,@,kelaleche2023032020,Compositrices, - Interview B.O : Emma Kélalèche, compositrice lauréate du Prix Cinezik (OST Challenge 2025) Interview B.O : Emma Kélalèche, compositrice lauréate du Prix Cinezik (OST Challenge 2025)

,@,kelaleche2023032020,Compositrices, - Interview B.O : Emma Kélalèche, compositrice lauréate du Prix Cinezik (OST Challenge 2025)

Propos recueillis par Benoit Basirico

- Publié le 06-05-2025




Nous vous présentons la jeune compositrice Emma Kélalèche, encore étudiante au Conservatoire de Lyon, à l'occasion du prix Cinezik qui lui a été attribué lors du concours OST Challenge 2025. Celui-ci s'est tenu le 6 février 2025 à l'Opéra de Clermont-Ferrand dans le cadre du Festival International du Court Métrage. Elle est également lauréate du prix Animation, remis par le jury présidé par le compositeur Amine Bouhafa, qui comprenait aussi le compositeur Erwann Chandon, Gaëlle Rodeville, déléguée général du Festival Music & Cinéma de Marseille, ainsi qu'un représentant des éditions Music Box Publishing, Thierry Durepaire. Il s'agissait pour les candidats sélectionnés dans les catégories fiction, animation, expérimental et scénario, de proposer une composition originale pour un court-métrage unique dans chaque catégorie. Emma Kélalèche a donc choisi l'animation. Voici cet échange permettant de mieux connaître ce talent émergent. 

Vous avez fait partie des finalistes OST Challenge qui ont pu voir leur partition jouée par l'Orchestre national d'Auvergne, sous la direction de Fabrice Pierre, lors d'une projection de "Code Rose", court-métrage collectif d'animation réalisé en 2022, mettant en scène des flamants roses qui s'opposent à des tanks, véhiculant ainsi un message pacifiste. Pour motiver ce choix, êtes-vous plus sensible à l'animation en général ? 

Emma Kélalèche : Alors, je ne sais pas si je suis plus sensible à l'animation. En l'occurrence, quand j'ai vu les films proposés, c'est celui-ci qui m'a le plus parlé. D'abord parce qu'il était plus court et que je n'avais pas beaucoup de temps à consacrer au concours. Ensuite, parce que c'est un film que je trouve très joli et très poétique. Il offrait beaucoup de possibilités et laissait une grande place à la musique.

Est-ce la première fois que vous entendiez votre partition jouée par un orchestre ?

Emma Kélalèche : Non, parce que je suis étudiante au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse (CNSMD) de Lyon. Nous avons donc plusieurs occasions de ce type. J'avais aussi été jouée à l'occasion des World Soundtrack Awards à Gand. Là aussi, c'était interprété par un orchestre. En revanche, l'Orchestre national d'Auvergne est un orchestre à cordes incroyable et très réputé. Leur jeu est tout simplement magnifique. Donc, ça m'a fait énormément plaisir de les entendre jouer ma musique.

Vous avez par ailleurs un diplôme de violon. Est-ce que la pratique du violon est venue avant l'idée de devenir compositrice, ou est-ce que la composition a fait partie de votre désir dès le début ?

Emma Kélalèche : J'ai vraiment commencé le violon en tant que violoniste. J'ai débuté à 6 ou 7 ans. À l'époque, c'était simplement parce que j'avais complètement flashé sur l'instrument. Il n'y avait absolument pas d'idée de composition derrière, vraiment pas. Aujourd'hui, il y a souvent des cordes dans ma musique, mais finalement je n'ai jamais composé pour violon seul et je n'utilise pas tant le violon spécifiquement dans mes compositions. 

Pour le court-métrage "Code Rose", pourriez-vous décrire votre processus d'inspiration, avec la contrainte d'écrire pour un effectif spécifique de cordes ? Votre travail est organisé autour d'un thème récurrent (écoute via le player ci-dessous). Avez-vous privilégié la recherche mélodique avant l'harmonisation ? 

Emma Kélalèche : C'est l'effectif qui m'a beaucoup inspirée. Dans le film, on suit des flamants roses, il y en a énormément. Cela m'a un peu fait penser à l'orchestre que j'avais à disposition, composé uniquement de cordes. On avait toute une famille d'un même type d'instrument, ce qui donnait une couleur très spécifique. Et on avait les flamants roses qui, eux aussi, formaient une grande famille. Je trouvais qu'on pouvait beaucoup jouer avec le nombre d'instruments qui intervenaient selon le nombre de flamants roses visibles à l'écran. C'est un peu parti de là. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai finalement mis de la musique uniquement sur les passages avec les flamants roses, comme si c'était vraiment leur instrument. Quant au thème que j'ai trouvé ensuite, je ne me souviens plus exactement comment il m'est venu, mais c'était en tâtonnant, en cherchant, en chantonnant, et aussi avec le piano. 

Et dans ce cas précis, aucun réalisateur ou réalisatrice n'est présent avec vous, puisque le principe du concours est d'être seule face aux images. Est-ce que vous avez apprécié cette liberté d'interpréter le film à votre guise ?

Emma Kélalèche : C'est sûr que c'est très confortable, parce qu'il n'y a personne pour contredire nos choix. Mais en même temps, c'est extrêmement agréable de collaborer avec un réalisateur ou une réalisatrice, parce que c'est justement dans la contrainte que l'on trouve des solutions. Pour moi, il est plus simple de répondre à une demande formulée, à quelqu'un qui me demande quelque chose de précis, que de travailler uniquement à partir des images. Là, en l'occurrence, pour "Code Rose", je trouvais que le film inspirait beaucoup de choses, donc ça allait. Mais il y a des films qui peuvent être un peu plus obscurs, et dans ce cas, avoir le petit coup de pouce du réalisateur peut vraiment aider.

Dans le cadre de ce concours, on peut imaginer que sans réalisateur, la tendance serait d'illustrer la scène en continu, ce que beaucoup de candidats ont fait. Vous, au contraire, vous avez réfléchi à la question du placement : à quel moment précis la musique devait intervenir, et donc également à l'absence de musique.

Emma Kélalèche : Oui, c'est quelque chose que je fais systématiquement. Puisqu'il s'agit de musique à l'image, on a envie de servir le propos du film, pas forcément de mettre uniquement la musique en avant. Après, c'est vrai que c'est délicat. Pour "Code Rose", c'était un film d'animation, et cela fonctionne bien quand il y a de la musique tout du long. D'ailleurs, j'ai trouvé les deux autres propositions finalistes superbes. Ce sont des partis pris, des choix. Oui, ça change un peu le discours, mais en tout cas, c'est important pour moi de laisser respirer. Je ne pense pas non plus être capable de composer cinq minutes de musique d'affilée sans pause.

En tout cas, c'est ce qui a pu être apprécié lors de la remise de ces prix, notamment le prix Cinezik. C'est-à-dire que c'est une récompense non seulement pour la musique, qui est très belle et émouvante, mais aussi pour la réflexion derrière son placement. Cette réflexion sur la musique, j'imagine que vous travaillez cette question lors de votre licence de composition. Mais est-ce aussi, pour une compositrice, un apprentissage qui s'acquiert en tant que spectatrice ? Autrement dit, est-ce que vous regardez beaucoup de films, et est-ce au contact de ces visionnages que vous façonnez également votre réflexion musicale ?

Emma Kélalèche : Alors, en fait, je ne suis pas du tout cinéphile à la base. Je ne dirais pas que je découvre le cinéma, ce serait exagéré, mais presque. Je me suis retrouvée à faire de la composition pour l'image parce que j'ai adoré l'exercice la première fois que je m'y suis confrontée. À partir de là, j'ai été curieuse et j'ai commencé à regarder des films. Mais je n'ai pas été particulièrement baignée là-dedans. Je ne saurais pas dire pourquoi je ressens un placement plutôt qu'un autre. C'est peut-être justement parce que je n'ai pas vu tant de films que ça, et que du coup j'essaie vraiment d'y réfléchir attentivement. 

