Interview B.O : Jessica Palud, réalisatrice de 'Maria' (musique de Benjamin Biolay)

Cannes 2024 (Hors Compétition) / au cinéma le 19 juin 2024

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Propos recueillis par Benoit Basirico

- Publié le 29-05-2024




Jessica Palud fait appel à Benjamin Biolay pour la musique de son biopic, “Maria” (présenté Hors Compétition à Cannes 2024, et sortie au cinéma le 19 juin 2024), centré sur l'actrice Maria Schneider (interprétée par Anamaria Vartolomei) et son traumatisme à la suite du tournage du film "Le Dernier Tango à Paris", face à ses "deux violeurs". Le piano dessine son chemin intérieur, tandis qu'un violon et un violoncelle en solo insufflent une touche lyrique pour évoquer la force de résilience du personnage, tout en laissant percevoir sa vulnérabilité, et menant à une dimension romanesque.

Cinezik : La musique de ce film devait être très délicate à imaginer, car le film traite d'un vécu et d'un traumatisme chez Maria Schneider. Comment la musique devait-elle aborder ce sujet sans dénaturer le réel ?

Jessica Palud : Effectivement, je ne voulais pas un film trop chargé en musique. Je ne voulais pas pousser l'émotion avec la musique, mais plutôt garder quelque chose de cru et de brut. J'avais cette idée d'utiliser des cordes, des coups de cordes assez violents. Quand j'ai rencontré Benjamin Biolay, ce qui m'a beaucoup touchée, c'est qu'il était complètement fan de Maria Schneider. Il était très bouleversé par cette histoire. En tant que comédien et musicien ayant commencé très jeune, il s'est forcément reconnu dans son parcours, même s'il n'a pas vécu la même chose. Il s'est reconnu dans cet abus de pouvoir par des gens influents du métier. C'est une personnalité qui le touchait beaucoup. Benjamin n'accepte de composer des bandes originales qu'après avoir vu les films. Je lui ai montré la fin du montage, il est ressorti bouleversé et m'a dit : "Je fais la musique". J'avais en tête, un peu comme dans la musique de "Moonlight" (par Nicholas Britell), des coups de violon assez violents, et c'est ainsi que la discussion a commencé. Benjamin ne compose pas à partir du scénario, puisqu'il ne les lit pas, mais à partir des images des films.

Dans le choix des compositeurs, vous aviez sur votre premier long métrage "Revenir" (2019), collaboré avec le groupe After Marianne, que vous aviez déjà utilisé pour le court métrage "Marlon". Maintenant, c'est Benjamin Biolay. Vous préférez donc des artistes de scène plutôt que des compositeurs exclusivement dédiés à la musique de film ?

Jessica Palud : Oui, c'est vrai. After Marianne, je ne les connaissais pas, je les avais contactés parce que j'étais extrêmement touchée par la sensibilité de leur musique et la voix de Mathilda Cabezas. Pour "Marlon", j'avais l'idée d'utiliser très peu de musique, seulement à la fin, avec une chanson avec cette voix. Nous avons continué ensemble sur "Revenir", un film également avec très peu de musique, mais des voix et des sons électroniques de temps en temps. Avec Benjamin, j'ai trouvé que ses mélodies étaient très adaptées, surtout avec un film situé dans les années 70, en rapport avec ses premiers albums, souvent accompagnés de violons. C'est vraiment la sensibilité des artistes et leur univers que je cherche pour la cohérence avec l'histoire de mon film.

Donc, vous cherchez finalement un artiste pour une musique que vous avez déjà identifiée, plutôt que de faire appel à quelqu'un avec qui vous allez cheminer ensemble vers la musique du film...

Jessica Palud : Oui, mais ce que fait Benjamin Biolay dans "Maria" est très différent de ce qu'il faisait avant. De même, ce qu'After Marianne fait sur "Revenir" et "Marlon" est assez différent. Je me fie à une sensibilité, une note, quelque chose qui a retenu mon attention. Benjamin et moi ne nous connaissions pas, mais ce que j'avais entendu de lui, même de ses interviews, m'a donné l'impression que c'était la bonne personne pour "Maria". Et je ne me suis pas trompée, car la première fois que nous nous sommes rencontrés, chez lui, il avait une photo de Maria Schneider au mur. Il a tweeté quelque chose sur Maria Schneider pour en parler, pour porter sa voix. C'est un sujet qui le touche profondément. Benjamin est extrêmement sensible, avec quelque chose de très féminin dans sa sensibilité. Il vient d'une famille artistique et a une grande sensibilité pour le métier, les acteurs et la manière dont un artiste tout puissant peut abîmer des actrices ou de jeunes acteurs. C'est un sujet qui le touche particulièrement.

