par Benoit Basirico
- Publié le 20-05-2024Oh, Canada (Paul Schrader ) ★★★★ - BO : Phosphorescent (Matthew Houck) (Compétition)
Phosphorescent, nom de scène de l'auteur-compositeur-interprète américain Matthew Houck, compose la musique et les chansons de la chronique de Paul Schrader, tel un film testament, retraçant le récit poignant d'un célèbre documentariste canadien (Richard Gere) souffrant d'une maladie, au visage marqué par la fatigue (en contraste avec sa version jeune, élégant et moustachu du passé), qui se prête à une ultime interview, naviguant entre passé et présent. Ces confessions nous immergent dans les différentes époques de la vie du protagoniste, dans une mise en scène épurée, sous le regard de sa dernière épouse (Uma Thurman), flirtant avec les mensonges et les affabulations, interrogeant la validité du témoignage et ce qu'il souhaite léguer à la postérité. Ce qui frappe, c'est l'extrême douceur du propos, teintée de nostalgie, et enveloppée par des chansons folk mélancoliques, des compositions originales interprétées par Matthew Houck lui-même, qui, elles aussi, se replongent dans le passé, évoquant Léonard Cohen, sans oublier les morceaux instrumentaux à la guitare.
Mi Bestia (Camila Beltrán ) ★★★ - BO : Wissam Hojeij (ACID)
Wissam Hojeij signe la musique du film colombien de Camila Beltrán situé à Bogotá (Colombie) en 1996 autour d'une jeune fille, Mila, 13 ans (Stella Martinez), qui ressent l'opression des regard porté sur elle dans un environnement angoissé par l'arrivée imminente d'une catastrophe alors qu'une éclipse de lune s'apprête à avoir lieu. La musique qui intervient au bout de 30 minutes accompagne par sa construction progressive ce récit initiatique sur la métamorphose d'un corps avec des sonorités en lien avec la nature et les animaux (une chouette, des chiens qui aboient...), allant des percussions tribales pour une scène de forêt à la guitare finale, en passant par le violoncelle, des textures synthétiques, et une voix murmurée, soutenant l’envoûtement du personnage et une dimension onirique. Par ailleurs, des chansons colombiennes illustrent le lieu et évoquent les années 80. • Interview de la réalisatrice et du compositeur.
Rendez-vous avec Pol Pot (Rithy Panh ) ★★★ - BO : Marc Marder (Hors Compétition)
Marc Marder retrouve Rithy Panh pour son retour à la fiction après les documentaires "L'Image manquante" (2013), "Exil" (2017), "Irradiés" (2022) et "Everything Will Be OK" (2022). Situé au Cambodge en 1978, le film présente des journalistes français (Irène Jacob, Grégoire Colin) invités par les Khmers rouges pour réaliser une interview exclusive de Pol Pot. Mélangeant techniques et registres visuels (marionnettes, images documentaires, fiction), il révèle les horreurs du régime, montrant que la belle image vendue se fissure. La musique contribue à cette évolution narrative, commençant par créer une atmosphère élégiaque avec l'usage des cordes, puis en évoluant progressivement vers le thriller. Tout cela en restant ancré dans le réel à travers un travail sonore bruitiste, simulant des bruits de marteaux, le labeur des ouvriers, et en préservant l'importance du silence.
• A venir : Interview du compositeur.
The Surfer (Lorcan Finnegan ) ★★★ - BO : François Tétaz (Hors Compétition)
François Tétaz a rencontré Lorcan Finnegan à l'occasion de ce thriller avec Nicolas Cage, qui interprète un homme revenant sur la plage de son enfance pour surfer avec son fils, avant qu'une hostilité ne se manifeste à leur égard, de la part des "bad boys" surfeurs. Le cadre idyllique et les aspirations du personnage sont évoqués dans la musique par des sonorités bucoliques, telles qu'une musique de vacances (avec flûte, orgue, harpe, violon, violoncelle, trombone, et un chœur - par l'ensemble vocal The Consort of Melbourne), se révélant comme le reflet d'un fantasme, d'une dimension onirique, jouant sur une subjectivité, en contraste avec la descente aux enfers du héros et la perte des idéaux. La musique ne reflète pas les confrontations, ni la folie croissante, mais assume totalement le rêve éveillé comme le scénario parallèle d'un mensonge.
Les Filles Du Nil (Nada Riyadh, Ayman El Amir ) ★★★ - BO : Ahmad El Sawy (Semaine de la Critique)
Ahmad El Sawy signe la musique du documentaire égyptien réalisé par Nada Riyadh et Ayman El Amir, situé dans un village du sud de l'Égypte où un groupe de jeunes filles se rebelle en formant une troupe de théâtre de rue. Le film capture à la fois les coulisses d'un spectacle en cours de création et des moments intimes et familiaux qui le rapprochent de la fiction. La musique est celle de ces comédiennes, que ce soient les chansons intégrées aux spectacles, interprétées par la Panorama Barsha Troupe (le chœur) et la vocaliste principale, Monica Youssef, ainsi que les percussions lors d'une scène finale de défilé de rue. Les notes participent à l'expression d'une rage et d'un engagement. Par ailleurs, des textures synthétiques donnent vie à la ville, associées à l'écoulement du Nil et aux habitations vues d'en haut en plan aérien. On y entend aussi une chanson folklorique du sud de l'Égypte, "Sibo El Hawa Le Ashabo".
