Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico
- Publié le 23-05-2023Cinezik : Comment Marco Bellocchio est-il en tant que réalisateur pour un compositeur ? Est-il directif ?
Fabio Massimo Capogrosso : Travailler avec Marco Bellocchio est vraiment agréable car il sait ce qu'il veut, il possède une profonde compréhension de la musique. Il exige beaucoup du musicien, c'est à la fois très stimulant et exigeant. Il recherche une musique qui soit toujours profonde. Pourtant, il laisse également la liberté de faire des suggestions.
Après "Esterno Notte", est-ce que ce nouveau film avec lui demandait une direction différente ?
Fabio Massimo Capogrosso : Oui, c'est un sujet différent qui nécessitait un langage complètement différent. C'est un film plus émotionnel, en quelque sorte. Il ressentait le besoin d'une musique puissante, qui aborde les émotions et sublime les images.
Le film s'appuie sur des faits historiques et religieux, des faits réels. Comment avez-vous intégré ces aspects dans votre composition musicale ?
Fabio Massimo Capogrosso : C'était très complexe. Il a fallu faire des recherches sur la musique hébraïque et chrétienne. Le réalisateur ressentait le besoin de représenter ce contraste entre ces deux religions. Il voulait également un langage très original et contemporain. Il y a aussi des anciens airs populaires. Pour moi, les modèles ont été Stravinsky, Berio. Il voulait donc se rapprocher de la source.
Certaines notes sont mélangées avec le son des cloches....
Fabio Massimo Capogrosso : Oui, on l'entend surtout à la fin. Ces deux musiques se mêlent. Et aussi, beaucoup de choses que j'ai écrites ont été mises de côté car ils ont dû choisir lorsqu'ils ont monté le film, mais le résultat est satisfaisant pour moi. C'était très fatigant mais très satisfaisant.
On peut entendre deux thèmes principaux. Le premier, un peu humoristique, notamment sur des scènes fantaisistes où un dessin s'anime. Et le thème pour la tragédie, avec l'orchestre en effervescence.
Fabio Massimo Capogrosso : Le thème le plus humoristique représente le monde des enfants, l'atmosphère ludique. Pour le thème dramatique, j'ai mélangé des éléments de mon propre style, de ma musique, et un thème populaire de la fin du XIXe siècle. J'ai pris les 4 premières mesures de ce thème et les ai modifiées en fonction des besoins du film.
Dans le thème tragique, on pense aussi à une référence : "Psycho" de Bernard Herrmann.
Fabio Massimo Capogrosso : Il est un de mes compositeurs de référence, mais ce n'est pas quelque chose que je cherche à imiter. C'est un compositeur qui m'a profondément influencé. Tout le monde me dit que ma musique ressemble beaucoup à celle de Bernard Herrmann. Même dans mes compositions de musique pure, de concert.
Ce n'était pas une indication de Marco Bellocchio ?
Fabio Massimo Capogrosso : Non, il m'a dit "fais comme tu sais faire". Il a toujours essayé de me faire comprendre le sens de la scène. Il fallait entrer un peu dans sa tête, dans sa vision du film. Parce que c'est un film très personnel, le plus important pour lui. Donc ce qu'il a fait, c'est m'expliquer les scènes.
Marco Bellocchio a-t-il appris cette méthode avec ses autres compositeurs, comme Nicola Piovani ou Ennio Morricone ?
Fabio Massimo Capogrosso : Je ne suis pas sûr. Il aime l'exploration, l'innovation. Il a une idée précise de la musique, mais il laisse l'artiste libre de s'exprimer. Il exige beaucoup du compositeur et fait confiance à ses collaborateurs et aux artistes qu'il choisit. C'est pourquoi il aime travailler avec des gens qui peuvent apporter quelque chose.
Votre inspiration vient-elle davantage des mots de Marco Bellocchio que de l'image ?
Fabio Massimo Capogrosso : J'aime composer de la musique en lisant le scénario. Je ne suis pas né pour faire du cinéma, donc je trouve la musique en moi, qui est un peu déconnectée de l'image. Ensuite, on essaie de la connecter à l'image. Mais si je ne la connecte pas au début, je crée une musique plus profonde. Donc, j'ai appris à composer ma musique en lisant l'histoire. Puis nous essayons de combiner les deux.
Parfois, les réalisateurs ont peur de la musique, ils veulent moins de musique, alors que Marco Bellocchio aime que la musique soit au premier plan, elle est un vrai personnage.
Fabio Massimo Capogrosso : Il m'a dit qu'il ressentait le besoin d'une musique importante pour ce film. Il a aussi utilisé trois ou quatre morceaux du répertoire, un de Shostakovich, un de Rachmaninov. Pour moi, c'était très difficile, car il a utilisé dans ce film des musiques très importantes et reconnues. Donc, pour garder le même niveau, c'était difficile. Mais, à la fin du travail, si je peux me permettre, je pense que c'est très bien.
La musique contribue aussi à un sens de l'humour dans le film. Le film n'est pas mélodramatique. Il a un côté farce.
Fabio Massimo Capogrosso : C'est une caractéristique du cinéma de Marco Bellocchio. Il y a toujours une composante grotesque, et une composante onirique. Ce sont des éléments que je retrouve dans ma musique de concert. Donc, évidemment, s'il m'a choisi pour "Esterno Notte", puis pour ce projet, c'est parce qu'il sent aussi que ce sont des éléments de ma musique.
Le compositeur est comme un scénariste musical, quelle est la dimension narrative dans votre travail ? Notamment pour la trajectoire des personnages ?
Fabio Massimo Capogrosso : Il y a des thèmes qui suivent le personnage d'Edgardo (de l'enfance à l'âge adulte). L'utilisation de ces thèmes qui reviennent dans le film est très importante pour établir un lien narratif. Après, c'est aussi une question de montage (de placement).
Le cinéma italien repose encore sur ses anciennes figures. Marco Bellocchio est toujours là. Travaillez-vous aussi avec de jeunes réalisateurs ?
Fabio Massimo Capogrosso : Je vais travailler avec un jeune réalisateur qui réalise son deuxième film, Gianluca Jodice.
La couleur orchestrale de votre musique est-elle très importante pour vous ou pouvez-vous quitter cet aspect pour explorer d'autres styles, comme l'utilisation de sons électroniques ?
Fabio Massimo Capogrosso : Dans ce film, on passe d'une écriture classique à une marche funèbre. Il y a aussi des sonorités électroniques discrètes.
Et avant de convoquer l'orchestre, utilisez-vous des maquettes sur l'ordinateur avec des instruments virtuels ?
Fabio Massimo Capogrosso : Malheureusement oui. Le son virtuel n'est pas réaliste. J'aimerais enregistrer directement pour l'orchestre, mais ce n'est pas possible.
Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico