Interview B.O : Quentin Sirjacq, faire exister une lumière (Black Flies, de Jean-Stéphane Sauvaire)

[Au cinéma le 3 avril 2024]

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Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico

- Publié le 18-05-2023




Le réalisateur français Jean-Stéphane Sauvaire relate dans son thriller américain, "Black Flies" (au cinéma le 3 avril 2024, après sa présentation en Compétition à Cannes), le quotidien de deux ambulanciers (le novice - Tye Sheridan, et l'expérimenté - Sean Penn) confrontés à la violence urbaine. Le film choisit d'épouser le point de vue du jeune ambulancier avec un travail sensoriel pour coller à son écoute. C'est Nicolas Becker (qui retrouve le cinéaste après "Une prière avant l'aube", 2018) qui élabore cet environnement sonore. Tandis que Quentin Sirjacq (habitué aux romances ou comédie de Jean-Pierre Améris) se charge de la partie plus mélodique en convoquant avec un orgue la dimension religieuse du récit (le tandem à l'image étant comme l'ange et le démon). 

Cinezik : Vous êtes connu pour votre travail sur les films de Jean-Pierre Améris et de Marion Vernoux. Avec ce film de Jean-Stéphane Sauvaire, vous explorez vraiment un nouveau registre, une nouvelle aventure. Comment cette rencontre s'est-elle passée ?

Quentin Sirjacq : Oui, tout à fait, c'est un nouveau registre qui fait appel à des expériences musicales que j'avais peut-être eues avant les films de Jean-Pierre et Marion. Tout a commencé lors d'une rencontre avec Nicolas Becker, le sound designer et compositeur. J'avais composé la musique pour un film intitulé "Mon frère" de Julien Abraham, qui se déroulait dans une prison. J'ai regardé d'autres films sur le même thème et j'ai découvert le film "Une prière avant l'aube", dont la musique m'a beaucoup intéressé. J'ai cherché qui était crédité et il s'est avéré que Nicolas était un ami d'amis. Je lui ai alors proposé de faire du Cristal Baschet et d'apporter un peu de son à la musique de "Mon frère". À partir de là, nous sommes devenus amis et collaborateurs. Nous avons réalisé un album, plusieurs films et divers projets ensemble. Quand le projet de "Black Flies" est arrivé, Nicolas m'a proposé de le faire avec lui. C'est donc ainsi que j'ai rejoint ce projet, dans un registre axé sur la musique expérimentale, la musique improvisée, de l'ordre de la noise, de la texture, d'une expérimentation sonore qui se concentre moins sur une ligne claire et une mélodie facilement reconnaissable que le demandait le cinéma de Marion ou de Jean-Pierre. Chaque film offre différentes possibilités musicales.

Nicolas Becker se charge du son, du côté immersif, sensoriel tandis que vous, vous êtes du côté plus mélodique, peut-être même du côté lumineux. L'un a le côté sombre et l'autre le côté lumineux. Est-ce ainsi que vous avez partagé le travail ?

Oui, tout à fait. C'est une bonne interprétation. Nicolas se charge du travail immersif, qui est très important pour lui en termes de son, pour immerger le spectateur dans les subjectivités. C'est ce qu'il a fait sur "Sound of Metal", c'est ce qu'il fait depuis longtemps. Ainsi, de cet aspect très immersif et assez sonore, au sens de la musique concrète, de l'ordre du bruitage électronique et de la sensation, nous avons décidé de faire émerger des lignes mélodiques. L'intérêt de notre duo, c'est que nous avons deux savoir-faire très différents et complémentaires, mais qui s'interconnectent et qui nous permettent d'avoir un spectre sonore très large. L'intérêt, c'est de savoir à quel moment le curseur bascule de la texture à la musique. Ce qui nous plaît dans notre démarche, c'est de réussir à trouver de nouvelles dynamiques assez surprenantes pour le spectateur, où tout à coup on passe d'un réalisme ou de quelque chose de sonore qui ne serait pas encore musical à un geste qui devient plus musical et qui se transforme. Cela crée une sorte de fluidité. Plutôt que d'avoir des insertions de musique qui soient un peu plus traditionnellement narratives, c'est une autre approche. Et effectivement, j'étais plutôt du côté de la composition au niveau des lignes mélodiques. Il y a du chœur, il y a des voix, il y a du piano. J'ai pris en charge ces aspects. Mais ensuite, nous sommes vraiment main dans la main en ce qui concerne la synchronisation, le rapport à l'image et les choix de densité. Nous faisons un premier choix et ensuite, le réalisateur lors du mixage fait encore un deuxième choix. Il sélectionne ce dont il a besoin. Nicolas crée beaucoup de matière sonore. Nous avons proposé beaucoup d'éléments qui du coup habitent le film, où musique et son sont à un niveau d'intensité relatif selon les séquences. C'est ça, le but.

