Propos recueillis par Benoit Basirico en janvier 2024, dans le cadre d'une rencontre au Festival Premiers Plans d'Angers 2024 (en soutien de la SACEM).
- Publié le 26-02-2024Benoit Basirico : Tout d'abord, concernant les formations, nous constatons aujourd'hui un développement croissant des formations dédiées à la musique de film, avec notamment des classes spécialisées. Camille, de ton côté, tu as suivi des formations très diversifiées, mêlant musique contemporaine et jazz. Peux-tu nous en dire plus sur cet aspect de ta formation ?
Camille Delafon : Absolument. Avant de me consacrer pleinement à la musique, j'ai d'abord entrepris des études d'histoire. Et en effet, ma première approche de la musique a été celle d'une musicienne : je joue du piano depuis de nombreuses années. J'ai suivi une formation en jazz à l'American School of Modern Music à Paris durant quatre ans, période durant laquelle j'ai commencé à m'orienter vers la musique de film. Par la suite, je me suis intéressée à la musique électro-acoustique, qui est en quelque sorte affiliée à la musique contemporaine. Ce domaine explore davantage les techniques de manipulation du son, l'écriture sonore, le travail sur la matière sonore, l'espace et les textures. J'ai ensuite repris les études au conservatoire où j'ai obtenu un DEM. Plus tard, je suis retournée au conservatoire pour approfondir mes connaissances en musique contemporaine instrumentale, par envie personnelle. Il est important de préciser qu'un tel parcours n'est pas indispensable pour se lancer dans la musique de film, mais c'est mon expérience personnelle que je partage ici.
Benoit Basirico : Et souvent, il est dit qu'un compositeur ou une compositrice de musique de film possède une nature caméléon. Sa principale qualité réside dans sa versatilité, soit sa capacité à s'adapter à divers univers. Cela peut signifier composer pour une comédie un jour, puis pour un thriller le lendemain, et parfois, pour un même film, être capable de changer complètement de registre si la première proposition ne convient pas, offrant ainsi une autre proposition diamétralement opposée. Avoir des compétences à la fois en jazz et en musique contemporaine offre-t-elle déjà un large spectre de possibilités ?
Camille Delafon : Effectivement, cette capacité d'adaptation constitue à la fois une force et un défi dans notre métier, celui de se définir. Personnellement, je me considère d'abord comme compositrice, et seulement ensuite comme compositrice de musique de film. Je m'engage également dans des projets en dehors de la sphère cinématographique. La question de l'identité est cruciale, non seulement pour soi-même mais aussi pour les réalisateurs et réalisatrices avec qui nous collaborons. Il est vrai que la première étape consiste à expérimenter différents styles pour se faire la main, avec l'expérience on parvient à embrasser une grande diversité de genres. Actuellement, je travaille sur des compositions totalement orchestrales pour un projet, tout en me consacrant à des créations électroniques et plus pop pour un autre. Il est vrai que la versatilité est essentielle, mais j'espère que mon identité propre transparaît malgré tout dans mon travail.
Benoit Basirico : L'enjeu de la musique de film réside en effet dans la capacité à être à la fois au service du film tout en permettant de s'exprimer et de développer sa personnalité... Quels ont été tes premiers pas vers l'image, les premières rencontres, la première expérience ?
Camille Delafon : Mes premiers pas vers l'image se sont faits assez tôt, grâce à ma formation à l'école de jazz, où j'ai rencontré un réalisateur, également ami, qui m'a proposé de composer la musique de son court-métrage. J'ai accepté spontanément, malgré mon manque d'expérience avec les technologies de l'époque, comme l'usage d'un ordinateur pour la composition. À cette époque, je n'avais pas accès à des logiciels spécialisés comme Cubase et mon approche était celle d'une musicienne pure. Nous avons enregistré la musique avec l'aide d'amis musiciens de manière très artisanale. Ma deuxième expérience aurait pu être considérée comme mon premier long-métrage, mais le film n'a malheureusement jamais été distribué. Le réalisateur, Fodil Chabbi, avait créé un véritable long-métrage pour lequel j'ai composé et enregistré la musique à la Maison de la Radio, avec Liès Salem dans le rôle principal.