Quand Benjamin Biolay a découvert votre film monté, l'avez-vous monté sans musique ou y avait-il des musiques témoins ?

Jessica Palud : Il y avait des musiques témoins. J'avais monté mon film avec certaines musiques pour aider à trouver le rythme, notamment celle de "Moonlight", justement, et puis d'autres musiques. Nous avons aussi gardé une musique de Chopin et des musiques de boîte de nuit.

Face à cette valse de Chopin et aux Talking Heads avec "Psycho Killer", le rôle de la musique de Benjamin Biolay n'était-il pas de suivre le fil narratif du personnage ?

Jessica Palud : Oui, exactement. J'avais cette idée de violences de cordes et l'idée était de trouver un thème récurrent, avec quelques variations, mais qui se répète tout au long du film, reflétant les émotions du personnage.

Ce thème évolue en fonction des sentiments du personnage...

Jessica Palud : C'est ça. Par exemple, sur la plage, la musique est un peu plus douce, tandis qu'avec les photographes, elle est plus violente, mais c'est toujours le même thème, qui change avec l'émotion du personnage.

La musique insuffle du romanesque, comme des pauses dans le récit, là où les scènes traumatiques de tournage sont sans musique...

Jessica Palud : Pour moi, il était impossible de mettre de la musique pendant le tournage du "Dernier Tango à Paris", sauf pour la valse de Chopin, qui est vraiment un moment inscrit dans la scène. Sinon, la musique arrive souvent à des moments inattendus.

Pour l'adaptation du roman de Vanessa Schneider, vous aviez la responsabilité de respecter la parole de Maria Schneider. La musique peut souvent dénaturer une réalité ou apporter du jugement...

Jessica Palud : Le livre de Vanessa est le regard du témoin familial, la petite cousine sur sa grande cousine. Je voulais vraiment traverser le film à travers le regard de Maria et ne jamais le quitter, peu importe ce qui se passait à côté. L'idée était de ne jamais lâcher son regard à elle, de porter sa voix. Je ne voulais pas d'un film manichéen. Mon rôle n'est pas de juger ou d'accuser qui que ce soit, mais de raconter une histoire et de faire évoluer les choses pour qu'on entende Maria. Mon fil conducteur est vraiment Maria. La musique contribue à cette part d'intériorité. Elle arrive à des moments comme sur le pont de Passy, cette première émotion, ou quand elle crie aux fenêtres. La musique est comme un cœur qui bat, toujours à côté d'elle.

Le fait de rester avec elle, sur son regard, passe par le hors-champ, les non-dits. La musique ne vient pas exprimer les choses à sa place, donc il y a le respect de ce silence... Le placement musical est parcimonieux, et en même temps, elle revient comme des fulgurances...

Jessica Palud : La musique dans les films est toujours compliquée, car elle peut être trop appuyée, mais il faut aussi aider le spectateur par moments. Je voulais quelque chose de brut, droit et cru. La musique est présente mais parcimonieuse, et quand elle est là, elle est vraiment là. Elle est comme des chapitres, des moments qui nous secouent. À la fin, elle se déploie pleinement sur le générique. On retrouve le même thème jusqu'au générique de fin.

Avez-vous une science musicale suffisante pour exprimer à Benjamin Biolay vos attentes en termes de thème, de notes, d'instruments ?

Jessica Palud : Je travaille en faisant écouter des musiques, en parlant de sensations, de l'idée d'avoir un violon désaccordé. Nous nous sommes bien compris. Il était vraiment très touché par Maria. Il a rapidement compris l'émotion du film.

On connaît Benjamin Biolay pour ses albums de chansons. Était-il évident de ne pas le faire chanter sur ce film ?

Jessica Palud : Non, pas du tout. Cela aurait été très étrange d'avoir une voix d'homme chantant sur ce portrait féminin. Et des paroles auraient enlevé ce que cela raconte. Il n'y avait aucune raison d'avoir des paroles sur le film.

En termes d'orchestration, avez-vous assisté à l'enregistrement ?

Jessica Palud : Non, pas du tout, car Benjamin aime bien travailler de son côté. Nous nous parlions, puis il enregistrait. Je n'étais pas là pour les enregistrements, j'écoutais après et nous corrigions si besoin. Mais il écrit vraiment à l'ancienne, sur papier. Puis il fait des maquettes, et après validation, après avoir retravaillé plusieurs fois les arrangements sur chaque séquence, il va enregistrer en studio avec ses musiciens.

Y a-t-il eu des ajustements de montage ensuite ?

Jessica Palud : Des ajustements de montage sur une petite seconde, juste pour faire finir la musique. Mais sinon, il n'y a pas eu de chamboulement de montage. La musique de Benjamin s'est parfaitement intégrée au film.

 

Propos recueillis par Benoit Basirico


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