Interview B.O : Frédéric Alvarez (LOULOUTE de Hubert Viel), la mélancolie de l'enfance

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Propos recueillis par Benoit Basirico - Publié le 29-08-2021




Pour LOULOUTE (au cinéma depuis le 18 août 2021), Frédéric Alvarez retrouve Hubert Viel après "Petit lapin" (2015) et "Les Filles au Moyen Âge" (2016). Pour cette chronique nostalgique du monde paysan relatée à travers le regard d'une jeune fille, le compositeur propose une belle présence vocale liée à l'enfance, et deux thèmes mélancoliques. 

Cinezik : À quel moment êtes-vous intervenu sur ce projet ?

Frédéric Alvarez : Comme à chaque fois avec Hubert, on travaille dès le scénario. Je lui fais des propositions de plusieurs thèmes et une fois que le film est tourné, que le montage commence, on les intègre. Les deux thèmes principaux ont ainsi été composés sur le scénario.

Le fait de bien connaître le réalisateur facilite le dialogue, et le fait de travailler en amont ?

F.A : Hubert est un ami, donc on n'a pas peur de se dire les choses. On se dit ce qu'on pense de chaque morceau et de chaque intention. En dehors de la lecture du scénario, il m'a laissé très libre. C'est le premier film sur lequel je compose entièrement la B.O car sur "Petit lapin" et "Les filles au Moyen Âge" il avait participé en composant des thèmes et des mélodies que j'avais moi-même ensuite arrangés. Il m'a donc cette fois-ci laissé vraiment Carte Blanche.

Qu'est-ce qui vous a inspiré dans le scénario ?

F.A : La mélancolie, l'enfance, les années 80, et l'ennui qui caractérise le personnage attachant de Louloute.

Hubert Viel voulait un film très musical ?

F.A : Oui, c'est très assumé, il veut des mélodies fortes que l'on peut siffloter à la fin du film.

Cette chronique nostalgique du monde paysan s'immerge à travers le regard de l'enfant dans les années 80, mais contrairement aux "Filles au Moyen Âge" où il y avait beaucoup de sons synthétiques, volontairement cheap, alors qu'il y aurait la tentation d'en mettre davantage pour correspondre aux eighties, vous avez au contraire majoritairement utilisé des sons acoustiques (piano, guitare, clarinette violon, trombone...)

F.A : Oui, il y a beaucoup d'instruments solistes. Il y a aussi des voix d'enfants. Les années 80 transparaissent à travers des petites touches de synthés par-ci par-là. J'ai aussi écrit par ailleurs deux chansons qu'on entend à la radio sur lesquelles des vaches dansent. Ce sont des pastiches de Louis Bertignac, car ils n'ont pas pu en avoir les droits. J'ai travaillé avec une chanteuse qui a une très belle voix, et cela fait très années 80.

C'est aussi le rôle d'un compositeur, en plus de faire cette musique de premier plan, de prendre en charge quelques musiques de source...

F.A : En général, on le fait pour des questions financières, quand les musiques sont trop chères pour les obtenir. On me demande souvent de faire des chansons à la manière de. Je me suis prêté au jeu avec enthousiasme.

Entre un film urbain et un film rural, est-ce que cela influence la musique ?

F.A : Oui bien sûr. Le choix des instruments acoustiques résonne beaucoup avec la nature. J'avais un petit peu en moi cet aspect pastoral et l'idée d'associer le basson à tel animal, le trombone à l'oie, comme le film se situe dans une ferme. Un morceau s'appelle d'ailleurs "A la ferme" dans lequel nous entendons tous ces instruments solistes. (à écouter dans le Podcast associé)

Et il y a le travail vocal, qui rappelle un peu des berceuses...

F.A : Nous sommes dans l'enfance, ce sont trois enfants, Louloute, sa sœur et son frère, qui sont dans un univers à la fois précaire financièrement et en même temps féerique, en Normandie, avec des paysages magnifiques, de très belles couleurs.

Vous aviez d'ailleurs déjà pratiqué la voix dans les "Filles au Moyen-Âge"...

