LA FILLE DE RYAN (Maurice Jarre, 1970)

fille_ryan,jarre, - LA FILLE DE RYAN (Maurice Jarre, 1970)


JULIEN MAZAUDIER

- Publié le 07-05-2008




Sur La Fille de Ryan, David Lean voulait s'inspirer de l'histoire de Madame Bovary. Combiner une histoire intime dans l'esprit des romans de Thomas Hardy avec le grand spectacle Hollywoodien. Toutes les scènes du film ont été tournées en décors réels, prés de Dingle, un petit village du sud ouest de l'Irlande. Pour des raisons de commodités, David décida de construire le village en entier, en pierre plutôt que d'en utiliser un vrai. A cause de l'instabilité du temps irlandais le tournage fut assez difficile et dura toute une année. Certaines scènes furent même tournées sur les plages du Cap, en Afrique du Sud. Dans sa partition, Jarre ne s'est pas ouvertement inspiré de la musique irlandaise mais comme pour Jivago il a inclut des instruments folkloriques dans l'orchestration. Une section de huit harpes stridentes que l'on entend dés l'ouverture du film et une cithare celtique qui entonne le thème principal de Rosy sur le générique de début.

Un petit village d'Irlande au moment de la guerre civile de 1916. Rosy, la fille du tenancier du bar s'ennuie. Elle décide d'épouser Charles, l'instituteur, de 15 ans son aîné mais leur vie calme la déçoit. Un lieutenant anglais blessé à la guerre, et qui comme elle s'ennuie, devient son amant et lui apporte une intense joie physique qui ne fait que masquer leur désarroi commun. L'arrivée par la mer déchaînée d'armes et de munitions destinées à l'I.R.A va mobiliser le village et faire basculer le destin de tous les protagonistes.E THÈME MUSICAL DES PERSONNAGES

LE THÈME MUSICAL DES PERSONNAGES

Les personnages principaux du film ont chacun un thème musical qui les caractérise. Lorsque l'officier anglais pénètre dans le village il est accompagné d'une marche militaire un peu lourde, dans l'esprit solennel des fanfares britanniques. Un thème qui contraste avec la légèreté enfantine des cordes sautillantes qui accompagnent Rosy lorsqu'elle marche sur la plage pour rejoindre l'instituteur.
On retrouve la même veine militaire dans le motif instrumental des rebelles irlandais. Le motif triomphal de l'orchestre accompagne fièrement les rebelles lorsqu'ils récupèrent avec l'aide des villageois, les armes échouées sur la plage.

Michael, le simple d'esprit a également son propre thème musical. Une sorte de musique un peu gauche, à mi-chemin entre le spectacle guignolesque et la parade de cirque, teintée de sonorités pittoresques que n'aurait pas déprécié François de Roubaix. On peut entendre le morceau dans la séquence où il trouve la médaille de l'officier et tente de lui ressembler pour plaire à Rosy. Le thème inclut toute une section d'instruments hétéroclites comme le piano honky-tonk, une harpe juive, un jeu de tourniquet, une guimbarde ou des cloches qui viennent s'ajouter malicieusement dans la musique à chaque apparitions de Michael.
Dans le bar de Ryan, lorsque Michael, en tapant du pied provoque sans le vouloir des vertiges au jeune officier anglais, Jarre joue le thème militaire de l'officier mais il intègre en contrepoint les motifs un peu risibles associés à Michael ce qui crée une partition assez surprenante ; un peu comme si un orchestre burlesque rencontrait inopinément une parade militaire.

L'une des séquences musicales les plus intéressantes du film est la promenade romantique de Rosy avec l'officier anglais dans le sous-bois. Les personnages se dévisagent sans se parler et la musique impressionniste de Jarre vient ajouter un trouble émotionnel dans la relation . Ils éprouvent l'un pour l'autre une attirance mais semblent intimidés par l'idée de s'aimer.

LE BRUITAGE ET LA MUSIQUE

David Lean appréciait beaucoup les films du cinéaste japonais Akira Kurosawa et on peut retrouver dans Dersou Ouzala le même souci d'utiliser le son naturel en tant que valeur esthétique. Idée que l'on retrouve également dans la prestigieuse collaboration entre Sergio Leone et Ennio Morricone sur le prologue du film Il était une fois dans l'Ouest. Durant une quinzaine de minutes on n'entend ni parole ni musique ; seulement le son d'une vieille éolienne rouillée, la chute de gouttes d'eau sur un crâne ou le bourdonnement d'une mouche prisonnière, qui se débat dans le fond d'un revolver. Un passage orchestré comme une véritable partition de musique concrète...