Benoit Basirico : Tu as également une riche expérience dans le domaine du documentaire. Concernant la musique pour un documentaire, la perçois-tu de la même manière que pour une fiction, ou y a-t-il une spécificité ?
Camille Delafon : En réalité, il existe une grande diversité de documentaires, chacun nécessitant une approche différente. Les documentaires peuvent être d'investigation, d'enquête, ou adopter un point de vue plus subjectif. Récemment, j'ai terminé la composition pour un documentaire réalisé à Angers par une jeune cinéaste nommée Sarah Bélanger. Ce documentaire, que j'espère voir dans de nombreux festivals, se distingue par son point de vue très personnel. Pour ce projet, j'ai composé une musique qui se rapproche de celle que l'on pourrait trouver dans une fiction, car le style du documentaire s'y prêtait. La question de l'intégration de la réalité dans un documentaire se joue davantage sur la quantité de musique utilisée et sur les moments choisis.
Benoit Basirico : La première interrogation souvent soulevée dans le cadre d'une collaboration sur la musique de film concerne la nécessité même de la musique : en faut-il, ou pas ? Il s'agit parfois de persuader un réalisateur ou une réalisatrice de l'utilité de la musique à certains endroits du film. As-tu déjà été confrontée à des réalisateurs ou réalisatrices réticents à l'idée d'inclure de la musique, te demandant ainsi de les convaincre de son importance ?
Camille Delafon : Personnellement, je n'essaye pas de convaincre. Mon rôle est de servir le projet. Je suis honorée quand on me fait confiance pour entrer en dialogue avec l'œuvre de quelqu'un d'autre. J'ai mon propre espace créatif pour mes œuvres, mais ici, on me demande d'intervenir, ce qui n'est pas anodin. La collaboration doit s'établir sur la base non pas de la nécessité de la musique en tant que telle, mais plutôt de la nécessité d'une écriture sonore, d'une écriture du silence, et d'une écriture qui s'intègre harmonieusement aux autres dimensions du film. Il s'agit donc d'explorer en profondeur cette réflexion. Les discussions ne visent pas à convaincre, mais à déterminer ce qui servira au mieux le film. Après tout, le film appartient au réalisateur ou à la réalisatrice.
Benoit Basirico : La qualité d'une musique de film ne réside pas nécessairement dans sa quantité, mais plutôt dans sa pertinence. Ainsi, avant même de considérer leur rôle de compositeurs, ceux-ci agissent en quelque sorte comme cinéastes, s'attachant à comprendre le film, le rôle que la musique y jouera pour le récit et les personnages. Cette démarche implique une collaboration et un dialogue étroits, souvent guidés par la volonté de répondre aux besoins spécifiques du réalisateur et de décrypter ses intentions...
Camille Delafon : Absolument. La musique agit comme un outil d'intention extrêmement puissant, créant une alchimie forte avec l'image et générant une nouvelle lecture de la scène. Pour moi, composer la musique d'un film revient à se questionner sur l'expérience voulue pour le spectateur : Qu'est-ce que le réalisateur souhaite que le spectateur ressente ? Comment la musique peut-elle soutenir une scène sans la commenter, ou au contraire, prendre parti et influencer la perception ? Ces réflexions englobent divers aspects, tels que l'espace acoustique ou le timbre, ouvrant un champ infini de possibilités à explorer.
Benoit Basirico : La question se pose souvent : un compositeur ou une compositrice de musique de film est-il au service du réalisateur ou du film ? Parfois, pour le bien du film, il peut être nécessaire de s'opposer au réalisateur. Un exemple célèbre est celui d'Alfred Hitchcock qui ne souhaitait pas de musique pour la scène de la douche dans "Psychose". Bernard Herrmann a insisté et finalement convaincu Hitchcock de l'importance d'ajouter une musique à cette scène. Parfois, convaincre est nécessaire pour le bien du film ?