F.A : Oui effectivement, à la fois avec des adultes et des enfants. On l'a refait. J'ai enregistré des petites filles et aussi une adulte, et ma propre voix. J'ai aussi ajouté au mixage des petites voix synthétiques.

Dans le fait d'être intervenu en amont, est-ce que Hubert avait votre musique au moment du tournage ?

F.A : Oui tout à fait. Il avait des thèmes, sous une forme minimaliste, avec juste les accords. Je les ai écrits sur le scénario, puis ensuite je les ai arrangés sur les images.

Il y a eu un processus de maquette, avec des fausses voix et des faux instruments avant l'enregistrement final ?

F.A : Pour les fausses voix, c'est moi qui les ai faites. Puis ils se sont tellement habitués à les entendre au montage qu'ils ont décidé d'en garder au final, parce que ça leur faisait trop bizarre si on l'enlevait.

Il arrive que des réalisateurs aiment garder l'imperfection de la maquette, qu'elle soit préférée à la version définitive...

F.A : Ici ce sont les versions enregistrées qui sont dans le film. Mais ce que vous dites m'est déjà arrivé, que la réalisatrice veuille garder les instruments midi. Parfois cela peut être lié à un problème d'enregistrement. Aujourd'hui les nouveaux instruments midi sont bluffants et incroyables. Cela devient un instrument soi, sans forcément le comparer avec les vrais sons. La question se pose alors de savoir quel son on préfère.

Il y a une tendresse dans la musique, et à aucun moment on sent la dureté qui va advenir. La musique reste à travers le regard insouciant de l'enfant...

F.A : Exactement. C'est insouciant, mais toujours dans une mélancolie. On est dans le regard de l'enfant qui ne comprend pas tout ce qui se joue. Elle voit ses parents se disputer très souvent au sujet de dettes. Elle ne sait pas exactement de quoi il s'agit. Après, son père lui explique que c'est lié au prix du lait qui a baissé à cause de la mondialisation. Cela rejaillit sur le moral de la petite fille. On garde cette mélancolie qui est la ligne directrice de la musique.

L'importance de la musique est de créer une bulle autour de ce personnage. Le thème principal est une ritournelle qui ne nous quitte pas, le réalisateur aime bien ces mélodies que l'on retient ?

F.A : Oui beaucoup, on aime ça tous les deux. Je suis un compositeur assez mélodique, j'aime travailler sur des thèmes forts. Même si ce ne sont que des nappes atmosphériques, j'aime qu'on puisse l'écouter en dehors du film.

À travers ce travail de thèmes, cela rejoint votre parcours personnel concernant les musiques que vous produisez pour la scène et les albums ?

F.A : Oui c'est juste. C'est vrai que j'ai toujours composé de la musique au sens large. J'ai eu des groupes avec lesquels j'ai beaucoup composé, avec lesquels j'ai fait des concerts dans des styles complètement différents, de la Soul, du Rock, du Funk. Ce qui m'anime, c'est d'essayer de faire quelque chose de mélodique, quelque chose qui marque. Dans mon cas, cela transcende toujours les styles. J'ai commencé la musique comme autodidacte, avec de la guitare rock, puis ensuite j'ai fait du jazz, j'ai eu mes groupes, puis ensuite j'ai appris la musique classique, j'ai même fait de la musique contemporaine, c'est comme ça que je suis arrivé à la musique de films. J'aime composer tout court, quel que soit le style. Et comme j'ai fait aussi des études de cinéma, je suis très cinéphile, je me suis dirigé vers la musique de film. C'était très logique finalement.

Il y a dans votre partition une richesse instrumentale, est-ce que quand vous composez votre thème vous pensez dès le départ à l'orchestration ?

F.A : Non. Je pense Harmonie et Mélodie, c'est tout. Le processus de composition se fait soit en improvisant au piano - j'ai pas mal de choses qui viennent de l'improvisation - ou alors j'ai une mélodie qui me vient en me lavant les dents, que j'enregistre sur mon téléphone. Quand j'ai du temps, je la reprend et je l'harmonise, soit au piano ou à la guitare. L'orchestration vient bien après. Il y a un ordre, il y a la composition de la mélodie ou de l'harmonie, ensuite j'associe les deux, puis au montage je me plonge dans le choix des instruments. Le réalisateur peut influencer ce choix. Pour "Louloute" j'ai eu pas mal de liberté.

