Interview B.O : David Sztanke & Thibault Deboaisne (LES MAGNÉTIQUES de Vincent Cardona)

magnetiques2021062501,sztanke,thibault-deboaisne,Cannes 2021, - Interview B.O : David Sztanke & Thibault Deboaisne (LES MAGNÉTIQUES de Vincent Cardona)

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico - Publié le 19-07-2021




Avec LES MAGNÉTIQUES, au cinéma le 17 novembre 2021 après son passage à la Quinzaine des Réalisateurs, David Sztanke signe la musique du premier film de Vincent Cardona sur un jeune homme mutique et passionné de radio qui tente de séduire une camarade par l'envoi d'un message codé sur des bandes magnétiques. On assiste à des scènes où se joue une création sonore et musicale en direct. Par ailleurs le récit se situe au début des années 80 et nous entendons alors des titres pop de l'époque (Joy Division, Front 242...) sélectionnés par le superviseur musical Thibault Deboaisne.

David Sztanke (à gauche sur la photo), comment s'est déroulée la rencontre avec le réalisateur Vincent Cardona, comment vous a-t-il présenté le projet ? La musique a une part importante dans le film, ce qui a dû nécessiter de l'anticiper dès le scénario ?

David Sztanke : Le réalisateur est très mélomane. Il avait une idée très précise. Il avait des références en tête. On s'est rencontré par le biais de Thibault qui a proposé mon nom. On a vite échangé par mail. Il m'a envoyé des références. Je lui en ai renvoyé de mon côté. Il se trouve que je connaissais bien la monteuse Flora Volpelière. Il y a eu un échange assez amical très rapidement. On a pu parler de musiques comme des amis, avant même de commencer le travail, en lisant le scénario, on m'avait juste montré deux scènes, et on a échangé sur nos goûts. C'était un peu des échanges informels qui ont finalement façonné mes premiers pas dans la musique de ce film.

Le personnage du film s'exprime par la musique. Il y a des séquences radiophoniques lors desquelles il travaille à partir de cassettes magnétiques. Comment se sont créées ces scènes ?

D.S : Le monteur et le mixeur son (Pierre Bariaud et Samuel Aïchoun) avaient déjà commencé à travailler autour des bandes magnétiques pour faire certaines boucles. Puis j'ai réutilisé certains éléments sur lesquels ils avaient travaillé de manière presque subliminale dans ma musique.

Ces musiques manipulées dans le film par le personnage sont préexistantes, issues des années 80 puisque l'action se situe dans ces années-là. On entend donc beaucoup de cold wave, comme Joy Division. Et donc Thibault Deboaisne, vous êtes superviseur, c'est vous qui avez choisi ces morceaux ? Et surtout qui en avait obtenu les droits ?

Thibault Deboaisne : La première étape du travail avec le réalisateur était une rencontre à un festival où il me parlait déjà du projet. De manière assez informelle on a partagé sur des bases musicales communes, sur un terrain qui était celui du post-punk principalement. Les producteurs me font ensuite passer le scénario dans lequel il y avait déjà des intentions de musiques très précises. En terme de choix de musiques additionnelles les intentions allaient de Joy Division à David Bowie, John Lennon, Bob Marley, etc. À partir de là, il fallait voir les possibilités en termes de budget. Et donc certains titres n'étaient pas envisageables pour un premier film. Ensuite, j'étais dans une phase de proposition pour trouver des alternatives qui soient à la fois d'époque, mais aussi plus inattendues. Vincent avait aussi des titres plus pointus comme Comix ("Touche pas mon sexe") qui ouvre le film. J'ai aussi eu envie d'aller chercher des choses issues de la scène punk française comme Camera Silens ("Pour la gloire"). On a essayé d'avoir la participation du chanteur dans le film mais il est malade. Et puis ensuite on s'est dirigé vers des musiques plus électroniques, comme les Belges de Front 242 ("Body to Body") ou les Allemands de Die Krupps ("Warhe Arbeit Warher Lohn"). C'était drôle d'aller creuser dans ces sons là que j'ai connus dans ma jeunesse, contrairement au réalisateur qui est né dans ces années-là.