Camille Delafon : Il existe effectivement une dimension psychologique considérable dans notre métier, impliquant un dialogue profond. Il est crucial de comprendre qu'on ne peut pas priver un réalisateur ou une réalisatrice de son projet, de son idée ou de son film. Il existe une limite à ne pas franchir, tout en apportant notre expérience, notre perspective et notre interprétation. Ce qui importe avant tout, c'est de définir clairement l'intention du réalisateur ou de la réalisatrice pour une scène donnée. Il est essentiel de persister dans cette quête de compréhension, sans pour autant s'obstiner indéfiniment. À un certain moment, il faut savoir lâcher prise.
Benoit Basirico : Tu mentionnais précédemment qu'à une époque de ta formation classique, l'informatique n'était pas encore présente. Tu travaillais directement avec des musiciens. Puis, il y a eu une transition nécessaire vers l'informatique, car aujourd'hui, un compositeur de musique de film doit savoir produire des maquettes numériques. Cette évolution, de travailler avec des musiciens à travailler devant un ordinateur, a dû être un changement significatif ?
Camille Delafon : Cela a été particulièrement difficile. En tant que musicien, on est engagé corporellement dans la musique, et il y a un réel plaisir à jouer. J'étais très investie, comme une athlète, dans ma formation. Passer d'une interaction physique avec la musique à une interaction virtuelle a été douloureux, et cela reste difficile de passer de longues heures immobile devant un écran. Il est important de trouver des configurations de travail qui permettent de rester en mouvement et de conserver une approche ludique de la musique. Cependant, cette transition a aussi été révélatrice. Mon premier long-métrage a non seulement confirmé mon envie de composer, mais m'a également ouvert aux possibilités sonores offertes par l'ordinateur. Je suis tombée amoureuse de tout ce que l'on peut créer au son avec un ordinateur, ce qui m'a poussée à étudier la musique électro-acoustique sur les conseils d'une amie compositrice. Le travail sur ordinateur ne se limite pas à l'usage d'un séquenceur pour enregistrer : il s'agit d'un véritable outil créatif offrant de nombreuses possibilités à explorer.
Benoit Basirico : Nous allons maintenant parler de "Rien ni personne", le premier long métrage de Gallien Guibert (sortie le 28 février 2024), avec dans les rôles principaux Paul Hamy, Françoise Lebrun, et Suliane Brahim. Ce film raconte l'histoire de Jean, joué par Paul Hamy, un orphelin en fuite qui abandonne sa femme et son enfant, explorant ainsi à la fois le thème de la fuite et celui de la parentalité. C'est le premier long métrage de Gallien Guibert. Comment s'est déroulée la rencontre avec lui et quelle a été la nature de votre collaboration ? À quel moment un compositeur intervient-il généralement dans le processus de création d'un film ? Est-ce après le montage ou dès le scénario ? Que s'est-il passé pour ce film ?
Camille Delafon : Ma rencontre avec Gallien s'est faite lors d'un court métrage que nous avons réalisé ensemble, "Lune noire". J'ai ensuite eu l'occasion de lire le scénario de son long métrage plusieurs années avant sa réalisation. À l'approche du tournage, Gallien a dû filmer quelques scènes pour obtenir des financements et compléter son dossier. C'est à ce moment-là que nous avons commencé à discuter de la musique, et il souhaitait initialement une musique très classique de film noir. Après nos premiers essais, qui l'ont beaucoup enthousiasmé, je sentais qu'il y avait une autre direction à explorer. Notre collaboration a donc commencé bien en amont, nous permettant d'expérimenter avec la musique dès les premières images. Le travail sur la musique s'est intensifié et précisé pendant le montage, ce qui a été une expérience très enrichissante de co-création.
Benoit Basirico : Concernant le moment d'intervention d'un compositeur dans la création d'un film, la réponse semble être : à toutes les étapes. Il est fréquent que chaque étape remette en question la précédente, avec des intentions initiales sur le scénario qui peuvent être modifiées après le tournage, puis à nouveau lors du montage ?
