Avec le touchant et sensible "Armageddon Time" en compétition, Christopher Spelman retrouve James Gray après "Two Lovers" (2008), "The Immigrant" (2013), "The Lost City of Z" (2017) pour cette chronique sur l'Amérique des années 1980 vécu à travers le regard de deux adolescents issus d'un milieu défavorisé. Il propose des notes délicates et épurées à la guitare, pleines de candeur, exprimant la fragilité de l'enfance. Hormis cette unique musique originale, le cinéaste a coloré son récit de titres préexistants variés, allant de la samba brésilienne de Antonio Carlos Jobim, un air pop italien de Piero Umiliani, le reggae de The Clash (dont le morceau "Armagideon Time" a inspiré le titre du film), la disco de Ohio Players et Boz Scagges, les classiques de Mozart, Bach, Ravel, Tchaikovsky, le punk de The Raincoats, ou encore le rap de Sugarhill Gang. Voir le tracklist complet.
Premier gros choc du festival avec le vertigineux "Hi-Han" (en compétition) du polonais Jerzy Skolimowski qui retrouve Pawel Mykietyn après "Essential Killing" (2011) pour cette aventure hors du commun, à la frontière entre la fiction et l'expérimental, où la bétise humaine est relatée à travers les yeux d'un âne. Le film mise sur l'effet de sidération avec des images d'une puissance vertigineuse, entre dûreté et onirisme, et d'une musique continue qui humanise la bête, lui attribue une émotion, de la surprise, et fait exister un monde hostile. L'instrumentation singulière se base sur les solistes, où chaque instrument représente une individualité, avec une guitare, une harpe, un hautbois, un violon solo, le cor, et le piano. Le cinéaste a par ailleurs intégré un concerto de Mykietyn lui-même, et une pièce de Beethoven dans laquelle des ruptures successives entre le piano fragile et la masse orchestrale participent à la sensation d'instabilité qui règne dans ce film.
Toujours en compétition, nous ne sommes pas convaincu par le sentimentalisme en altitude dans "Les Huit Montagnes" (compétition). L'auteur-compositeur-interprète suédois Daniel Norgren signe pour le film belge de Felix van Groeningen & Charlotte Vandermeersch tourné au milieu des Alpes italiennes quelques instrumentaux magnifiant les paysages tout en annonçant un drame à venir par ses sonorités étranges, et met à contribution 18 de ses chansons (voir le détail) qu'il a pu écrire entre 2013 et 2022. Leurs présences par intermittence chapitrent le récit et participent au ton nostalgique, à l'esprit d'un album de vignettes, à travers cette histoire de deux amis de l'enfance à l'âge adulte.
Une belle surprise à l'ACID avec "99 Moons", film suisse de Jan Gassmann. Il s'agit d'un portrait de femme, tiraillée entre ses désirs contradictoires, entre sensualité et sauvagerie, à la sexualité en conflit avec les usages de la société, un portrait nerveux reposant sur une étrangeté, avec peu de dialogues. L'auteure-compositrice-interprète russo-canadienne Michelle Gurevich, également connue sous le nom de scène Chinawoman, signe une musique aérienne avec des violons et une guitare et trace le cheminement intérieur du personnage. Tandis que des musiques préexistantes sont écoutées (notamment dans la voiture). Michelle Gurevich propose par ailleurs une chanson originale pour la fin. Voir le tracklist des titres existants .
"Jacky Caillou" est le premier film (plaisant, mais pas totalement abouti) de Lucas Delangle présenté à l'ACID. Clément Decaudin signe pour cette plongée progressive dans le fantastique (un jeune garçon magnétiseur, et une jeune femme qui se transforme en louve la nuit) une partition de nature climatique, qui entretient le mystère. Elle représente la part invisible (le magnétisme, la mutation) par ses nappes electroniques aériennes. On y entend par ailleurs la chanson "Bravo" de Jacqueline Taïeb.
Une première BO d'un film de Cannes est rendue disponible (en digitale) :
"Esterno Notte" (une série montrée hors compétition comme un film de 5h) de Marco Bellocchio.
Le jeune compositeur italien Fabio Massimo Capogrosso fait la rencontre de Marco Bellocchio pour cette série criminelle avec une partition lancinante et mystérieuse de percussions, cordes, piano et sifflet, sur un rythme haletant pour soutenir la dimension politique (on pense alors à Ennio Morricone chez Élio Petri), dans un mouvement de farce ou de valse pour apporter un zeste de dérision, un requiem pour la solennité (il est question de l'organisation terroriste d'extrême gauche italienne Brigades rouges), ou encore des chœurs et notes aériennes pour une dimension sacrée. Le cinéaste avait fait appel auparavant à Ennio Morricone ("Les Poings dans les poches"), Nicola Piovani (de nombreuses fois dont le récent "Le Traitre") et Carlo Crivelli ("Vincere").