Dans le cinéma actuel, le domaine de Nicolas Becker, le sound design et la matière, domine généralement. C'est du moins ce qui est le plus facilement accepté par les réalisateurs aujourd'hui, alors que l'aspect mélodique, qui relève de votre domaine, est un peu moins accepté...

Oui, vous touchez un point sensible, il est vraiment difficile de faire des mélodies au cinéma aujourd'hui. Je pense que les réalisateurs et les producteurs résistent peut-être à l'aspect descriptif et narratif de la musique. En tout cas, en musique originale. En synchro, peut-être pas. Si soudainement on utilise une chanson connue, ou un morceau de variété, ou de rock, ou même du classique, ça marche. Mais la relation avec la mélodie est très compliquée. Aujourd'hui, nous sommes moins dictés par le thème. Nous devons chercher quelque chose de l'ordre de la sensation. Et comment réussir à combiner la sensation et faire émerger malgré tout une mélodie ? On dit parfois que faire des nappes est facile, mais c'est aussi facile de faire des nappes de sound design que de faire des nappes d'orchestre. Si vous prenez un orchestre à cordes, avec une belle cadence d'accords, de bons musiciens vont vous le faire sonner d'une manière magnifique. La difficulté réside dans la recherche de la dynamique.

Y a-t-il eu une étape précédant l'autre ? Ou alors le travail sonore de Nicolas Becker et votre partie ont-ils été réalisés simultanément ?

On pense souvent que les mélodies sont plutôt composées ensuite, alors que le travail du son est effectué pendant le tournage. Cependant, dans ce cas, Nicolas n'a pas créé les éléments sonores pendant le tournage. En fait, nous avons commencé en parallèle. Nicolas était à Los Angeles sur un film d'Inarritu et Jean-Stéphane Sauvaire est venu le voir. Ils ont fait des sessions musicales où Nicolas a commencé à créer des matières, des nappes organiques, qui sont un peu sa marque de fabrique. Il a produit beaucoup de matériel.
Et moi, il me les a aussi envoyées. Le thème de piano, par exemple, qui revient deux ou trois fois dans le film, je l'ai écrit sur une nappe de Nicolas. Donc, Jean-Stéphane l'a eu assez tôt, même avant son montage. En fait, au moment du montage, Jean-Stéphane disposait un peu d'une banque de musiques que nous avions créées. Pareil pour les chœurs d'enfants que j'avais enregistrés et édités, j'avais commencé à travailler dessus. Donc, il avait des morceaux de musique qui n'étaient pas encore tout à fait produits, mais qui donnaient une vraie couleur. Et au moment du montage, il les a placés. Une fois qu'il les a placés, nous sommes revenus dessus. Nous avons ajouté tout ce qui pouvait manquer, mais avec tout de même un repérage qui avait pu infiltrer le film avant le montage. Donc pas avant le tournage, mais avant le montage.

Et vous, votre inspiration pour cette musique vient-elle des images ou plutôt des discussions avec le réalisateur ?

C'est surtout la discussion avec le réalisateur. Il y a eu plusieurs étapes. Il y a eu une étape où j'ai créé le thème au piano presque à partir du pitch, du scénario, sans les images. Cela m'arrive souvent en fait, un peu comme si j'avais un livret d'opéra et que j'imaginais un thème. Ce n'est pas nécessairement l'image qui est le moteur créatif pour la musique. Enfin, bien sûr, elle peut l'être, mais ce n'est pas forcément le cas. Donc là, par exemple, le thème du piano était plutôt lié à un sentiment de solitude. Il y a une ligne mélodique claire, un peu ascendante, mais aussi une sorte de mélancolie, de solitude, et en même temps de douceur. Cela me semblait incarner le personnage et je pense que cela s'est reflété dans la bande originale.