Camille Delafon : Ce n'est pas toujours le cas. Heureusement, il m'est arrivé à plusieurs reprises de travailler sur le scénario et de conserver certaines idées musicales jusqu'à la fin, saisissant parfaitement l'essence de ce qui devait être exprimé. Je trouve que cela est souvent plus réalisable dans le documentaire que dans la fiction.
Benoit Basirico : Pour "Rien ni personne", un thriller, il était nécessaire de respecter certains codes du genre. Quels sont ces codes pour une compositrice ?
Camille Delafon : Nous avions initialement envisagé une approche plus classique de la musique de thriller. Étant passionnée de littérature policière, je suis fascinée par les multiples dimensions humaines présentes dans les thrillers, telles que l'âme, la torture, le drame, la culpabilité - une sorte de conscience tourmentée. Mais la musique peut raconter autre chose, comme le cours de la vie. En optant pour une composition plus électronique, j'ai souhaité rompre avec une approche traditionnelle pour créer une musique qui ne se contente pas de commenter mais sert plutôt d'espace psychologique. "Rien ni personne" suit le périple d'un personnage en fuite sur trois jours, et la musique accompagne son voyage sans jugement, permettant au spectateur de s'attacher progressivement à lui malgré ses défauts. L'utilisation d'éléments électroniques semblait particulièrement adaptée pour refléter la complexité de ce personnage.
Benoit Basirico : Ce qui rend les meilleures musiques de films si intéressantes, c'est leur capacité à évoquer plusieurs éléments, parfois même opposés, tels que la rugosité et la douceur, la texture et la mélodie, ainsi que les codes du thriller qui associent l'obscurité à la lumière et l'espoir. La force de la musique réside dans sa capacité à unir ces contraires. Le réalisateur a exprimé, dans une interview, sa crainte que le film paraisse trop austère et son désir que la musique y apporte une dimension lyrique. Cela soulève la question de comment la musique peut non seulement soutenir l'image mais aussi la compléter, en y ajoutant une dimension presque invisible, comme le "parfum" du film ?
Camille Delafon : Exactement, la musique constitue l'âme du film, son inconscient. Elle agit sur le spectateur de manière subtile, à l'instar des odeurs, en laissant une impression durable sans que l'on en ait forcément conscience sur le moment. La musique crée un espace de mémoire, permettant de lier des scènes entre elles ou d'induire certaines atmosphères par le choix des instruments. En ce qui concerne les textures synthétiques que j'ai élaborées, j'ai par exemple misé sur le violoncelle pour capturer ce que tu appelles la rugosité, enregistrant de manière à ce que l'on puisse ressentir la matière de l'instrument, ses cordes. Pour moi, cela symbolisait aussi les cicatrices du personnage dans le film.
Benoit Basirico : L'enfant dans le film est évoqué par une sorte de berceuse, une composition à la finesse semblable à de la dentelle ou de l'orfèvrerie. Cette musique, caractérisée par sa délicatesse et son pointillisme, joue avec des notes éparses entrecoupées de nombreux silences, créant ainsi un jeu d'équilibre et de retenue...
Camille Delafon : Ce thème, composé de quelques notes, se présente sous de nombreuses variantes. Bien que ces variations ne soient pas toujours identifiables de manière évidente, elles se tissent à travers différentes scènes, adoptant de multiples formes. Parmi les 20 versions de cette scène, beaucoup étaient plus chargées, mais la version finalement choisie par Gallien se distingue par sa sobriété. Cette décision souligne l'intention de maintenir une délicatesse dans l'expression de la tension entre le couple, interrogeant le rôle de la musique : doit-elle souligner cette tension, l'accompagner, ou laisser la place aux personnages, se contentant de ponctuer et de soutenir le récit ?
