'intention de travailler sur un projet de film musical, afin de puiser dans notre sensibilité. Il est arrivé dans le passé d'avoir des projets qui n'ont pas vraiment vu le jour. Ainsi, le film de Léos Carax est un rêve devenu réalité.

En effet, vous avez eu des projets avortés avec Jacques Tati et Tim Burton...

Sparks : Dans les années 70, notre label avait organisé une rencontre avec Jacques Tati et lui avait proposé d'envisager une collaboration. Et il avait un nouveau projet de film sur lequel il travaillait, appelé "Confusion", et après nous avoir rencontrés, il voulait nous utiliser comme des acteurs pour son film. Nous étions très heureux car nous sommes de grands fans de Jacques Tati, il a créé un univers étonnant autour de ses personnages. Mais malheureusement, après avoir travaillé avec lui pendant des mois pour aider à développer le projet, il avait des problèmes avec le financement de ses films et sa santé déclinait, donc le projet n'a jamais vu la lumière. Et après, à la fin des années 80, nous avons eu le projet d'une comédie musicale avec Tim Burton, dont nous avions fait la musique. C'était l'adaptation d'un manga japonais, "Mai, the psychic girl". Nous avons travaillé avec un scénariste et un des producteurs de "Beetlejuice", et dès qu'on a fini notre travail dessus, nous sommes tous allés voir Tim et nous lui avons fait écouter la musique. Il l'a adorée et voulait le réaliser. Mais il était un peu déçu par le scénario, il a demandé une réécriture au scénariste, mais le projet n'a pas avancé.

Concernant ANNETTE, comment s'est déroulée la rencontre avec Leos Carax ? Connaissiez-vous son cinéma ?

Sparks : Tout à fait, nous étions de grands fans de ses films avant de le rencontrer. La seule fois où nous étions à Cannes, il y a 8 ans, on a essayé de placer un projet antérieur, "The Seduction of Ingmar Bergman". Nous ne sommes pas des entrepreneurs mais nous avons essayé de vendre ce film, pour qu'il soit produit. Et quelqu'un nous a introduit à Leos qui a utilisé une de nos chansons pour "Holy Motors", son film le plus récent à l'époque, une chanson qui s'appelle "How are you getting home". C'était une brève rencontre mais nous nous sommes très bien entendus. Nous avions écrit un projet qui s'appelle "The Net" qui devait devenir un album de Sparks, une longue œuvre narrative conçue théâtralement avec seulement quelques personnes pour qu'on puisse se permettre de faire une tournée. De retour à Los Angeles, nous lui avons envoyé cela pour savoir ce qu'il en pensait. Il l'a bien reçu en disant qu'il aimait vraiment. Après quelques semaines, il nous a indiqué qu'il souhaitait mettre de sa personnalité dans le film. Mais quand c'est Leos Carax, on l'accepte. Et nous voilà, 8 ans plus tard.

Ce sont vos chansons qui ont donné naissance au projet, mais avez-vous retravaillé dans un second temps la musique pour le film ?

Sparks : Seulement pour la partie technique, il y avait un peu d'editing à faire parce qu'on devait toujours adapter au montage quand la chanson était coupée, afin de trouver un moyen d'enlever quelques beats. C'était surtout ce genre de choses. Quand le tournage a commencé, c'était plutôt terminé pour nous. Leos voulait que le chant soit "live", les acteurs avaient beaucoup répété, on était impliqué dans les répétitions, mais quand le tournage a commencé on ne voulait pas interférer, on s'est tenu à l'écart pour ne pas nuire à la concentration du réalisateur. Et une fois le film tourné, nous avons dû modifier quelques trucs.

Quel est votre rapport aux comédies musicales ?

Sparks
: On n'est pas amateurs des comédies musicales traditionnelles de Broadway, où les gens se mettent à chanter avec la convention de danses chorégraphiées. On adhère plus aux comédies musicales comme "Les parapluies de Cherbourg" où c'est plus naturel dans l'approche et où il n'y a pas de chorégraphies traditionnelles.

Leos Carax est un immense fan de rock anglo-saxon, avait-il une bonne oreille musicale pour accueillir votre musique ?

Sparks : La plupart des musiques ont été faites avant qu'on ne se rencontre, il a accepté la plupart des choses, puis il a peaufiné certaines pièces pour mieux les équilibrer. Puis il nous a demandé quelques morceaux supplémentaires. On était chanceux car il a adoré le projet. Vous avez raison quand vous dites qu'il a une passion pour la musique, on peut le voir dans chacun de ses films précédents, même si ce ne sont pas des comédies musicales il y a des séquences musicales. C'est vraiment extraordinaire. Une séquence d'accordéon dans "Holy Motors" ou "Modern love" dans "Mauvais sang". Alors il a une vraie compréhension de comment transformer la musique en film. On avait une confiance totale que ça pouvait se produire en 2h20.

Nous ressentons des échos entre votre scénario et l'histoire personnelle de Carax, comment l'expliquez-vous ?

Sparks : C'est un réalisateur vraiment singulier. Il travaille sur un univers propre à lui, avec un système de règles qui lui appartiennent. Je pense que c'est ce qu'il apprécie dans la musique de Sparks, nous avons également créé notre monde. On savait qu'il était un grand fan de Sparks mais on n'avait pas forcément imaginé que stylistiquement on pouvait convenir à ce point avec son univers. Quand on s'est rencontrés, on a discuté le projet qu'on avait et il a aimé, il a même aimé tout l'univers que nous avons créé avec l'histoire, sur ce comédien (Adam Driver) et cette chanteuse d'opéra (Marion Cotillard) qui ont une relation et un enfant. Il n'y avait pas de raisons que ce récit ne rentre pas dans son univers. On s'apprécie mutuellement et la combinaison de nos deux mondes permet au film d'être si singulier.

Leos Carax a fait ce qu'il voulait de vos chansons ? A t-il fait comme Godard qui coupait arbitrairement la musique ?

Sparks : Il ne l'a pas utilisée à la Godard, mais on devait prendre conscience qu'il s'agissait d'un film et non seulement d'une BO à écouter. Godard était brillant là-dessus. Mais avec Carax c'est un peu différent. On ne peut pas dire que ce soit plus traditionnel, mais c'est l'idée que les morceaux ont été utilisés dans leur continuité, placés selon les différents chapitres, il l'a fait vraiment bien. Il n'a pas fait de collage.

La musique du film est très variée, comme votre musique, partagée entre les dimensions rock, classique, avec de l'orchestre et de l'opéra...

Sparks : Une chanson appelée "Aria" dans la première partie rejoint les quelques opéras traditionnels utilisés dans le film, par bribes, puisque Anne est une chanteuse d'opéra. Le titre qu'elle chante le plus souvent est la chanson que nous avons écrite, "Opera Bows", une chanson lyrique. C'était important de trouver une chanson qui sonnait comme un chant lyrique avec une sorte de sensibilité pop. C'était une tâche difficile. On a toujours aimé avec Sparks le mélange de styles. Nous l'avons approfondi dans "Annette" avec des chansons pop et des chansons plus orchestrales. Non seulement l'histoire avance continuellement puis finit par vriller, la musique le fait aussi. Nous apprécions beaucoup d'avoir ces juxtapositions de styles différents.

Le film aussi est un mélange de genres (la comédie, la romance, le thriller, le film policier...)

Sparks : Nous ne pensons pas en termes de clichés de genre, cela va avec l'idée de ne pas avoir un seul concept. Parfois les gens ont du mal à situer ce type de film parce qu'ils voudraient que ce soit une seule chose, mais pourquoi ?

Il est aujourd'hui habituel pour un groupe de musique de se mettre à composer pour un film... De votre côté, c'est la première fois, hormis une fois sur "Knock Off" (de Tsui Hark 1998)...

Sparks : Oui, beaucoup de chansons de Sparks ont été utilisées dans les films, lorsqu'un réalisateur prend une chanson et l'utilise, mais pour "Knock off", la chanson a en effet été écrite spécifiquement pour le film, c'est la chanson-titre. Nous avons fait la BO de ce film et pour être honnête nous ne pensons pas que nous sommes forts en BO, c'était une tentative de sonner comme les compositeurs hollywoodiens mais nous n'avons pas beaucoup apprécié. Tsui Hark est un réalisateur brillant mais je ne pense pas que la musique est extraordinaire. C'est plus notre credo de faire des films musicaux où le chant, la musique et les images travaillent ensemble. Il y a tellement de personnes qui peuvent bien faire les BO, nous on se sent plus fort dans la création de films tels que "Annette", avec une fusion du chant, de la musique et du visuel.

Danny Elfman qui provient de la scène avec son groupe Oingo Boingo est parvenu à devenir un compositeur de cinéma...

Sparks : Il y a un vrai mariage entre Danny Elfman et Tim Burton, une vraie affinité, mais nous on préfère avoir un film qui ouvre le Festival de Cannes. (rires)

Un documentaire sur vous sort le 28 juillet 2021, THE SPARKS BROTHERS de Edgar Wright. Avez-vous contribué à son élaboration ?

Sparks : Edgar Wright et toute son équipe ont voyagé autour du monde avec nous, au Japon, Mexico, Los Angeles, Londres, nous filmant dans des configurations différentes, filmant nos concerts et nous interviewant au fil des jours. Donc on est des participants actifs. Edgar a aussi interviewé plus de 80 personnes différentes pour ce documentaire, le Who's who des musiciens parlant de leur relation avec Sparks et ce que Sparks est pour eux. Les personnes varient de Steve Jones de Sex Pistols à Duran Duran. Il y a aussi des acteurs qui parlent, comme Mike Myers parlant des paroles de Sparks et des écrivains comme Neil Gaiman qui analyse quelques pochettes de nos albums. C'est une grande variété de gens et c'est inattendu qu'ils soient des fans, les gens ont été influencés par Sparks. Ce n'est pas seulement nous qui parlons de Sparks mais beaucoup de gens créatifs connus parlant du groupe.

On vous voit donc au travail dans ce documentaire. Et pour revenir à "Annette", on vous y voit aussi, au début, et vous êtes de bons acteurs...

Sparks : Oui oui, notre première scène est juste de marcher et chanter. Ce n'était pas tellement difficile à faire. On est assez bon en marche mais on ne s'est pas forcé de jouer dans le film, c'est Leos qui voulait qu'on apparaisse dans quelques scènes. C'était sympa, on n'avait pas de pensées d'acteur.

Propos recueillis par Benoit Basirico / traduction de Viktorija Antonovic

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