C'est intuitif, en somme ? En tout cas, il y a dans l'histoire du cinéma des exemples de compositeurs et compositrices qui n'étaient pas de grands spectateurs. Vous avez aussi participé à la masterclass du Festival Music & Cinéma de Marseille, encadrée par Rémi Boubal. Ça, c'est une autre expérience : c'est à la fois une masterclass de composition, mais on y vient aussi avec son instrument. 

Emma Kélalèche : Oui, j'étais avec mon violon. C'était formidable, franchement, j'en garde de super souvenirs. Déjà, en termes d'apprentissage, c'était précieux d'être avec Rémi, car il a un regard excellent et il a su gérer les états d'âme de tous ces jeunes compositeurs. Nous étions une dizaine, à composer dans une même salle pour les mêmes films, que nous devions ensuite interpréter tous ensemble. Il faut donc quelqu'un pour chapeauter tout ça, et Rémi l'a fait à merveille. Et surtout, nous nous sommes tous rencontrés et nous nous revoyons tous d'ailleurs régulièrement à Marseille. Ce sont tous des compositeurs incroyables. En plus, on avait la chance d'avoir des participants venant d'un peu partout. Vanille Debray, par exemple, venait du Canada où elle étudiait, ce qui apporte une autre façon de voir le cinéma. On avait Tatyana Richaud, qui venait des États-Unis, donc encore une autre vision du cinéma, ou en tout cas de la musique. Donc, cette expérience était formidable pour voir un peu comment la musique à l'image est perçue à l'international.

Vous avez un parcours assez éclectique. Non seulement vos débuts au contact de l'image, comme on l'évoque, mais également un projet avec une danseuse et chorégraphe, Marie Bugnon, sur un projet intitulé "Poudre de fleurs". Composer une musique pour une chorégraphe, c'est aussi travailler avec un élément visuel. Quelle a été la spécificité de ce travail ?

Emma Kélalèche : Nous avions une connaissance commune : la vidéaste Marie Bouhiro pour qui j'ai fait mes premières musiques quand elle s'est lancée dans la vidéo. Là, la démarche était assez originale. Marie Bugnon (la danseuse) m'a envoyé des inspirations musicales, des gestes qu'elle aimait et qu'elle avait envie d'intégrer à sa chorégraphie. J'ai donc composé une première version, je la lui ai envoyée, elle m'a fait des retours, et elle a commencé à écrire sa chorégraphie. Ensuite, nous n'avons fait que des allers-retours comme ça pour finalement arriver à un produit fini à deux. C'était vraiment un échange constant pour créer la chorégraphie et la musique. C'était la première fois que je faisais ça, et j'aimerais beaucoup renouveler l'expérience.

Le titre "Poudre de fleurs" évoque quelque chose de volatile, de léger. Est-ce que dans la musique, il y a cette traduction ?

Emma Kélalèche : Je pense que oui, il y a quelque chose d'assez léger et en même temps de très délicat. Mais ça se voit aussi dans la chorégraphie. C'est très doux.

De manière générale, et pour "Poudre de fleurs" en particulier, quelle est votre méthode de composition ? Est-ce d'abord à l'ancienne, papier et stylo, ou est-ce principalement sur ordinateur, avec les logiciels de composition ? Ou est-ce que ça passe parfois par le jeu de l'instrument ?

Emma Kélalèche : Là, pour cette musique en particulier, il me semble que c'était beaucoup d'ordinateur. Ensuite, il y a eu une part de jeu, mais cette fois-ci pas avec le violon, mais avec ma voix.

Oui, en effet, une ample présence vocale est présente sur cette partition. Il y a une amplitude, quelque chose qui se déplace avec le corps. Et avec la présence vocale, il y a finalement l'expression de votre propre corps. Est-ce que cela vous intéresse de manière générale de travailler avec votre voix, mais aussi peut-être avec les mains, ou une dimension plus directement sonore issue du corps ?

Emma Kélalèche : En fait, le jeu instrumental ou vocal est important pour moi de toute façon. Je pense que c'est important pour beaucoup de compositeurs. C'est inspirant et, en même temps, ça rend les choses plus concrètes. Donc oui, ça m'arrive très souvent de passer par le chant ou par le violon, même si au final, je n'intègre pas forcément ces éléments dans la version finale. Pareil pour le piano.