Oui, dans ce film, il y a des pulsions de vie et de mort. Ces ambulanciers sauvent des vies mais accompagnent aussi des mourants. Votre musique représente-t-elle plutôt le côté lumineux, l'émergence de la vie ?

C'est exactement ça. On avait créé des ambiances pour les interventions des ambulanciers qui sont plus dures, plus sombres, plus violentes. On avait des éléments plus violents, surtout au niveau des textures. Nicolas avait pris en charge cette physicalité du son lors des interventions. De plus, le montage sonore et le mixage sont très intenses. Nous avons quand même essayé de mélanger des nappes un peu plus mélodiques à l'intérieur de ça. Mais quand Jean-Stéphane a vu cet aspect du travail que nous faisions, il nous a dit : "Non, en fait, je ne veux pas que ce soit beau quand il y a des interventions d'ambulance". Du coup, nous avons poussé les curseurs en retirant l'aspect mélodique et l'aspect un peu plus musical de ces interventions. Cela a fini par devenir très, très sombre. Par contraste, les moments où le personnage est dans sa déambulation, dans sa relation psychologique avec sa mère, plus sur son intimité, pas lors des interventions, mais en dehors, là on a un aspect plus mélodique qui tire vers le haut. Il y a les voix d'enfants qui donnent un côté angélique, il y a quelque chose de l'ordre de la sublimation et de la recherche d'une rédemption, donc quelque chose qui est plus vers les aigus aussi. Cela peut sembler un peu radical, mais finalement, c'est avec ces caractéristiques sonores que nous avons pu développer tout le film et obtenir un objet avec une vraie unité.

Le personnage principal, interprété par Tye Sheridan, est le novice, le nouvel ambulancier, et il travaille aux côtés de Sean Penn, le vétéran du métier. La relation entre les deux est intéressante. On vit l'action du point de vue du novice. On entre dans l'histoire avec lui, dans sa vie privée, dans sa vie professionnelle. Vous l'avez mentionné, il y a ce côté de rédemption, et aussi cette symbolique presque religieuse, avec des anges dessinés sur son blouson. En ce qui concerne cette symbolique des anges, il y a l'utilisation de l'orgue...

La production et le réalisateur ont eu une résistance sur le morceau à l'orgue, qui est finalement central. Il y a un morceau qui est peut-être le plus classique de la bande originale, où il y a le moins de sound design et où il y a une sorte de ritournelle en trois temps, on a l'impression que c'est un peu comme le temps qui passe... Il y a une douce mélancolie qui est liée au personnage de Sean Penn, qui porte l'idée de la perte, de la nostalgie. C'est à ce moment-là qu'on entre dans l'intimité du personnage de Sean Penn, qui est un peu brisé par la vie. Il est séparé, il ne voit pas sa fille, il apprend que sa fille et son ex-femme vont déménager. Il y a donc une grande solitude, en plus de la violence au travail, une grande solitude affective. On ressent cela dans sa relation avec ce novice qui est un peu lui-même en jeune. Il y a cette relation en écho entre les deux personnages, le jeune et le vieux, qui sont en fait la même personne. Et l'orgue, je l'avais proposé au début, il n'a pas fait partie du vocabulaire global du film, mais un morceau est resté. Et ensuite, il y a le traitement de Nicolas Becker. Je lui donne des morceaux, que ce soit en quatuor à cordes ou au piano, et il fait des traitements électroacoustiques qui deviennent un peu comme des orgues aussi. Donc finalement, ce n'est pas comme un orgue où on entendrait le toucher et la précision des notes, mais il y a quand même cet aspect dans le timbre des nappes électroniques de Nicolas. Il y a donc l'orgue que j'ai utilisé une seule fois, avec les chœurs d'enfants cela donne quelque chose de religieux. Mais pour ne pas aller trop dans le gothique, on n'a pas trop insisté sur l'orgue.

