Interview B.O : Benjamin Esdraffo (PETITE SOLANGE de Axelle Ropert)

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Propos recueillis par Benoit Basirico - Publié le 09-02-2022




Avec PETITE SOLANGE, au cinéma le 2 février 2022, Benjamin Esdraffo retrouve Axelle Ropert après "Tirez la langue mademoiselle" (2013) et "La Prunelle de mes yeux" (2016). Sa partition distille le sentiment diffus d'une jeune fille qui vit le divorce de ses parents avec mélancolie. 

Cinezik : Sur quelles bases s'est enclenchée la nouvelle collaboration avec Axelle Ropert ?

Benjamin Esdraffo : Axelle voulait plus de musiques que d'habitude. J’ai écrit quelques thèmes avant même le début du tournage. Certains s’y retrouvent, comme le thème de la dispute entre les parents. Il y a un autre thème qui a été conçu en amont du film, que nous adorions, et qui pendant longtemps revenait souvent dans le montage. Nous l’avions appelé le "thème de la douleur", et longtemps il a figuré en ouverture du film. Pour des raisons diverses, on a fini par ne presque plus l’entendre de tout le film - il en reste une seule trace, lorsque la mère de Solange tombe dans les bras de sa fille. L’une des raisons de la disparition de ce thème, c’est que j’ai écrit un autre thème pour la scène où Solange attend seule, un soir, dans un café. Et que ce thème a tellement plu à Axelle Ropert qu’il est devenu le thème de Solange. Et que je l’ai décliné en plusieurs endroits, notamment au générique début. En voyant le film, avec cette actrice formidable et sensible, le travail s'est recentré sur l’héroïne.

Vous partagez avec Axelle Ropert une cinéphilie commune de longue date, comment celle-ci s'est-elle exprimée sur ce nouveau projet ?

B.E : On parle de cinéma, elle m'envoie son scénario, on a une base de références communes. Mais j’ai l’impression que l'emploi de la musique est plus lié au cinéma américain qu'au cinéma français. En France, on la "redoute" parfois, comme si elle était une béquille par rapport à la mise en scène. Cela vient de réalisateurs comme Bresson, Straub, Rohmer que par ailleurs je vénère, mais qui étaient plutôt contre la musique dans leurs films. Je respecte entièrement le fait de ne pas en mettre, mais je pense que si on en met il faut que ce soit un des éléments du film au même titre que l'écriture, la mise en scène, le choix des acteurs ou de la photo. Une référence formulée en termes de musiques de film était Morricone (pour "White Dog" - Samuel Fuller, 1982). Mais sinon il y avait des références musicales qui n'avaient rien à voir avec le cinéma (Charles Ives, Darius Milhaud, Arvo Pärt, Procol Harum). Ce n'était qu'un point de départ. Ces références sont exprimées très en amont mais quand on a commencé à travailler on les a mises de côté. Hormis "La Création du monde" de Darius Milhaud. J’en avais fait une réduction pour piano que devait jouer le jeune dont Solange est un peu amoureuse - il y a un plan où on le voit jouer dans une salle de classe dont la porte est entrouverte. Il devait le jouer mais on l'a remplacé, en particulier parce que l’air de Milhaud s’intégrait mal à la musique du film qui court durant toute la séquence en question. J’ai fini par intégrer des instants de piano dans ma partition, ça colle avec le mouvement des mains que l’on voit dans l’image, et ça s’intègre mieux à la partition. Cela crée une correspondance entre la musique qui se joue à l'image et la musique qu'on entend en OFF. Plus tard aussi, lorsqu'on voit Solange errer près du fleuve, on trouve un petit orgue jeté sur une poubelle, elle se met à jouer, et l’on avait décidé que les sons d'orgue deviendraient un élément de la musique qui couvre la séquence.

Pour l'émotion du film qui passe par le point de vue du personnage, la musique semble souvent remplacer des dialogues...

B.E : Axelle Ropert est une cinéaste qui n'a pas peur du dialogue, on n'est pas dans un cinéma mutique où la musique ferait tout au premier plan face à de la pantomime. Malgré tout, le film évacue un certain nombre de choses, notamment les scènes de dispute avec les parents, qui sont toujours à distance. Là, la musique prend le relais. La musique se construit petit à petit, il n'y a pas d'idée théorique a priori, la musique amplifie ce qu'on a à l'image, prolonge tel ou tel sentiment.