Nous avons évoqué vos débuts dans la musique à l'image et le projet sur la danse. On parle de voix. Ça nous amène à évoquer une autre corde à votre arc : la chanson. Vous avez sorti un EP en tant que chanteuse sous le nom Amour, Roma. L'EP s'appelle "Des nuages dans mon ciel", sorti en février 2022. 

Emma Kélalèche : Lors d'une rencontre, après une longue discussion, la personne m'avait demandé : "Mais du coup, qu'est-ce que vous avez de concret à montrer ?". Et c'est vrai que je n'avais rien de concret à présenter, musicalement parlant. Quand je suis rentrée chez moi après ce rendez-vous, je me suis dit qu'il fallait que je fasse quelque chose. Et ça a abouti à cet EP de chansons, qui a été autoproduit. J'ai composé la musique et écrit les paroles.

Vous avez donc pu exploiter votre talent de compositrice, mais aussi d'autrice de textes. Comment cela s'est-il passé pour l'écriture des textes ? Dans la chanson, il y a toujours la question : qu'est-ce qui vient en premier, la musique ou les paroles ?

Emma Kélalèche : C'est une bonne question. Je pense que c'était vraiment les deux en même temps. En tout cas, la production, tout ce qui est instrumental derrière, ça vient après pour moi. Mais la mélodie de la chanson se fait en même temps que le texte.

Est-ce que vous pratiquiez le chant depuis longtemps, ou l'avez-vous fait pour la première fois pour ce projet ?

Emma Kélalèche : Je n'ai jamais vraiment chanté "officiellement". En fait, je ne me considère pas du tout comme une chanteuse, plutôt comme une interprète. J'essaie donc de faire avec ce que j'ai. Là, en l'occurrence, j'avais envie de faire de la chanson, donc j'ai chanté. Mais je ne suis pas chanteuse, je n'ai jamais pris de cours de chant, jamais fait de scène. Mais j'adore ça, je trouve ça hyper agréable de chanter. Et je trouve qu'enregistrer du chant, c'est quand même assez puissant. Déjà, c'est très intime, c'est notre voix, et en plus, elle interprète mes propres textes. C'était donc un exercice très intéressant, pas facile, et que j'aimerais refaire, mais je prends mon temps.

Et tout est auto-réalisé musicalement ? Ou avez-vous fait appel à des musiciens ?

Emma Kélalèche : Non, j'ai pratiquement tout fait. En fait, il y a un titre, "Milliard", qui a été retravaillé avec un ingénieur du son qui était d'ailleurs présent à Clermont-Ferrand pour s'occuper de la captation de l'OST Challenge, Jérémy Gaucher. J'étais ravie de le revoir, parce qu'il était là au début de ce projet. J'étais allée dans son petit studio à Fontainebleau, et nous avions retravaillé le morceau ensemble. C'était chouette de collaborer.

Sont également visibles sur Internet des clips réalisés à partir de ces chansons. Le visuel revient donc en jeu. Comment s'est passé ce travail ? Vous avez fait appel à une réalisatrice qui a mis en image vos chansons ? Vous étiez donc dans le rôle inverse : vous passiez commande à une réalisatrice en tant que compositrice et autrice.

Emma Kélalèche : Eh bien là, la boucle est bouclée, car c'est Marie Bouhiro (la vidéaste photographe, on y revient) et c'était une commande de ma part. Pour le coup, c'était l'inverse : c'est elle qui a réagi à ma musique en faisant un travail de réalisatrice.

Parmi vos premières expériences de compositrice, il y a le court-métrage "Aurore" de Yelena Boyer. C'est une collaboration un peu particulière, puisqu'elle s'est faite non seulement avec la réalisatrice, mais celle-ci a aussi co-composé la musique. Il y a donc eu une collaboration musicale ? 

Emma Kélalèche : Elle est pianiste et chanteuse. Et donc, elle avait déjà composé sa partie, mais elle voulait apporter autre chose, essayer d'améliorer et d'enrichir un peu la musique. Je suis donc arrivée et nous avons co-composé cette pièce.