Dans ce projet, vous avez intégré des éléments sonores de Nicolas Becker pour constituer votre partition, et à son tour, Nicolas Becker a également utilisé vos éléments musicaux. Cela semble donc être une vraie collaboration, avec beaucoup d'allers-retours...

C'est tout à fait ça. En effet, Nicolas a tendance à ajouter d'autres strates musicales aux mélodies ou aux harmonies que je crée. Cela apporte une dimension supplémentaire, un contrepoint sonore, ainsi qu'une complexité dans le vocabulaire. Il sort du cadre de l'instrumentation traditionnelle et apporte une façon de travailler le son qui s'inspire davantage de la musique concrète, des mélanges de la noise et du bruitage. En parallèle, je récupère souvent le travail de Nicolas sur la texture sonore, et à l'aide d'effets de pitch, je peux réharmoniser certaines textures. Par exemple, si une texture est en sol et que je souhaite qu'elle soit en fa, je peux la modifier. Parfois, je rends le travail de Nicolas plus figuratif dans un sens musical. Parfois, je laisse comme c'est, car cette incertitude, cette imprécision tonale, peut être intéressante. Cependant, si Nicolas crée une nappe sonore et que je souhaite y ajouter du piano ou des chœurs, je vais devoir harmoniser cette nappe pour qu'elle s'accorde avec le reste. Je m'occupe donc de cet aspect, de rendre ces nappes plus musicales. Elles le sont déjà par nature, mais parfois, pour certains passages où la tonalité est nécessaire pour accorder tous les instruments dans le spectre sonore, j'utilise cette technique. Parfois aussi, la nature même de ces sons, par leur expressivité, deviennent des éléments musicaux à part entière. C'est un autre son qui va avoir une dynamique musicale très intéressante et je vais alors composer autour de ce son.

Une étape essentielle du processus est le mixage. Vous semblez avoir pré-mixé vos deux travaux avant de les livrer pour le mixage final du film, lequel peut tout redistribuer ? Étiez-vous présent lors de cette étape ?

Nous avons effectivement réalisé un pré-mix avec un ingénieur du son et livré une session assez ouverte, comportant toutes les parties de la musique. Nous avons fait des "stems" pour les instruments principaux. Nous avons eu la chance que le mixeur, Ken Yasumoto, ait déjà travaillé avec Nicolas auparavant. Nous formions ainsi une équipe soudée, nous rendant régulièrement visite et échangeant des idées. Ensuite, Ken et Jean-Stéphane, le réalisateur - qui a été présent pendant presque tout le mixage, étant très sérieux et impliqué à cette étape - ont redistribué les éléments. Nous avons fourni une matière sonore très riche. Le film aurait presque pu être entièrement musicalisé et sonorisé à partir de notre travail. Ensuite, il s'agissait simplement de réajuster les curseurs. Parfois, il fallait pousser un peu plus, parfois, il fallait atténuer. Je dois dire qu'ils ont été plutôt audacieux. La bande originale est très présente dans le film. Ils n'ont pas hésité à tirer parti de l'expressivité offerte par la musique du film.

Le film possède une dimension cauchemardesque, tel un cauchemar éveillé. Bien qu'il contienne des éléments sonores ancrés dans le réalisme, il se démarque beaucoup de celui-ci, ce qui offre des opportunités incroyables pour un compositeur ?

C'est une vraie chance. Notre point de départ était de regarder le film du point de vue subjectif du héros qui a vécu un traumatisme. Pour rendre perceptible sa situation émotionnelle, la musique et le son nous offrent une perception déformée de la réalité, telle qu'il pourrait la ressentir, en raison de sa perte de contrôle et de son incapacité à gérer ses émotions à cause de son traumatisme. Et vous avez tout à fait raison, ce n'est pas du tout naturaliste. Le film a un aspect certes documentaire grâce à la présence d'acteurs non professionnels qui apportent une vérité saisissante, que ce soient les gangsters, les sans-abri, ou les autres personnages secondaires que l'on rencontre lors des interventions, cependant, l'approche formelle est beaucoup plus expressionniste, s'éloignant largement du réalisme, présentant une réalité très transformée, mais pour une raison narrative bien précise.

