Interview B.O : Antoine Bodson & Maxime Rappaz (Laissez-moi)

[Au cinéma le 20 mars 2024]

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Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico

- Publié le 17-05-2023




Antoine Bodson signe la musique du premier film suisse de Maxime Rappaz, “Laissez-moi” (sortie au cinéma le 20 mars 2024 après la selection ACID à Cannes 2023), le portrait d'une femme (Jeanne Balibar) tiraillée entre son travail de couturière, son fils handicapé, et son désirs pour des hommes. La partition accompagne le périple intime du personnage avec douceur à l'aide d'un piano solo délicat qui revient par intermèdes et tisse le fil rouge d'un récit elliptique. Le thème se retrouve joué à l'image par un homme au piano. 

Cinezik : Maxime Rappaz, en tant que réalisateur, avez-vous anticipé la musique dès l'écriture ? À quel moment y avez-vous pensé pour la première fois ?

Maxime Rappaz : Eh bien, au tout début de l'écriture, je n'y ai pas pensé de manière très précise, mais je dirais qu'à mi-chemin du développement du scénario, la musique a commencé à prendre sa place parce que je souhaitais que la musique, la composition originale, ait un lien avec la musique qui est jouée et chantée dans le film par les personnages. À partir d'un thème que nous avons trouvé avec le compositeur, nous avons développé plusieurs variations pour composer la bande-son.

Alors, ce n'est pas un film musical, mais il y a des moments où un pianiste intervient dans l'image, et le thème du film se retrouve joué...

Antoine Bodson : Ce thème a été composé en amont pour permettre aux comédiens de le jouer en direct pendant le tournage. Nous sommes partis de ce thème central pour ensuite travailler la matière musicale après le tournage.

Au cœur de ce film, il y a cette femme, Claudine, incarnée par Jeanne Balibar, qui est tiraillée entre son travail de couturière, son fils handicapé et son désir pour différents hommes dans un hôtel. Est-ce que le rôle de la musique était de se connecter à cette femme, à ses désirs, et de suivre son chemin vers une sorte de liberté ?

Maxime Rappaz : Oui, nous avons vraiment travaillé des moments musicaux spécifiques à chaque partie du film, en suivant toujours une même ligne directrice, avec un aspect répétitif qui correspond à la grammaire du film et en suivant l'évolution intérieure du personnage.

En tant que réalisateur, vous n'avez pas forcément le langage musical. Comment avez-vous transmis vos intentions ? Avez-vous fait écouter des musiques en référence ? Comment avez-vous transmis vos idées ?

Maxime Rappaz : Au début, j'avais des idées totalement différentes de ce qui est finalement dans le film. Ça a été un long chemin. C'est mon premier film, donc ce n'était pas évident pour moi de savoir exactement ce que je voulais. C'était un travail d'allers-retours avec le compositeur. Nous échangions des références, testions plusieurs instruments, et cherchions différentes façons de relier la musique aux images. Finalement, nous avons opté pour la sobriété du piano.

Antoine Bodson est un artiste qui a également réalisé des albums. Est-ce parce que vous appréciez sa musique que vous avez fait appel à lui ?

Maxime Rappaz : J'ai découvert Antoine car il avait travaillé sur un film de Joachim Lafosse, "Les Intranquilles", et j'aimais beaucoup ses compositions, qui n'ont pas grand-chose à voir avec ce que nous avons fait pour ce film-ci. Mais c'est plutôt une rencontre et des affinités personnelles qui ont fait que nous avons travaillé ensemble.

Antoine Bodson, vous êtes donc un artiste d'album et pour Joachim Lafosse, ce sont des musiques préexistantes qui ont été prises. C'est donc votre premier travail sur mesure. Quel a été pour vous cet apprentissage de faire une musique sur mesure pour un film ?

Antoine Bodson : Je ne sais pas s'il y a eu un travail d'adaptation, j'ai toujours fait de la musique instrumentale, qui est finalement très imagée. Et là, il y a forcément un cadre et une ligne directrice à suivre, mais ce n'était pas complètement nouveau pour moi. Il y avait des critères à respecter, et avec Maxime nous étions en ping-pong tout le temps pour pouvoir évoluer dans la bonne direction. En tout cas, je n'ai pas trouvé cela particulièrement fastidieux.

Votre musique était plutôt dans le registre électronique. Et là, le choix du piano, était-ce aussi pour sortir de votre territoire habituel ?

