Mon Nom est Personne (Ennio Morricone), chevauchée excentrique

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par Quentin Billard

- Publié le 01-01-2008




Le grand maestro italien signe une fois de plus un petit chef-d’oeuvre pour Mon Nom est Personne. Visiblement très inspiré par l’émotion et l’humour du film de Tonino Valerii (mais écrit par Sergio Leone), Morricone nous propose une partition fraîche, drôle, inventive, lyrique et poignante, avec pas moins de trois thèmes majeurs tout aussi mémorables les uns que les autres.

Le premier thème principal est associé à personne, et s’apparente à une joyeuse ballade sereine jouée par une flûte à bec sur fond de guitares, guitare électrique "funky", rythmique légère et choeur féminin. C’est la fraîcheur et la simplicité de cette mélodie à l’apparence naïve qui étonne ici, alors que la plupart des thèmes western de Morricone sont bien souvent dramatiques et lyriques. Le maestro voulait donc retranscrire tout le côté grand enfant/comique du personnage de Terence Hill en lui écrivant cette joyeuse ballade innocente et fraîche comme la jeunesse. A noter aussi l’utilisation de la flûte à bec, un instrument auquel le compositeur a eu recours à plusieurs reprises dans certaines de ses anciennes partitions western spaghetti.

Le second thème, bien plus dramatique et ample, est associé quand à lui à Jack Beauregard dans ‘Buona Fortuna Jack’. La mélodie de Jack se distingue par sa tristesse et son caractère lyrique typique de Morricone évoquant à travers le personnage d’Henry Fonda les derniers jours du western d’antan qui est sur le point de prendre fin. Le maestro répond donc à ce caractère par une musique crépusculaire et poignante, dans la lignée de Il était une fois dans l’ouest (en cependant bien moins mémorable), dominé par une très belle ligne d’harmonica typique du compositeur. A noter que le compositeur utilise ici la voix de sa soprano italienne fétiche, Edda Dell’Orso, présente sur la plupart de ses musiques de western, et dont la voix nous a déjà envoûté mille fois sur des chef-d’oeuvres tels que Il était une fois dans l’ouest ou Il était une fois la révolution.

‘Mucchio Selvaggio’ dévoile quand à lui le troisième thème, une traditionnelle chevauchée héroïque épique elle aussi 100 % Morricone pour la horde sauvage, avec choeurs d’hommes à l’appui, flûte à bec (dont la particularité vient ici du jeu en flatterzunge – roulements de langue – témoignant une fois de plus de la facette plus inventive et expérimentale du compositeur dans ses musiques de western), accompagnements de percussions, guitares (incluant électrique et basse), cordes, etc. Mais au moment où l’on croit que la musique va atteindre un véritable climax épique, le maestro nous surprend complètement en nous offrant un pastiche totalement délirant de la célèbre "Chevauchée des Walkyries"’ de Richard Wagner repris ici dans une version assez ridicule et totalement délirante, version harmonica/flûte à bec. Visiblement, Morricone semble avoir pris beaucoup de plaisir à écrire la musique de ce film, débordant d’humour, de fraîcheur et d’émotion. Le maestro se moque alors gentiment de la horde sauvage en utilisant la célèbre mélodie de Wagner transformée ici en petite ritournelle ridicule (la chevauchée épique se transforme donc en cavalcade d’enfants), un second degré que le compositeur assume pleinement avec panache – après tout, le second degré a toujours fait partie intégrante de l’âme des westerns spaghettis.