Il est question dans les dialogues d'un bootleg de Joy Division. Ce sont des enregistrements pirates, comment l'utiliser aujourd'hui légalement ?

T.D : Effectivement, ce bootleg a longtemps été mythique. C'est leur tout dernier concert, dans une université, qui à l'époque était commercialisé sous le manteau comme un pirate. Puis il a été officialisé par Warner music. On a donc négocié les droits sur ce bootleg. Et il se trouve qu'en le testant à l'image on s'est rendu compte qu'il y avait une énergie sur la version studio qui était un peu perdue sur l'introduction du morceau dans la version pirate. C'était quelqu'un qui était avec son magnéto dans la foule. On s'est donc autorisé à utiliser la version studio. On avait négocié pour le bootleg mais ce n'était pas ce qui donnait le mieux à l'image donc on a dû renégocier pour une autre version finalement.

Et dans quelle mesure la musique originale entretient un lien avec ces titres préexistants ?

D.S : Justement, l'idée au départ était qu'il n'y en ait pas forcément. Les titres des années 80 sont très forts à l'image. À la demande du réalisateur j'avais fait toute une partie acoustique, on était alors en plein confinement, mais après l'écoute il me dit que ça manque de lien finalement avec la couleur des années 80. Donc après coup j'ai ajouté des synthés analogiques. Le lien a été trouvé avec le recul, peut-être le fait d'avoir été en pause, en confinement, ça a nourri sa réflexion sur l'instrumentation de mon travail.

Toute la bande-son se vit du point de vue de ce personnage, que ce soit la musique qu'il crée à partir des bandes, ou votre musique qui devient sa musique intérieure, le relais de son émotion ?

D.S : Oui clairement. Mais à aucun moment il a été question d'illustrer un sentiment plus que d'accompagner un mouvement général. J'ai pensé la construction de cette B.O comme un accompagnement avec le personnage, à part lors de la scène de fin dans le grenier que l'on ne va pas révéler, où il fallait que je suive davantage la situation. Le seul moment où la musique rencontre l'émotion pure du personnage et ce qui se dit à l'image au moment où la musique est jouée, c'est sur cette scène de fin. Pour le reste, c'est vraiment un accompagnement.

Malgré tout, on peut ressentir un certain désenchantement, une nostalgie, et la musique y participe. Cela passe sûrement par le côté désuet de certaines sonorités, qui rappellent les années 80.

D.S : Je dirais plus la solitude et l'isolement, mais quand le personnage part faire son service militaire à Berlin, tout ce qui le raccroche à sa vie d'avant, à son amour pour cette jeune femme, ce sont les cassettes et la musique. Cela ne passe pas par des mots. Ils s'échangent des cassettes, moi-même il m'est arrivé de faire des compilations à ma petite amie. On n'en revient à la substantifique moelle de la musique qu'est l'émotion.

Le réalisateur a un vrai rapport à la musique au point d'en faire le sujet de son film, mais avait-il le langage musical pour votre collaboration ?

D.S : Oui, vraiment. On a eu aucun problème de communication, on parle la même langue. Et on avait beaucoup de références communes, ça aide beaucoup. J'ai eu la chance de travailler avec des réalisateurs très pointus musicalement, que ce soit Quentin Dupieux ou Mikhaël Hers. Et Vincent Cardona est de cette trempe. C'est son premier long-métrage mais je pense que par la suite il n'aura aucun problème pour communiquer avec la personne qui va travailler sur la musique de ses films.

Alors on connaît le travail du superviseur sur les musiques préexistantes mais y a-t-il une implication sur la musique originale ?

T.D : Mon travail était plutôt en amont. David est assez autonome. Le superviseur, quand tout se passe bien, est appelé à s'effacer pour laisser la place à un dialogue entre le compositeur et le réalisateur.

 

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico

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