On y voit un personnage féminin qui court, on l'imagine en fuite après on ne sait quoi. Elle trouve refuge dans une voiture avec un vieil homme et lui demande d'aller voir la mer. C'est intéressant le placement musical, qui n'intervient, sur un film de 12 minutes, qu'au bout de 8 minutes. Ce placement tardif permet finalement à la musique de remplir un rôle précis : celui de la fuite, de la liberté, d'un espoir pour elle.

Emma Kélalèche : En fait, le film était assez délicat. C'est son premier film, et c'était un sujet très personnel puisqu'il parlait de troubles du comportement alimentaire, de la boulimie en l'occurrence. Effectivement, le film dure 12 minutes, avec 5 minutes montrant quelqu'un en pleine crise de boulimie, qui mange énormément. Je crois qu'elle a mangé huit pains au chocolat, la performance de l'actrice est assez dingue. Mettre de la musique là-dessus est délicat. On n'a pas envie que ça fasse trop "cinéma", il y a presque un côté documentaire. Et effectivement, après, lorsqu'elle commence à prendre son envol, là, on l'accompagne par la musique. Mais c'est vraiment un choix de la réalisatrice. On en revient à ce qu'on disait : pour le concours, il n'y a personne pour donner son avis, mais là, Yelena savait ce qu'elle voulait, et il n'était pas question d'avoir de la musique au début.

Vous disiez tout à l'heure que vous n'étiez pas une grande spectatrice, que le cinéma n'était pas initialement votre centre d'intérêt principal, ce qui fait que peut-être, en tant que compositrice, vous avez ce terrain un peu vierge. C'est-à-dire que vous n'avez pas forcément d'habitudes ou de références préétablies. Où puisez-vous alors votre propre inspiration ? Dans les émotions, les personnages, ou le dialogue avec une personne ?

Emma Kélalèche : Un peu de tout, en fait. Déjà, je suis très inspirée par les images, par les couleurs et par l'histoire en elle-même. Je fais de la musique à l'image parce que j'aime l'idée de raconter des histoires. Ça pourrait être pour du cinéma, mais ça pourrait être pour autre chose. Et les discussions que l'on a avec le réalisateur ou la réalisatrice sont très, très enrichissantes. Donc, c'est un petit peu tout ça qui m'inspire. Je fais un petit pêle-mêle.

Raconter des histoires, en effet. On dit souvent d'un compositeur ou d'une compositrice qu'il ou elle est un(e) scénariste musical(e), racontant une histoire en musique par-dessus l'histoire du film. Quel est aujourd'hui votre rapport à cette activité, à ce rôle d'apporter ce récit musical tout en veillant à ne pas écraser le film ? 

Emma Kélalèche : Je pense qu'il faut juste être naturel et rester soi-même. Parler de ce qu'on a envie d'apporter au film, mais aussi rester à l'écoute de ce que le réalisateur ou la réalisatrice veut. Je pense que, en tout cas, je n'irais pas à un rendez-vous complètement fermée, avec mes idées préconçues sur le film. Je reste ouverte, et puis c'est une discussion. Je pense que si on aborde les choses comme ça, en étant franc, ça ne peut que bien se passer. Et au pire des cas, on n'a pas le projet, et ce n'est pas grave.

Vous considérez-vous capable d'adopter un aspect "caméléon" dans cette activité, ou souhaitez-vous quand même poursuivre un certain sillon, par exemple en refusant des projets parce qu'ils ne correspondraient pas à l'idée que vous vous faites de la musique de film que vous voulez défendre ?

Emma Kélalèche : C'est intéressant. Pour le style de musique, je ne pense pas être capable de faire plein de styles et de genres différents. Donc oui, je pense que je pourrais refuser un film s'il n'est vraiment pas dans mon style. Par exemple, si on me demande de faire du rock punk, je ne pense pas en être capable, donc je préférerais qu'un confrère ou une consœur s'en charge, et c'est très bien comme ça.

D'ailleurs, quels sont vos goûts musicaux ? Les musiques que vous écoutez ?