Dès lors, Morricone a installé ses trois thèmes dans le film et va les développer tout au long de l’histoire comme de véritables leitmotive. Certains passages plus atmosphériques comme ‘Se Sei Qualcuno E’ Colpa Mia’ se distinguent par leur utilisation plus originale et inventive des instruments, comme par exemple ici l’utilisation d’un clavecin ou le son d’une horloge qui semble indiquer un compte à rebours (référence au duel final de Pour quelques dollars de plus) avec un motif de 5 notes qui deviendra par la suite une sorte de motif de duel (Morricone s’inspirera d’ailleurs de cette mélodie pour le thème d’Al Capone dans The Untouchables – 1987). ‘Uno Strano Barbiere’ est quand à lui dans un style plus suspense/atonal typique des passages plus sombres des musiques western du maestro italien. Le morceau se caractérise ici par une même utilisation d’un tic tac de montre obsédant avec un tapis de cordes dissonantes (on sent ici la facette plus avant-gardiste du compositeur, qui étudia autrefois en compagnie de Luigi Nono, grand représentant de la musique ‘contemporaine’ italienne) et quelques bribes instrumentales morcelées et éclatées qui renforcent la tension durant la scène du traquenard chez le faux barbier au début du film. On pourrait aussi relever ‘Une Insolita Attesa’ avec son utilisation typique des percussions à la façon de ‘The Transgression’ de Il était une fois dans l’ouest. Morricone continue donc de multiplier ici les références comme pour rappeler une dernière fois tout ce qui faisait le charme de ces musiques de westerns spaghettis à l’ancienne. ‘Balletto Degli Specchi’ est un part du reste du score et s’impose par son côté cartoon complètement délirant, une sorte de grosse blague musicale pour la scène de l’affrontement dans la pièce des miroirs. Morricone verse ici dans l’humour très premier degré avec ce passage cartoon qui s’amuse à reprendre le thème de flûte à bec de personne dans une version particulièrement enfantine et amusante, le compositeur ne se prenait définitivement pas au sérieux sur cette musique à la fois émouvante et délirante.

Les reprises thématiques se multiplient tout au long du film, accompagnant la plupart des grandes scènes de chaque personnage. Ainsi, on retrouve une très belle reprise lente, nostalgique et lyrique du thème de personne dans le poignant ‘La Favola Dell’Uccellino’, évoquant l’amitié entre personne et Jack, sans oublier une reprise délirante du thème de la horde sauvage dans ‘Mucchio Selvaggio’ piste 13, avec des voix nasillardes en onomatopées (« wah wah ») s’amusant à imiter le son des trompettes en sourdine, idéal pour renforcer le côté très second degré de ce thème de chevauchée épique. On n’omettra pas aussi de signaler la magnifique reprise finale du thème de personne chanté par des choeurs de toute beauté dans le magnifique ‘Con I Migliori Auguri’ durant la scène où personne retrouve Jack lors de son duel final contre la horde sauvage. A signaler aussi une reprise poignante et élégiaque du thème de Jack Beauregard au violoncelle dans ‘Buona Fortuna Jack’ qui annonce clairement avec une certaine émotion la fin de toute une génération de héros de l’ouest américain. Dommage cependant que l’essentiel de la partition sur la fin du film se résume essentiellement à une reprise quasi systématique des trois principaux thèmes de la partition, chose très représentative sur le séquençage des derniers morceaux de l’album, qui se termine sur une dernière reprise du thème de duel typique de Morricone, avec son utilisation de traits virtuoses de guitare électrique qui rappelle bon nombres de passages de Le bon, la brute et le truand ou Pour une poignée de dollars, parfait pour accompagner la première scène d’affrontement entre Jack et personne dans le cimetière vers le début du film (avec le coup du tir répété dans le chapeau qui parodie Pour quelques dollars de plus).

Multipliant les références, les clins d’oeil et les touches d’humour oscillant entre le premier et le second degré, la partition de Il Mio nome è Nessuno est une vrai bijou d’inventivité, de drôlerie, de finesse et de sensibilité. Ennio Morricone combine donc humour et émotion pour le superbe film de Tonino Valerii et rend un hommage poignant à toutes ses anciennes musiques de western spaghetti pour Sergio Leone. A l’écoute de la très légère et nostalgique ballade de personne, on ne peut qu’être conquis par cette musique qui ne se prend jamais trop au sérieux mais qui conserve toujours une certaine émotion toute en finesse. Ici, point de grandes envolées grandiloquentes à la Il était une fois dans l’ouest, car même si la partition de Il Mio nome è Nessuno y fait référence à plusieurs reprises, elle n’en demeure pas moins bien plus intime et légère, plus en adéquation avec l’humour et la fraîcheur du film. Ennio Morricone s’amuse donc à détourner ici les conventions qu’il a lui même inventées pour les musiques de western spaghetti afin d’en faire une oeuvre musicale typique de son style reconnaissable entre mille. Voilà en tout cas l’une des partitions western majeures du Morricone des années 70, à connaître absolument et à savourer dans la continuité des précédents chef-d’oeuvres du maestro pour les westerns du grand Sergio Leone!

par Quentin Billard


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