Antoine Bodson : Finalement, pas tant que ça, parce que je viens de ce milieu. J'ai été formé au piano classique. J'ai pu faire de nombreuses propositions, et nous avons exploré beaucoup de directions. Cela a été un travail rigoureux, mais l'inspiration venait assez naturellement pour les différentes propositions. Quant au piano, c'est mon point de départ, et bien que je fasse de la musique électronique, c'est en quelque sorte un retour aux sources.

Ce retour aux sources vers le piano est-ce aussi finalement le choix d'aller vers la douceur, vers l'intimité de ce personnage ? D'où est venue votre inspiration ?

Antoine Bodson : Le morceau de base qui nous a servi de référence était "Twin Peaks". C'était directement inspirant. En termes d'inspiration, je n'ai pas rencontré trop de blocages. Nous avons exploré beaucoup de choses car, Maxime, je pense que tu savais ce que tu voulais au fond, mais dans la forme, ce n'était pas très précis. Donc nous avons tenté beaucoup de choses, beaucoup d'instruments différents, beaucoup d'arrangements différents. Même avec des musiques qui étaient, disons, orchestrales, et d'autres qui étaient un peu plus électroniques avec des synthétiseurs, etc., nous nous sommes finalement retrouvés à ne garder que le piano. Cependant, je pense qu'en termes de sensibilité, même les musiques très arrangées n'étaient pas si éloignées de ce que nous avons maintenant. C'était arrangé différemment, mais je pense qu'en termes de sensibilité, nous avons toujours plus ou moins suivi le même chemin.

Maxime Rappaz : La musique a également suivi un peu le parcours du montage, c'est-à-dire qu'au début nous avions un montage un peu plus riche, tout comme la musique, et petit à petit, nous avons vraiment cherché une grammaire épurée, et la musique nous a aidés à faire cela tout en s'adaptant aux images et aux différentes versions du montage. Et effectivement, le choix du piano est allé de pair avec le choix du montage, où nous avons simplifié et sommes allés à l'essentiel.

Parfois, lors du montage, les monteurs et les réalisateurs utilisent des musiques pour adapter le montage. Là, étant donné que les musiques d'Antoine étaient déjà présentes, ont-elles finalement contribué au montage ?

Maxime Rappaz : Oui, nous demandions souvent à Antoine de nous proposer des morceaux musicaux pour nous aider à trouver le rythme d'une séquence. Parfois, c'était l'inverse. Nous avions un rythme très précis pour une séquence et nous demandions au compositeur de s'adapter à l'image près.

Le film est situé dans un hôtel de montagne. Il y a cet environnement climatique, qui a sa propre sonorité, avec lequel la musique résonne...

Antoine Bodson : Oui, au début du film, le piano nous transporte dans cet environnement. Nous avons travaillé sur le mixage de manière à ce que le piano résonne, comme s'il avait une amplitude, de la réverbération, en fonction des images que l'on voit.

Et nous sommes aussi souvent dans le hall d'un hôtel, où il y a quelques chansons des années 80. Quel a été le travail concernant cette musique intradiégétique ?

Maxime Rappaz : Nous avons fait un important travail de recherche. Nous avons sélectionné des musiques des années 80. Parallèlement, le film se déroule à la fin des années 90. J'appréciais ce mélange entre différentes époques, ce contraste un peu plus festif ou léger par rapport à ce que l'on voit dans le film.

Aviez-vous, avant de réaliser ce film, une idée préconçue de ce qu'est la bonne musique de film grâce à votre cinéphilie ?

Maxime Rappaz : J'ai l'impression que chaque film trouve sa musique. Certains films n'ont pas besoin de musique, tandis que d'autres en ont besoin. Et quand je dis besoin, ce n'est pas que ce serait meilleur sans ou avec. Pour ce film, il y a des séquences où nous avions ajouté de la musique, et d'autres où nous avons finalement décidé de les enlever. C'était par touches, en tâtonnant. Je n'ai pas vraiment d'idées préconçues. C'est plutôt une recherche et un travail qui se fait progressivement. Je n'ai pas de dogme. Pour ce premier film, nous avons vraiment exploré plusieurs possibilités. Je pense que pour le prochain, j'aurai des idées plus précises en tête concernant ce qui résonne mieux avec telle séquence, ou quel instrument serait le plus approprié. Mais chaque film est différent, et tout dépendra de ce que le prochain projet apportera.

 

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico


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