Pour l'adaptation du roman de Stephen King, Dolores Claiborne, le réalisateur Taylor Hackford s'associe pour la première fois avec Danny Elfman, une collaboration qui préfigure leur travail futur. D'emblée, le compositeur écarte ses envolées gothiques et fantasques pour livrer une partition d'une sobriété saisissante. L'objectif n'est pas de séduire par la mélodie, mais de sculpter une atmosphère psychologique dense et oppressante. La musique se fait l'écho direct du personnage de Dolores, interprétée par Kathy Bates, en épousant ses tourments intérieurs, sa résilience et le poids écrasant de ses souvenirs. Elfman conçoit ainsi une immersion sonore qui vise à installer un malaise constant, transformant l'écoute en une expérience aussi éprouvante que le récit lui-même.
Le langage musical de Dolores Claiborne repose sur une orchestration minutieusement choisie pour traduire l'isolement et la tension. Le pupitre des cordes, traité dans ses registres les plus sombres et graves, forme une masse sonore quasi constante qui évoque la claustration de l'héroïne sur son île. Au cœur de cette texture orchestrale, un piano soliste intervient avec une pudeur mélancolique, offrant de rares fenêtres sur l'intimité et la nostalgie de Dolores. Le thème principal, un motif discret de cinq notes, se refuse à toute évidence et traverse la partition tel un souvenir fugace, difficilement perceptible mais suggérant avec une grande finesse le drame sous-jacent. Ce choix délibéré de ne pas offrir de thème mémorable renforce le caractère introverti et psychologique de la composition.
La relation entre la musique et l'image est symbiotique, la partition d'Elfman étant omniprésente tout au long du film. Ce parti pris d'une musique quasi continue, loin d'être anodin, amplifie la sensation d'étouffement et le caractère inéluctable des événements. La monotonie et la nature répétitive de certains passages ne sont pas une faiblesse, mais un choix esthétique audacieux qui reflète l'existence stagnante et sans issue de Dolores. La musique ne se contente pas d'accompagner le drame ; elle devient le paysage mental du personnage, une métaphore sonore de sa prison psychologique, où le passé et le présent se confondent dans une boucle dépressive et angoissante.
Cependant, cette chape de plomb atmosphérique est violemment déchirée par de soudains sursauts orchestraux. Elfman rompt la tension latente avec une brutalité inouïe lors des scènes de violence physique, comme les confrontations entre Dolores et son mari. Ces déchaînements de l'orchestre, où cuivres et percussions explosent avec une fureur terrifiante, sont d'autant plus marquants qu'ils contrastent radicalement avec le reste de la partition. Le point culminant est atteint durant la scène de l'éclipse, où la musique se transforme en un torrent de terreur pure, affirmant le talent d'Elfman pour l'horreur viscérale, loin de l'ironie qui caractérise souvent ses œuvres pour Tim Burton. Cette dualité entre une tension sourde et des éclats de violence constitue la colonne vertébrale dramatique du score.
Avec Dolores Claiborne, Danny Elfman signe une œuvre charnière qui redéfinit son style et dévoile plusieurs de ses signatures. On y retrouve son usage particulier des violons solistes se mêlant à la masse des cordes, créant une couleur instrumentale unique. Le générique de fin est exemplaire : il reprend le thème principal de manière plus affirmée, soutenu par des chœurs qui évoquent une paix enfin trouvée, une résolution douce-amère qui fait écho au dénouement. Cette pièce, à la fois dense, terrifiante et finalement apaisée, synthétise toutes les facettes du film et préfigure des œuvres futures comme Mission: Impossible. Bien que difficile d'accès, cette partition intense et introspective marque un tournant majeur vers une écriture plus sombre et mature, s'imposant comme l'une des compositions les plus significatives d'Elfman dans les années 90.
Panorama BO : des musiques issues des adaptations de Stephen King (76-96)