Megalopolis (Francis Ford Coppola ) ★★ - BO : Osvaldo Golijov / Grace VanderWaal (chansons) (Compétition)
Osvaldo Golijov renoue avec Francis Ford Coppola après "L'homme sans âge" (2007), "Tetro" (2009) et "Twixt" (2012) pour illustrer cette grande fresque (brouillonne, mais dotée de belles fulgurances, à la fois délirante et frustrante) que le cinéaste a produite lui-même et à laquelle il a consacré beaucoup de temps à monter. Établissant un parallèle entre un New York futuriste (mais évoquant les remous politiques actuels, le déclin de l'Amérique, l'utopie écologique, le populisme) et la Rome antique, le film, tel un puzzle complexe dans lequel on peut se perdre, mélange les genres (péplum, science-fiction, romance, film expérimental...). De la même manière, la musique est hybride, oscillant entre un saxophone vintage des années 80 et des envolées plus lyriques, alliant le cirque fellinien et le romantisme, sans pour autant dessiner un parcours musical cohérent. Le chaos narratif est ainsi en lien avec celui de la partition, parfois au bord de la cacophonie, si on ajoute les nombreuses paroles et sons de foules. Le kitsch s'invite à travers des scènes de spectacles télévisuels avec des chansons pop (créées et incarnées à l'image - dans le rôle de Vesta Sweetwater, sorte d'avatar de Taylor Swift - par la jeune auteure-compositrice-interprète Grace VanderWaal).
Kinds of Kindness (Yorgos Lanthimos ) ★ - BO : Jerskin Fendrix (Compétition)
Jerskin Fendrix retrouve Yorgos Lanthimos sur cette production britannique après "Pauvres créatures" (2024), adoptant de nouveau une esthétique minimaliste, réduite à quelques éléments. Les trois récits autonomes de ce film à sketches se rejoignent autour d'un thème commun : l'exploration de l'absurdité des situations violentes insoutenables. Ils partagent également le casting -Emma Stone, Jesse Plemons, Willem Dafoe, Margaret Qualley- et la musique, dont certains éléments se répètent d'un chapitre à l'autre. Cela inclut un piano dissonant et glacé évoquant Ligeti, ainsi que des pièces vocales baroques et brusquement insérées, contribuant à une absence totale d'empathie et d'émotion mais renforçant plutôt une sensation de malaise. Des moments de respiration sont apportés par des scènes musicales, comme un morceau d'Eurythmics en ouverture (qui s'avère provenir d'une voiture), Margaret Qualley reprenant les Bee Gees, ou encore une danse d'Emma Stone. On peut également y entendre une œuvre existante de Jerskin Fendrix, "King Lear", créditée sous son vrai nom, Joscelin Dent-Pooley.
La Jeune Femme à l'aiguille (Magnus von Horn ) ★ - BO : Frederikke Hoffmeier (Compétition)
Frederikke Hoffmeier a rencontré le Danois Magnus von Horn lors du tournage de ce drame criminel historique qui se déroule à Copenhague en 1918, avec Karoline, une jeune ouvrière qui lutte pour survivre alors qu’elle tombe enceinte et décide de se débarrasser de l'enfant. Le film entrelace l'académisme (éclairages et jeux théâtraux) et le monstrueux (un visage à la manière de celui de l'Elephant Man de Lynch, le gore), le mélodrame et l'horreur, et la musique contribue à ce caractère hétérogène, en oscillant entre un registre classique (cordes) et des notes plus inattendues, telles qu'une pulsation électronique qui souligne un danger imminent, même si la mise en scène semble incapable de prolonger et de soutenir la tension générée par cette musique.
Bird (Andrea Arnold ) ★★★ (Compétition)
La cinéaste britannique Andrea Arnold revient au cinéma après avoir présenté "American Honey" à Cannes en 2016, avec un film débordant d'énergie, tourné lors d'un été dans la région du Kent, au Royaume-Uni. Elle se penche sur la vie à la marge de la société, notamment à travers les yeux de la jeune Bailey, 13 ans, qui habite dans un squat avec son père et son frère. Sa soif d'aventure l'amène à faire des rencontres. Cette communauté qui se forme est accompagnée d'une bande-originale explosive de rock et pop (Fontaines D.C., SV, H1 & Slay Products, Blur, Gemma Dunleavy, Damon Albarn, Sleaford Mods, Coldplay, The Verve, Rednex).
Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde (Emanuel Parvu ) ★★★
Ce thriller roumain d’Emanuel Parvu raconte les conséquences de l'agression d’Adi, un jeune de 17 ans, pendant l’été qu'il passe dans son village natal situé dans le delta du Danube. Rejeté par ses parents et ignoré par les autorités, la situation se complique lorsqu'il est découvert qu'il aime les hommes. La quiétude du village en est bouleversée. L’esthétique rigoureuse et formaliste se passe de musique… jusqu’à la fin, où une chanson festive ("Fata Din Tramvai" par Fratii Peste) apparaît, offrant un contraste tel une bouffée d’air ironique.
par Benoit Basirico
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