Emma Kélalèche : Alors, c'est vaste. C'est la réponse que tout le monde donne, non ? Mais ça dépend vraiment. J'écoute beaucoup de musique classique, que ce soit de la musique de chambre (petits effectifs) ou de l'orchestre symphonique. J'écoute beaucoup de chansons françaises. J'écoute de la pop, du rap, de la musique de film. J'écoute aussi un petit peu d'électro. Franchement, j'écoute pas mal de choses différentes.

Votre pratique d'écoute, c'est plutôt la radio, ou allez-vous spontanément vers la découverte ? Aujourd'hui, il y a beaucoup d'outils qui permettent de découvrir de la musique sans forcément le vouloir, via des playlists, etc. Êtes-vous plutôt dans cette consommation-là, ou allez-vous directement vers les artistes que vous souhaitez écouter ?

Emma Kélalèche : Je vais directement chercher les artistes que je souhaite écouter. Souvent, j'en découvre par le bouche-à-oreille, lors de discussions avec des amis, ou via les réseaux sociaux aussi.

Et en termes de musique de film, celles qui vous intéressent, si ce n'est pas par la découverte dans un film, c'est peut-être uniquement à l'écoute, c'est ça ? Vous avez un rapport à la musique de film sans avoir forcément vu les films correspondants ?

Emma Kélalèche : Oui, c'est vrai qu'il y a des BO que je connais sans connaître les films. Ça, c'est sûr. Mais quand même, souvent, j'ai des coups de cœur après avoir vu un film. Je trouve que ça rend la musique encore plus belle quand on a apprécié le film. Du coup, ça la rattache forcément à un très bon souvenir. Donc, ça dépend. Mais effectivement, je pense qu'il y a pas mal de BO pour lesquelles je n'ai pas encore vu le film. Mais c'est sur ma "watchlist", comme on dit. Par exemple, la musique de "The Tree of Life" (Alexandre Desplat). J'ai un super bon souvenir quand j'écoute la BO. Mais il y a une autre BO d'un film de Malick, avec beaucoup de violons, "A Hidden Life" (James Newton Howard). Là, je n'ai pas vu le film, mais j'adore la BO. J'adore aussi John Powell. Je le trouve vraiment talentueux.

Le John Powell de "Dragons" ou celui de "Jason Bourne" ?

Emma Kélalèche : Je dirais le John Powell de "Dragons", parce que j'ai vraiment beaucoup écouté cette BO. Mais aussi le John Powell d'un film incroyable avec Florence Pugh, "Don't Worry Darling !" J'ai même la première piste en tête qui s'appelle "Advanced Ballet Class". Il y en a plein, des compositeurs que je trouve incroyables. Par exemple, Valentin Hadjadj, en France. C'est magnifique ce qu'il fait.

Pour les films de Lukas Dhont, par exemple ?

Emma Kélalèche : Oui, c'est vraiment très très beau. Pour "Close", la BO est juste... magnifique.

Est-ce que vous sentez que vous aviez besoin d'avoir des modèles pour vous dire « je suis capable de le faire, c'est un monde qui m'accueille volontiers » ? Notamment en pensant aux compositrices qui, pendant longtemps, n'ont pas eu beaucoup de modèles. Le fait qu'aujourd'hui, il y en ait de plus en plus, est-ce que c'est un moyen aussi de se dire « voilà, c'est possible » ?

Emma Kélalèche : Je ne sais pas trop. Comme je n'ai jamais été trop bercée dans ce monde-là à la base, je suis arrivée un peu vierge de tout ça. Du coup, je ne me suis pas trop posé la question des modèles. Mais je pense que la question va finir par me venir plus concrètement. Pour l'instant, je suis dans un cadre étudiant. Je suis donc dans un contexte où je connais plein de compositeurs qui sont en fait mes camarades de classe. Mais j'imagine qu'une compositrice qui n'a pas cette chance d'être déjà dans un cercle peut trouver confiance dans le fait qu'il y ait de plus en plus de compositrices visibles. Ça, c'est clair. Et il faut, d'ailleurs, qu'il y ait plus de compositrices. C'est dramatique, quand même, le faible nombre. Mais on en voit de plus en plus maintenant qui ont de très belles carrières. Je pense à Anne-Sophie Versnaeyen, par exemple. Ça donne envie, ça motive. C'est vraiment génial et c'est important.

