par Quentin Billard
- Publié le 01-01-2008Et, comme souvent chez Leone, un sentiment très fort de nostalgie, sans aucun doute le mot majeur pour définir l’émotion si particulière qui se dégage de cette musique vibrante et émouvante.
Basée autour de trois thèmes principaux, la musique de Once Upon a Time in America s’attache à suivre le récit mouvementé de Noodles et ses amis, le premier thème apparaissant dès le début du film (à noter que le générique de début du film débute de façon extrêmement sobre sur fond noir, sans musique ni effet sonore), thème confié à des cordes et un piano dont la sonorité évoque les vieux pianos bar-saloon du far-west (une réminiscence des anciennes musiques westerns de Morricone ?) avec un côté mélancolique et nostalgique, associé aux origines pauvres de Noodles et de ses compères du ghetto juif (on l’appellera ‘Poverty’s Theme’), et qui annonce par moment le style de certaines parties de The Untouchables (1987), la seconde partie étant confié à une flûte à bec et une mandoline avec des cordes chaleureuses. Dans le film, le thème est plus souvent juxtaposé à une autre mélodie qui sera plus présente par la suite et que l’on intitulera ‘Friendship’s Theme’ (piste 1), thème de l’amitié entre Noodles, Max, Patsy et Cockeye, une très belle mélodie confié à des cordes lyriques et une flûte, et que Morricone déclinera tout au long du film comme un véritable leitmotiv empreint d’une nostalgie simple et touchante (à noter une légère approximation des cordes vers la fin du morceau piste 1). Mais le thème le plus magnifique de la partition de Morricone reste sans aucun doute le ‘Deborah’s Theme’, dont le lyrisme poignant des cordes évoque l’amour contrarié entre Noodles et Deborah, la distance entre les deux personnages étant caractérisée par un sentiment de nostalgie poignante où se mêlent regrets et songes rêveurs pour ce qui s’avère être le plus beau thème de la partition de Once Upon a Time in America. Afin de renforcer le lyrisme de ce thème poignant, Morricone fait intervenir sa fidèle soprano Edda Dell’Orso qui nous avait déjà tellement enchanté sur C’era une volta il West et dont la beauté éthérée de la voix transcende le thème pour lui donner une facette plus puissante voire quasi angélique. Dès lors, Morricone utilisera ses trois thèmes tout au long du film à travers de multiples variantes qui accompagneront les personnages et les différentes émotions du film, d’où quelques utilisations parfois très habiles de la musique sur certaines scènes dont le pouvoir émotionnel se trouve totalement décuplé par l’association image/musique, apportant une touche opératique au film comme il l’avait déjà fait précédemment à plusieurs reprises sur ses anciennes partitions pour Sergio Leone.
Mais la plus grande surprise vient ici de l’utilisation tout à fait inattendue de la flûte de pan de Gheorghe Zamfir, grand spécialiste incontesté de cet instrument, et dont Ennio Morricone s’est adjoint les services sur sa partition. Dans le film, c’est le personnage de Cockeye (William Forsythe) qui joue de la flûte de pan, son instrument fétiche qui l’accompagne tout au long du film comme une véritable signature musicale (‘Cockeye’s Song’), une réminiscence de l’harmonica qui avait un rôle similaire avec le personnage de Charles Bronson dans C’era una volta il West. Dans le film, la flûte de pan (parfois joué ‘in’ et ‘off’) est associé aux moments plus dramatiques de l’histoire des quatre amis, comme lorsque Morricone réutilise la flûte de pan pour l’excellente scène où le jeune Dominic (Noah Moazezi) se fait abattre par Bugsy. ‘Childhood Memories’ dévoile ainsi un quatrième thème confié à la flûte de pan sur fond d’orgue aux résonances quasi religieuses, et qui évoque une fois encore ici le souvenir de l’enfance et le passé, sur un ton plus sombre et minimaliste (à noter une superbe utilisation de ce thème lorsque Noodles se rend sur le tombeau de ses trois amis, justifiant ainsi l’utilisation de l’orgue). La seconde partie du morceau nous propose une reprise du ‘Friendship’s Theme’ sous la forme d’une petite pièce de Big Band dans le style de la musique swing américaine des années 30, Morricone ayant ainsi eu l’occasion de revisiter pour les besoins du film de Sergio Leone toute une tradition musicale de la musique