Benoit Basirico : La musique agit comme du velours, particulièrement lorsque le personnage entre dans la chambre de l'enfant, où le calme est de mise. La musique incarne cette précaution, cette impression de ne pas vouloir déranger.
Camille Delafon : Absolument. Cette subtilité est également une caractéristique du piano, notamment lorsqu'on utilise la pédale. Elle contribue à créer une tension, un silence qui prépare à la scène suivante, où l'action se concrétise.
Benoit Basirico : Il y a aussi de la rugosité dans la douceur, et il y a de la douceur dans la rugosité. C'est mêlé. On entend toujours quelques textures...
Camille Delafon : En réalité, je n'ai pas conçu ces textures avec une intention de rugosité ou de douceur. Le thème principal, plutôt narratif par moments, adopte une approche classique, cherchant à communiquer des aspects de l'histoire inexprimés autrement dans le film, tout en se prêtant à la déconstruction. Ce que tu qualifies de rugosité ne l'est pas à mes yeux. Mon expérience en musique électro-acoustique, sans parler de mes études en jazz et en musique contemporaine, n'était pas une quête d'outils spécifiques mais plutôt une exploration de la manière de créer ma propre musique en intégrant ces diverses influences. Ainsi, ce que tu perçois comme rugueux, je le considère comme la construction d'un espace, une dimension à part entière de l'expression musicale.
Benoit Basirico : Les textures musicales semblent particulièrement adaptées à l'atmosphère du thriller, reflétant les démons intérieurs du personnage. Cette approche était-elle délibérée ?
Camille Delafon : La réponse est oui et non, car la position exacte du personnage reste ambiguë. Malgré les erreurs qu'il commet dans le film, l'objectif était de restituer l'expérience émotionnelle et physique du personnage. Lorsqu'un événement dramatique se produit, l'intention était de capturer l'essence de ses sensations physiques plus que ses pensées. Il s'agit de retranscrire ce que le personnage pourrait ressentir physiquement, telles que des sensations de froid ou des sueurs froides, illustrant des conflits internes intenses. L'idée était donc de suivre de près le ressenti corporel du personnage face aux conséquences de ses actes.
Benoit Basirico : Il est intéressant de noter qu'on n'est pas dans sa tête, mais dans son corps. Le film ne cherche pas à expliciter psychologiquement ses sentiments. Cette dimension physique permet une empathie directe avec le personnage, facilitée par la texture et l'électronique, qui offrent cette matérialité.
Camille Delafon : Effectivement, toute musique a le potentiel de créer cette expérience. Ce n'est pas l'apanage de l'électronique. Tous les types de musique peuvent véhiculer cette expérience corporelle, avec divers matériaux. Certaines textures musicales peuvent cependant évoquer plus directement ces sensations. Mon intérêt pour la musique électro-acoustique et contemporaine m'a particulièrement sensibilisée à ces aspects. L'expérience du corps dans le monde ne se limite pas à une mélodie ou un motif. Nous vivons une multitude d'expériences simultanément, ressenties à travers notre corps, notre cœur et notre esprit, nourries par un large éventail de sons et de musiques. Ces expériences façonnent notre perception des ambiances sonores qui nous entourent. Je crois qu'il reste encore beaucoup à explorer dans le domaine de l'écriture sonore au cinéma, en tirant parti de cette richesse d'expériences corporelles et sensorielles.
Benoit Basirico : Dans le processus de création de la musique pour le film, l'inspiration provient-elle des mots du scénario, ou nécessite de se plonger dans l'image et l'atmosphère visuelle ?
Camille Delafon : J'étais profondément ancrée dans l'image lors de la composition. La musique a été écrite en étroite collaboration avec le processus de montage, mené par le réalisateur et le monteur Arthur Guibert, qui ont ensemble réécrit le film à cette étape. Le montage est un moment clé de création pour tous les films, et ma composition musicale a évolué en parallèle, au gré des images. Il m'aurait été impossible de composer cette musique sans l'apport visuel à ce stade.