Chez Lean, la place accordée aux bruitage est également importante et participe activement à la bande sonore du film. La musique et les sons se chevauchent habilement et sont traités de manière contrapuntique. Dans Docteur Jivago, lorsque Omar Sharif, par la fenêtre du tramway croit reconnaître Lara, il n'y a pas de musique qui souligne l'effet. On entend seulement quelques brèves sonorités électroniques et un jeu de percussion qui se mêlent discrètement au bruit du tramway et au cling cling de la sonnette. Dans la séquence nocturne de Lawrence d'Arabie, au moment où Lawrence, seul au milieu des dunes s'éloigne du camp du Prince Feycal pour réfléchir à son plan d'attaque, le bruit du vent qui souffle sur les dunes se mêle habilement à la musique et crée une atmosphère mouvementée.

De la même manière, sur le générique de La Fille de Ryan, on entend le son presque timide de la cithare qui se mêle au vent et aux splendides paysages capturés par Freddie Young, le chef opérateur. Le vent a une sonorité presque sensuelle et s'impose comme un véritable personnage. Dans la séquence du sous-bois, lorsque Rosy, couchée sur un parterre de campanules fleuries se donne à l'officier, Lean n'ajoute aucune musique pour souligner l'étreinte et utilise seulement les sons ambiants. Le chant lointain des oiseaux, le souffle du vent dans les arbres, la chute d'eau du ruisseau.

La manière de lier intimement la musique avec le son des éléments naturels est une constante chez Lean qui s'en sert pour accentuer le fossé entre la grandeur sauvage de la nature et la frivolité des actions humaines. Une thématique qui se rapproche du cinéma de Robert Flaherty, de Victor Sjöström ou plus récemment de Terence Malick. Sur La Fille de Ryan, Lean disait justement: "La plupart des scènes de plages doivent être d'autant plus belles que le village est assez sinistre et ses habitants médiocres. [...] Du sordide à ras de terre côtoie un romantisme splendide". Lean était de toute évidence fortement attiré par la beauté ensorcelante des paysages. Sur Lawrence d'Arabie, il avait d'ailleurs eu du mal à abandonner le désert de Jordanie une fois le tournage terminé. Il aurait pu y passer toute sa vie si le producteur Sam Spiegel ne l'avait ramené à la réalité...

"Je crois qu'il a fallut quatre ou cinq mois pour tourner la scène de la tempête. Dés qu'on recevait un avis de tempête, on arrivait sur place tôt le matin, on installait la caméra, et le temps qu'on soit prêt à filmer, la tempête se calmait et il n'y avait plus qu'à rentrer faire autre chose".

FREDDIE YOUNG

La séquence de la tempête de La Fille de Ryan est le morceau de bravoure du film. Pendant le débarquement des armes sur la plage on peut entendre un véritable rugissement de la mer et du vent. Pour compléter l'effet de la mer déchaînée, Lean rajouta des citernes d'eau avec des tuyaux à incendie et des machines à souffler du vent sur les acteurs transis. Traitée de la même manière que la tempête qui accompagne les premières scènes d'Oliver Twist, la musique n'intervient jamais pour souligner l'ampleur dramatique de l'action. Elle apparaît uniquement vers la fin de la séquence pour accompagner le départ des rebelles irlandais.

La démarche du réalisateur de minimiser la musique, pour mieux mettre en valeur le réalisme sonore de la tempête, est assez proche des conceptions de Michelangelo Antonioni sur l'Avventura, qui utilisa pas moins de soixante-dix bobines de bruits de vent et de mer destinées à orchestrer la disparition et la recherche d'Anna. Selon le réalisateur italien, "l'idéal serait de constituer, avec des bruits, une formidable bande sonore, et d'appeler un chef d'orchestre à la diriger". Sur la séquence de la tempête de La Fille de Ryan ce chef d'orchestre n'était autre que David Lean...

JULIEN MAZAUDIER


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