Il y a des musiques préexistantes également, notamment des titres classiques comme Mozart ou Liszt, est-ce que ces auteurs classiques étaient des références pour votre musique originale ?

F.A : Je sais ce que Hubert aime, après trois films je commence à cerner son univers, je sais qu'il adore Mozart, Brahms aussi, il en met dans ses films. En termes d'influence, il y a un peu Mozart dans la manière d'utiliser les chromatismes. Pour Liszt il m'a demandé de faire un arrangement derrière le piano. C'est une partition très complexe, ce morceau de Liszt intervient au moment du rêve de Louloute, un rêve un peu psychédélique, il fallait que l'arrangement derrière le piano suive le rêve. Je me suis donné du mal pour le faire, mais au final ils n'ont pas pu avoir les droits de la version sur laquelle j'ai travaillé, donc j'ai dû tout recommencer sur une nouvelle version beaucoup plus lente. C'était un double défi.

Vous parliez tout à l'heure de Louis Bertignac sur lequel vous n'aviez pas non plus les droits et vous avez fait des chansons pour le remplacer. On peut citer le superviseur musical Thibault Deboaisne qui était chargé de ces négociations musicales...

F.A : C'est lui qui nous a dit ce qui était possible ou pas. Il accompagne aussi administrativement toute la musique originale, c'est lui qui nous propose les contrats, avec lui qu'on négocie. Il est venu à l'enregistrement. On a enregistré au Studio du futur (Paris 11e) pendant deux jours entiers. Il est venu assister et regarder et c'est lui qui apportait tous les contrats à signer aux artistes et interprètes. Il a été d'une aide précieuse.

Les superviseurs musicaux sont importants pour les questions techniques, administratives, juridiques, mais parfois il peut jouer aussi le rôle d'intermédiaire. Au regard de votre amitié avec le réalisateur Hubert Viel, il n'a pas eu besoin de faire l'intermédiaire en ce qui vous concerne ?

F.A : Oui bien sûr. À l'instant même où Hubert m'a envoyé le scénario, je savais que j'allais commencer à lui envoyer des propositions. C'était très naturel.

Vous a-t-il déjà envoyé le prochain scénario ?

F.A : Oui, j'ai déjà lu des choses de ses prochains projets. Mais je n'en dirais pas plus.

Bien sûr. Mais c'est intéressant de vous entendre témoigner de cette proximité avec un réalisateur, vous êtes présent à toutes les étapes, et finalement la collaboration ne s'arrête jamais, car dès qu'un projet se termine il y a déjà le suivant. Il n'y a pas de début ni de fin.

F.A : Et pour aller dans ce sens là, on aime aller encore plus loin car on a fait un concert ensemble, en 2019, à l'église Saint-Eustache, pour la Fête de la musique. On a joué en avant-première une version du thème de "Louloute" ("La cour de récré") qu'on vient d'entendre deux fois (à écouter dans le podcast). On l'a joué en version de groupe, avec des paroles chantées, écrites par Hubert.

Pour terminer, on peut annoncer "La troisième guerre" de Giovanni Aloi (au cinéma le 22 septembre 2021)...

F.A : Il était en compétition à la Mostra de Venise en 2020. C'est un film qui parle de la force sentinelle. On suit trois soldats dans Paris. Le sujet du film, c'est de dire que la vraie guerre n'est pas celle qu'on croyait, c'est plutôt la guerre sociale. Le projet a été écrit entre les attentats et les gilets jaunes. Le film associe les deux. La BO sort le 10 septembre.

Riche actualité, et deux films qui n'ont rien à voir. "Louloute" et "La troisième guerre" sont aux antipodes.

F.A : Tout à fait, la musique de "La troisième guerre" est très sombre, assez synthétique, avec un orchestre à cordes au-dessus enregistré avec le scoring Orchestra de Jonathan Grimbert. Comme vous le savez je suis un caméléon.

 

 

Propos recueillis par Benoit Basirico

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