par François Faucon
- Publié le 17-02-2014La chanson donne le ton, dès le premier accord. En l'occurrence : l'accord propre au Gunbarrel. Ce n'est donc pas n'importe quelle chanson mais une chanson de James Bond. La mélodie sera reprise dans le film ("Komodo Dragon" à partir de 0'14). Adèle, choisie pour sa voix et son succès dans "Rolling in the deep" (4 930 000 exemplaires vendus et n°1 au Box office à peu près partout...), obtiendra un Oscar et un Golden Globes de la meilleure chanson originale.
C'est l'excellent Thomas Newman qui compose la musique du 24ème opus officiel. Excellent, mais néanmoins inattendu dans le registre du film d'action tant sa discographie nous a habitué à des films "de société" ou psychologique (American Beauty, Iron Lady, Rencontre avec Joe Black, The Shawshank Redemption, etc.). La première écoute pourrait être l'occasion d'une question à l'attention de la production : "Pourquoi embaucher Thomas Newman s'il doit introduire l'esprit musical de Hans Zimmer dans 007 ?" Après tout, James Bond n'est pas Batman et Zimmer aurait très bien pu réutiliser les thèmes de James Bond à sa façon. Car l'influence est manifeste.
Cela est d'autant plus déroutant que le reste de l'œuvre reste insipide et 007 en sort avec une personnalité amoindrie. Dans un précédent article qui m'avait valu quelques critiques désopilantes, j'avais déjà, abordé cette manie de reprendre sans arrêt le travail des autres . Mais pourquoi rendre hommage à Zimmer si ce n'est pour surfer, d'un blockbuster à l'autre, sur la vague d'une même réussite ?
J'avais analysé les raisons de telles pratiques mais j'en avais oublié une qui, selon moi, s'applique très bien ici. L'objectif d'une musique de films n'est pas d'innover en termes d'écriture ou d'apporter une révolution dans l'univers du cinéma. Au début du 20ème siècle, lorsque le muet domine, il faut réutiliser desmusiques à succès pour attirer le public vers ce qui n'est encore qu'un "art forain".
Avec le temps, la musique est devenue un élément de mise en scène par lequel le compositeur apporte quelque chose que l'image ne peut pas dire seule . Pour y parvenir, nul besoin de s'appeler John Barry... Il faut également compter avec la nécessité de laisser dans l'oreille du spectateur un thème, une mélodie aisément identifiable qui personnalise l'action ou le héros et qui permet une certaine appropriation de l'image par le spectateur. Or, aujourd'hui, ces mélodies se raréfient et sont, de plus en plus souvent, remplacées par des thèmes rapidement établis et noyés sous la masse de percussions censées symboliser les montées d'adrénaline.
John Barry composait plusieurs mélodies pour chaque James Bond ainsi que des chansons qui laissent Adèle/Skyfall loin derrière Goldfinger et We Have All The Time In The World notamment. Il faudrait analyser une certaine désaffection envers la musique classique afin de pleinement comprendre ce phénomène d'amoindrissement du nombre de mélodies.
On retrouve bien sûr, des éléments propres à Newman comme les boucles (le même motif tourne en boucle d'un bout à l'autre de la piste). Ainsi, dans "Quatermaster", la même boucle musicale est reprise successivement à des tonalités différentes et par des instruments différents. A vrai dire, ce procédé n'est pas totalement nouveau et proviendrait du travail de George Martin : "Prenons pour exemple la fin de Live And Let Die, lorsque le méchant Dr Kananga combat James Bond. Tous deux tombent dans le bassin aux requins et Kananga meurt après que James Bond lui eut fait avaler une capsule d'air comprimé. C'est le thème de "Live And Let Die" qui est utilisé. Le morceau commence lorsque Kananga sort son couteau, et l'instrument principal, ce sont les cuivres. Alors que le combat s'intensifie les percussions prennent la relève, puis lorsqu'ils sont dans l'eau, c'est le tour des violons, et quand Kananga gonfle et explose le spectateur entend un swing de guitare." [Vincent Chenille, voir bibliographie, page 102]. Sauf que, malgré plusieurs visionnages de cette scène, cela ne s'entend tout simplement pas ! A croire qu'il s'agit d'un autre film. Les propos de Vincent Chenille sont d'autant plus déconcertants que le procédé est utilisé dès Thunderball. En effet, dans "Crash Landing/The Bomb", on trouve le motif suivant à partir de 0'52 :
Il est successivement joué (peut-être...) à la petite harmonie, puis à la flûte et enfin par les violons à l'octave supérieur jusqu'à 2'00. Idem à 2'50 à la flute (dans le grave) puis à la flûte (à l'octave supérieur) et par les violons (encore à l'octave supérieur)... Toujours est-il que John Barry offre des exemples plus évidents à retrouver comme "Chew Me In Grislyland" dans The Man With The Golden Gun. A partir de 2'10, le même motif est repris successivement à la trompette puis à la petite harmonie (flûte et clarinette, semble-t-il) puis au violoncelle avant de finir sur une légère variation de ce thème par la même petite harmonie qui cède la place aux trémolos des cordes. "Quatermaster" paraît bien fade à côté.
Pour en revenir à Skyfall, Thomas Newman diffuse, avec "Severine", la dose règlementaire de sensualité ainsi qu'un certain exotisme dans la piste éponyme "Skyfall". Il s'agit d'une version plus lente, orientalisante et partielle de la chanson d'ouverture. Pour autant, tout ceci valait-il un Oscar ? L'excellent Thomas Newman était-il vraiment le compositeur à convoquer pour personnaliser cet opus ? Où est passé l'excitation musicale propre à l'espion britannique et que l'on retrouvait dans les précédents films (réécoutons l'excellent "Runaway" de Bill Conti pour For Your Eyes Only...) ? Face à la concurrence de Jason Bourne, 007 a-t-il vocation à perdurer ? Certainement pas avec de telles musiques.
Mais alors que prouvent l'ensemble de ces considérations sur les musiques de Bond ? Qu'à chaque nouvel acteur incarnant 007, l'univers musical a totalement changé et a su produire une nouvelle incarnation tout en conservant, via les thèmes majeurs, une identité transfilmique. Ainsi, avec Sean Connery, Monty Norman et John Barry fixent les canons historiques de la musique bondienne (voir première partie) qui ont encore cours avec Skyfall, quarante ans plus tard. Avec l'arrivée de George Lazenby, John Barry choisit une musique très romantique et plus humaine à l'image du 007 campé par l'acteur et du drame qui clôt le film. L'arrivée de Roger Moore impose un nouveau style musical : le rock de Paul McCartney. L'ironie et l'humour étant présent sur la "période Moore", il ne faut pas s'étonner de les retrouver dans les musiques. En même temps, le symbolisme musical de John Barry semble s'affadir ; peut-être en raison d'un essoufflement des "recettes" sur chaque nouvel opus ou d'une trop forte association avec l'ironie des films. Malgré la qualité de certains opus ultérieurs, John Barry n'aurait-il pas dû s'arrêter avec Diamonds Are Forever ? Entre-temps, le comeback de Sean Connery sur un 007 non-officiel relève de l'anachronisme musical. Timothy Dalton campe un espion plus jeune, plus dynamique que son prédécesseur ; il est aussi plus noir, plus violent et moins humoristique. La musique épouse ce nouveau jeu d'acteur et devient "malsaine". La tentative d'Eric Serra de renouveler le genre avec l'arrivée de Pierce Brosnan est un échec. On revient donc aux sources musicales avec une réutilisation modernisée des thèmes historiques par David Arnold (digne héritier et successeur de John Barry).
par François Faucon
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