Interview BO : Leonardo Van Dijl, réalisateur de 'Julie Keeps Quiet', ‘une musique pour nous rappeler qu'on regarde une fiction’

Cannes 2024 (Semaine de la critique - PRIX SACD / PRIX FONDATION GAN)

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Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico

- Publié le 19-05-2024




Pour son premier film fort qui raconte la décision de Julie, étoile montante du tennis, de garder le silence sur les harcèlements de son entraîneur, le belge Leonardo Van Dijl convoque la présence vocale de Caroline Shaw, violoniste et chanteuse américaine, des voix qui matérialisent le silence de l'héroïne qui se tait.

Cinezik : À quel moment avez-vous pensé à la musique dans l'élaboration de votre film ?

Leonardo Van Dijl : Pour moi, la musique était vraiment importante parce que c'est une histoire de silence. Et pour moi, la seule façon de donner du son au silence, c'était la musique. C'est un personnage incroyablement important dans le film. C'est une intervention majeure, elle ne devait pas être cachée, mais au premier plan, pour donner une voix aux choses que Julie ne peut pas dire.

Ce film est centré sur Julie, star montante du tennis, et qui, au fur et à mesure du film, prend conscience d'avoir été témoin d'un harcèlement de la part de son moniteur, qui lui-même est suspecté par d'autres femmes. Elle garde le silence. La musique incarne-t-elle sa pensée ?

LVD : Exactement. Julie a toujours su qu'elle n'était pas à sa place, mais elle ne sait pas comment en parler, surtout parce qu'elle est extrêmement perdue au début du film. Elle est vraiment dans le flou, elle a des difficultés, parce qu'elle essaie de s'en sortir, mais elle ne peut pas trouver l'issue. Et en revenant à la musique, pour moi, c'était un moyen d'exprimer son état d'esprit et de dire beaucoup de choses que l'on ne peut pas dire par le dialogue.

Ce qui est assez fort dans votre film, c'est la mise en scène qui isole le personnage dans le cadre. Elle est isolée dans le plan, et la musique participe de cet isolement aussi, cet effet de bulle...

LVD : Exactement, mais en même temps, je pense que la façon dont j'utilise la musique, petit à petit, s'ouvre, et le monde devient plus grand, parce qu'il y a toujours quelque chose que l'on ajoute. C'est utilisé de cette façon pour élargir, pour montrer le pouvoir que Julie incarne dans ce film.

Et concernant le choix de la compositrice Caroline Shaw, violoniste et chanteuse américaine connue pour ses albums ?

LVD : Je suis fan de Caroline, elle est simplement incroyable. C'est une vraie artiste. C'est difficile de la définir parce qu'elle est tellement diverse, elle est vraiment à 360° parce qu'elle fait tout. Elle fait du "spoken word", de la musique classique, et elle est en train de créer un groupe que je pourrais peut-être décrire comme folk. Elle a aussi collaboré avec de grands artistes de pop, elle a fait quelques bandes originales, et je la respecte vraiment pour l'étendue de son talent. Donc, pour moi, quand j'ai écrit le film, j'ai essayé d'approcher le personnage de Julie comme un personnage à 360°. Je voulais qu'elle soit tout : forte, fragile, parfois lourde, silencieuse. C'était vraiment agréable d'avoir une artiste éclectique qui puisse épouser chaque couche du personnage. Et puis, je me suis dit, pourquoi ne pas demander à Caroline de faire la musique. Je ne peux toujours pas croire qu'elle ait dit oui, c'était vraiment une de mes idoles.

Elle a composé pour votre film sa propre musique, fidèle à son propre univers ou l'avez-vous malgré tout guidée en lui transmettant des intentions ?

LVD : Je pensais que c'était très important que Caroline Shaw puisse utiliser son propre univers. Je lui ai juste dit que la musique donne son son au silence, mais je voulais que ce soit sa propre démarche, ce ne devait pas être la mienne, parce que j'aimais cette idée que Caroline ait une relation unique avec Julie. Je ne voulais pas trop parler de la musique avec elle. Je disais : "Faites ce que vous sentez, et puis on verra." Et en fait, la musique qu'elle a transmise était immédiatement parfaite. Nous n'avons pas dû faire une deuxième ou une troisième version. Elle nous a donné un morceau, puis à un moment donné, un autre, toujours très spécifiques. C'est incroyable, je ne comprends pas vraiment le langage musical alors cela m'a permis d'en faire partie comme un spectateur. Cela me ramène à la place où se trouve le public.

Et la musique est réduite à une présence vocale. Cette voix dans la musique, cette épure, c'était vraiment le choix de Caroline ?

LVD : D'une manière étrange, je dirais que c'était le choix de Julie, le personnage. Le film était comme une partition pour Caroline. Elle a compris ce dont Julie avait besoin.

Pour ce type de film, un réalisateur peut avoir peur de la musique, la craindre, qu'elle en dise trop. Vous avez eu l'audace d'accueillir la musique dans ce film particulier, et en plus, d'avoir une musique avec de la voix... Et en même temps, il n'y a pas forcément une grande quantité de musique. C'est le juste placement.

LVD : Pour moi, l'histoire est très inspirée d'Antigone. Antigone est une fille de 15 ans qui ose dire non. Elle dit qu'elle est là pour défendre les lois divines dans un monde gouverné par la loi humaine. Pour moi, Julie est la même chose. Elle ose dire non. Et en gardant le silence, elle dénonce le monde pour qu'il l'écoute. Elle dénonce ce monde sur des questions importantes de nos jours. C'est ainsi qu'elle s'est rendue héroïne du jour au lendemain. Dans les drames anciens, la présence du chœur était toujours là pour relater les événements. Ils étaient présents dans chaque chapitre. C'était là pour prendre du recul sur la fiction, nous rappeler que nous regardons quelque chose qui n'est pas réel. C'est aussi pourquoi j'ai voulu que la musique soit présente dans mon film. J'ai voulu qu'elle soit là pour nous rappeler que nous regardons un travail de fiction.

Aviez-vous des références ? Des films ou d'autres musiques ?

LVD : Non. Avec Caroline, il fallait lui demander d'être elle-même. Elle a déjà cette grandeur. Pour moi, c'était important de permettre à tout le monde d'entrer dans l'histoire avec sa propre voix. C'est une façon d'avoir de l'autonomie. C'est magnifique de prendre du recul en tant que réalisateur et de créer la possibilité que les autres puissent intervenir. Pour moi, la musique est un autre personnage. C'est le silence de Julie.

Elle a aussi une dimension narrative quand elle progresse et vient clore le film avec une harpe plus lumineuse...

LVD : Pour moi, c'était aussi important de faire cela. J'ai demandé à Caroline de prendre deux directions : l'une qui représente le silence et l'autre qui représente une nouvelle étape pour le personnage. C'était la seule intention que je lui ai donnée. Puis, avec le monteur, nous avons essayé de créer plus de musique sans musique, de créer un rythme intéressant dans chaque coupe de plans. Nous avons aussi travaillé sur les différentes interprétations de la manière dont on peut faire sonner le silence, de manière lourde, ou vraiment silencieuse. Pour moi, le film, c'est le son. On peut fermer les yeux et écouter le film.

 

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico


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