Le réalisateur a-t-il évoqué certaines références, par exemple celles Inarritu ("Amours Chiennes", 2000) ou de Martin Scorsese ("À tombeau ouvert", 1999), tant au niveau des films qu'à celui de leurs musiques ?

Non, en réalité, je n'ai pas eu de conversation spécifique à ce sujet avec lui. Jean-Stéphane, en ce qui concerne la musique dans son univers, n'avait pas nécessairement de références précises. Il a clairement indiqué qu'il ne souhaitait pas une musique de film au sens classique. Nous avons parlé un peu de musique contemporaine. Par exemple, je lui ai envoyé la musique de Penderecki à la mémoire des victimes d'Hiroshimai, des références qui évoquent le trauma ou la violence. Cette œuvre de Penderecki est importante, tout comme celle de Ligeti et de tous les avant-gardistes des années 1950-60, post-Seconde Guerre mondiale. Il y a une certaine violence, un chaos et une noirceur dans ces musiques.

Et Arvo Part pour le côté plus sacré ?

C'est exactement cela, Arvo Part a été une référence pour toute la partie plus sacrée. Même si on ne l'entend pas directement, la fonction de ces musiques est importante. Même si nous n'utilisons pas les mêmes moyens, parce qu'il s'agit souvent de musique très orchestrale et très écrite, avec moins d'éléments électroniques et texturaux, nous cherchions à recréer l'émotion qu'elles peuvent susciter.

Même si certaines de vos autres partitions, qui n'ont rien à voir avec ce film, comportent des touches de jazz, comment cette expérience passée a-t-elle pu nourrir votre travail sur celui-ci ? En dépit du fait qu'il n'y ait pas de jazz à proprement parler dans le résultat final, y a-t-il des éléments de jazz dans votre processus de composition ? Peut-être qu'une partie a été jouée plus qu'elle n'a été composée ?

Effectivement, le thème principal du film est une improvisation au piano. Nicolas m'avait envoyé une nappe sonore assez riche et envoûtante qui durait huit minutes. J'ai donc réalisé une improvisation de huit minutes. À ce moment-là, je travaillais sur un album où je m'intéressais beaucoup à l'idée de dilatation du temps. Je m'efforçais de répéter presque la même idée pendant très longtemps pour voir comment cela influait sur mon état, ma précision et ma relation avec le toucher et l'expressivité dans la durée. C'est différent de jouer un thème complet en 50 secondes. Mais si on travaille ce thème en répétant des micro-variations pendant huit minutes, on atteint presque un état de transe, de méditation. C'est donc sous cette forme improvisée qu'est né le thème. J'ai ensuite harmonisé cette idée et l'ai fait jouer au nyckelharpa (un violon suédois). Bien que le thème soit devenu plus générique par la suite, c'est ainsi qu'il a été créé. Certaines idées me viennent en tête, certaines sonorités aussi, mais il y a aussi une grande part d'expérience physique au piano, presque improvisée, ce que j'assume. Je crois que beaucoup de compositeurs travaillent de cette manière. Il y a le fil de la pensée, mais cela passe aussi par le toucher. Il ne s'agit pas seulement de travailler à la table. Parfois, c'est la sensation de l'instrument qui peut vraiment apporter des solutions musicales. Que ce soit dans d'autres films ou dans le jazz, j'ai toujours travaillé de cette façon, ainsi que sur mes albums. C'est donc un mélange entre composition et improvisation. Le résultat oscille entre les deux. Cela peut tendre plus vers l'un ou l'autre, mais c'est clairement une relation assez libre avec l'imagination, l'inconscient qui s'exprime dans l'improvisation et aussi dans le jazz. Une chose qui continue de m'inspirer et de m'influencer est l'aspect de la transe, une sorte de mécanique physiologique et émotionnelle qui se met en place. On peut la retrouver chez des musiciens comme John Coltrane, Keith Jarrett, et dans certains styles plus free jazz.

 

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico


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