Comment trouver le juste équilibre entre le soutien aux émotions et la pudeur ?

B.E : J'ai toujours peur que la musique écrase le film. Quand j'ai découvert les images et qu'Axelle me disait qu'elle voulait beaucoup de musique, je me disais qu'il n'en faudrait peut-être pas autant. Je lui ai demandé si elle était sûre. Je pensais que les scènes fonctionnaient très bien ainsi. Je me retiens donc un petit peu. Je ne veux pas que la musique ait un effet de signature trop affirmé. Il faut arriver dans ce petit espace qu'on a à amplifier ce qui se joue dans une scène, et ne pas écraser. La musique doit être à la fois émouvante, participer au film, et aussi rester à sa place. Il y a de très bons musiciens qui font de très belles musiques, mais où je trouve que c'est trop et ça peut me sortir du film.

Axelle Ropert définit cette idée par le terme "Symphonie musicale cachée"...

B.E : C'est joli. Ça me va.

Dans quelle mesure la réflexion musicale est anticipée au stade du scénario ?

B.E : J’écris des petites choses sur la base du scénario, mais je n’ai jamais d’idée précise de l’endroit où ces musiques seront placées. Je pense que c’est un choix qui doit appartenir au réalisateur - et au monteur, qui intervient toujours beaucoup dans ces questions. Axelle ne met pas de musique temporaire, ce qui est bien. En ce moment je travaille sur un film où il y en a beaucoup. Cela permet de savoir où ils veulent mettre de la musique et à la monteuse de monter en fonction. Mais ensuite ce n'est pas évident pour le compositeur de la remplacer. Ils s'y habituent. Le Morricone indiqué par Axelle a été cité en référence sans être placé sur les images. Je savais que je pouvais m'en inspirer sans avoir à le remplacer à tel ou tel moment précis du film.

Finalement, c'est votre propre musique qui a servi de Temp Track ?

B.E : Oui, j'ai fait ma propre musique temporaire.

Dans votre musique il y a une mélodie et un choix d'instrumentation qui met en valeur les solistes...

B.E : J'aime les thèmes effectivement, donc fatalement y a des solistes avec des thèmes qui se répondent. Je n'ai pas l'habitude de partir d'un thème car en général un thème unique au piano ne permet pas au réalisateur de s'imaginer ce que sera la partition. Aujourd'hui on peut arranger des maquettes, c'est plus important de trouver la couleur et le rythme très tôt. Puis le thème en découle. Quand je propose un morceau, je propose la couleur avec des arrangements aboutis, et au fil de cette recherche les thèmes apparaissent, ce qui induit des passations du thème d'un instrument à l'autre. C'est sur cette maquette que se décide l'acceptation de la réalisatrice. Et je peux modifier les arrangements au fur et à mesure.

Il y a un lien avec l'Italie dans la partition avec l'emploi d'une mandoline... et un aspect tango...

B.E : Alors pour le tango je viens de le découvrir en écoutant le morceau... c'est un des moments du film où la famille d'origine italienne se réunit et Solange s'imagine que tout va bien. Pour y parvenir c'est très empirique, je ne me suis pas mis à écouter beaucoup de musique napolitaine, ça se fait au fur et à mesure.

Parmi vos futurs projets, vous retrouvez Serge Bozon avec lequel vous avez écrit des chansons pour "La France", vous le trouverez d'ailleurs sur un film musical inspiré de Molière, "Don Juan".

B.E : Ce ne sera pas dans l'esprit de "La France" car là il y a trois comédiens qui chantent, Alain Chamfort qui vient de la chanson, ainsi que Tahar Rahim et Virginie Efira qui chantaient bien. Et on a enregistré un orchestre, pour de la musique symphonique, donc c'est très différent de "La France". Ce ne sera pas chanté du début à la fin. Il y a sept ou huit chansons à des moments de décrochage. La musique de film prend le relais des chansons avec près de 50 minutes de musique sur un film d'une heure et demie. Elle prend en charge le côté sombre du personnage.

 

Propos recueillis par Benoit Basirico

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