Benoit Basirico : La musique de film joue un double rôle : elle illustre l'image à l'écran tout en tenant compte de l'arc narratif global et de la trajectoire du personnage, on part de l'obscurité vers peut-être un peu plus de lumière pour marquer l'espoir du personnage ?
Camille Delafon : La dimension narrative de la musique devient plus évidente avec l'introduction d'une mélodie vers la fin du film qui participe à l'élaboration d'un récit. Le film, malgré sa violence inhérente, trouve des moments de tendresse, notamment à travers la relation entre le personnage principal et son bébé. Cette relation, complexe et évolutive, ajoute une couche de douceur à l'histoire, marquant le chemin tumultueux du personnage vers une lumière d'espoir.
Benoit Basirico : Pour ce qui est de l'aspect narratif, la musique évolue. Ce parcours musical se construit en parallèle avec l'image ?
Camille Delafon : Effectivement, ça se construit à l'image. Et la construction musicale d'un film implique aussi de tisser des liens entre les différents thèmes et segments musicaux, permettant ainsi de créer une résonance avec la mémoire et l'expérience émotionnelle du spectateur.
Benoit Basirico : Le placement des éléments musicaux est extrêmement précis. Par exemple, l'introduction du piano solo et du violoncelle coïncide précisément avec la découverte du berceau dans le film, illustrant une synchronisation minutieuse avec l'image...
Camille Delafon : Oui, il y a aussi d'autres moments, comme un travelling arrière révélant le visage de Jean, où le timing de la musique est essentiel pour capter l'émotion souhaitée. Cette précision dans le lien entre la musique et le mouvement à l'écran témoigne d'un véritable travail d'horlogerie. C'est une question d'artisanat. Au-delà de la composition musicale, travailler sur la musique de film requiert une expertise spécifique, illustrant la complexité de ce métier.
Benoit Basirico : L'expertise offerte par le compositeur ou la compositrice au réalisateur ou à la réalisatrice constitue un élément crucial de leur collaboration, soulignant l'importance de faire comprendre au réalisateur que le compositeur est son allié dans le processus créatif.
Camille Delafon : C'est effectivement fondamental et cela se concrétise dès les premiers échanges. La rencontre initiale est essentielle pour établir une relation de confiance au-delà du travail spécifique sur le projet.
Benoit Basirico : Concernant le violoncelle et la collaboration avec Laura Roura Foixà, la violoncelliste, a-t-elle participé dès le début du processus, ou a-t-il d'abord été question d'utiliser une maquette avec un violoncelle synthétique avant de passer à l'interprétation réelle ?
Camille Delafon : Face aux contraintes budgétaires et au fait que je ne réside pas en France actuellement, j'ai dû réaliser moi-même les prises de son dans mon studio. La maquette initiale s'est transformée en version définitive grâce à la qualité de l'enregistrement. Laura Roura Foixà est intervenue après que j'ai décidé d'intégrer du violoncelle dans la musique, mais au lieu de lui faire jouer une partition précise, j'ai opté pour l'enregistrement de matières sonores. Nous disposions du playback de la musique et du thème principal, mais mon travail s'est concentré sur la capture de textures et d'éléments sonores plutôt que sur une exécution traditionnelle de la partition.
Benoit Basirico : L'acoustique fusionne avec l'électronique...
Camille Delafon : La musique du film s'oriente résolument vers une esthétique très synthétique, que je perçois presque comme du vinyle. Gallien et moi-même avons souligné l'importance de trouver une voie vers une expression plus tendre et légèrement plus narrative par moments, répondant ainsi aux besoins du film. J'emploie une variété de moyens, allant des synthétiseurs à la manipulation électro-acoustique de sons de piano. Pour le thème du générique, par exemple, toute la rythmique est construite à partir de pizzicati transformés en sons de percussion, illustrant notre approche de mélange entre les éléments acoustiques et électroniques.
Propos recueillis par Benoit Basirico en janvier 2024, dans le cadre d'une rencontre au Festival Premiers Plans d'Angers 2024 (en soutien de la SACEM).
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