swing d’avant-guerre, parfois utilisé en ‘source music’ dans le film, et que l’on entend généralement pour toutes les scènes où les compères se réunissent dans leur Q.G. et profitent ensemble de leur nouvelle vie, comme dans ‘Friends’ et son côté sautillant et insouciant empreint d’une nostalgie toujours très présente, qui hante l’ensemble du film. Morricone berce même dans le romantisme à l’ancienne dans ‘Amapola (Part 1)’ qui, entièrement confié à des cordes (il s’agit d’une reprise d’une vieille chanson traditionnelle), accompagne la scène du dîner entre Noodles et Deborah vers la dernière partie du film, évoquant ici les musiques romantiques du "Golden Age" hollywoodien. Les pièces jazzy/swing se multiplient, passant de la scène de la fête pour la fin de la prohibition dans l’enjoué ‘Prohibition Dirge’, l’entraînant ‘Speakeasy’ au léger ‘Amapola Part II’ et sa clarinette douce heureuse, sans oublier la reprise jazzy de ‘Friends’ à la piste 12. Morricone nous offre même quelques moments plus sombres et dissonants comme l’ouverture sinistre de ‘Cockeye’s Song’ avec ses cordes dissonantes qui nous renvoient au style de The Thing (1982) et qui accompagne certains moments plus sombres du film de Leone. Le reste du film est quand à lui accompagné par de multiples reprises des principaux thèmes comme le ‘Poverty’s Theme’ dans ‘Childhood Poverty’ à la mandoline, comme le ‘Friendship’s Theme’ à la flûte dans ‘Photographic Memories’ ou le ‘Deborah’s Theme’ dans ‘Friendship and Love’. A noter que la réédition "expanded" de la partition maîtresse de Morricone nous permet d’entendre deux thèmes inutilisés dans le film ainsi qu’une suite de 13 minutes regroupant les meilleurs éléments les plus caractéristiques de la partition du maestro italien.
Vous l’aurez certainement compris, Once Upon a Time in America est un énième chef-d’oeuvre de l’un des plus géniaux compositeurs de sa génération, un musicien qui n’a jamais hésité une seule fois à donner le meilleur de lui-même pour le cinéma qui resta, pendant plus de 40 ans, son terrain de prédilection. Avec l’ultime film de Sergio Leone, Ennio Morricone nous offrait en 1984 ce qui allait devenir l’un de ses chef-d’oeuvres les plus appréciés bien que le grand public ait plus souvent tendance à retenir ses musiques westerns telles que Le bon, la brute et le truand ou Il était une fois dans l’ouest qui sont devenues extrêmement populaires au fil du temps. Du temps il est justement question dans la partition lyrique et nostalgique de Once Upon a Time in America, où le compositeur reflète ce récit amer et poignant d’un passé plein de regrets avec une maestria exemplaire et une sensibilité à fleur de peau. Morricone n’a jamais été autant inspiré que lorsqu’il fut amené à écrire de la musique pour son fidèle complice de toujours Sergio Leone, en qui le maestro puisait toute la vigueur de son inspiration qui, malgré près de 30 ans de collaboration régulière avec le cinéaste italien, ne s’est jamais estompé au fil des années, bien au contraire. La musique d’Ennio Morricone semble d’ailleurs se bonifier avec le temps comme un bon vin, une musique qui se déguste lentement mais sûrement et s’apprécie au fil des écoutes, car comment ne pas être bercé dans le film par la douce mélodie poignante du ‘Deborah’s Theme’ et cette voix de soprano éthérée ou ce thème nostalgique et émouvant évoquant l’amitié d’une bande de copains aujourd’hui disparus? La musique de Morricone apporte une émotion particulière au film, la musique semblant flotter parfois par dessus les images à la façon d’un rêve ou d’un souvenir, jouant la carte de la nostalgie vibrante qui ne peut laisser personne indifférent. Si le ‘Deborah’s Theme’ n’atteint pas complètement ici la beauté transcendante du thème de Jill dans C’era une volta il West, il n’en demeure pas moins un thème poignant et grandement mémorable qui hante longtemps l’esprit même après une première écoute. Au final, voici une autre partition incontournable d’Ennio Morricone à connaître absolument, un de ses chef-d’oeuvres qui, en 1984, concluait en beauté l’exceptionnel collaboration entre Ennio Morricone et Sergio Leone !
par Quentin Billard
Interview B.O : Pierre Desprats (Les Reines du drame, de Alexis Langlois)
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