Musicalement, on évoque parfois aujourd'hui dans le cinéma une disparition du thème mélodique. Vous demeurez quand même attachée à la mélodie ?

Emma Kélalèche : Oui, c'est vrai. C'est toujours agréable de composer des mélodies. Moi, j'aime beaucoup faire ça. La disparition du thème, je pense que ça dépend du genre de film. Peut-être qu'effectivement, dans le film d'auteur français, il y a un peu moins de thèmes marqués. Mais dans l'animation, par exemple, il y a toujours beaucoup de thèmes. Je pense que c'est aussi une question de période. Ça va forcément évoluer, et ça évolue toujours, donc on verra bien.

On parlait du violon, de l'orchestre... Évidemment, les outils technologiques sont aujourd'hui presque une obligation. On ne peut pas être compositrice de film sans faire de maquettes, sans passer par une étape de musique numérique. Quel est votre rapport à ces nouvelles technologies ? Comment faites-vous pour qu'elles ne vous emprisonnent pas, pour trouver votre liberté là-dedans, avec des logiciels que tout le monde utilise plus ou moins ?

Emma Kélalèche : C'est quelque chose qui me plaît. Je pense que j'ai un petit côté un peu "geek". Du coup, ce côté ordinateur me plaît. J'y passe donc beaucoup de temps. Mais oui, j'utilise ces outils, je fais des maquettes. Et il le faut, de toute façon, puisqu'il faut pouvoir montrer un résultat au réalisateur ou au producteur. Donc, dans tous les cas, il faut y passer.

Hildur Guðnadóttir, pour "Joker", a fait quasiment toute la partition avec son violoncelle, mais grâce au travail de studio, notamment le re-recording, on n'a pas l'impression d'entendre un seul instrument. Elle est parvenue, seule avec son violoncelle, à créer une ampleur quasi orchestrale. Puisque vous dites être un peu geek, vous vous amusez peut-être à tester des textures, à manipuler le son de votre instrument ?

Emma Kélalèche : Déjà, Hildur Guðnadóttir... Je ne l'ai pas citée tout à l'heure, mais... Wow ! C'est vraiment très, très fort aussi ce qu'elle fait. Sinon, bien que je n'ai jamais encore vraiment composé pour violon seul, je suis en train de m'y mettre. Et comme on le disait, j'utilise beaucoup la voix, mêlée à des textures instrumentales : je peux utiliser un kalimba ou une guitare, et le passer dans l'ordinateur pour en faire autre chose. 

Souvent, les meilleures musiques de film reposent sur une idée forte. Dans "Code Rose", il y a justement une idée mélodique et un motif qui revient, associé aux flamants roses. Donc il y a l'idée d'une musique pour un personnage ou un groupe. Le spectateur ressent cette identification. Quel est votre avis sur cette notion d'identifier la musique à un sujet ?

Emma Kélalèche : J'aime tout ce qui est conceptuel. Dès qu'il y a un petit concept, ça m'amuse et j'aime bien essayer de le tirer jusqu'au bout. Donc, par exemple, pour "Code Rose", c'était cette idée qu'il y ait de la musique uniquement sur les flamants roses, et que les cordes interprètent le nombre de flamants qu'on voit à l'écran. Après, le concept vaut ce qu'il vaut, mais en tout cas, j'aime bien quand il y a un sens que je donne à la musique, même si le spectateur ne va pas forcément le percevoir consciemment. En tout cas, ça m'aide à savoir où je vais. Au moins, j'ai une idée claire, et j'essaie de dérouler le film avec ça.

On a beaucoup évoqué la composition sur les images, mais avez-vous expérimenté la pratique de composer à partir d'une lecture de scénario ?

Emma Kélalèche : Je l'ai expérimentée pour le concours "Le Troisième personnage" à Marseille que j'ai fait l'année dernière et cette année. Pour un court-métrage, "La Question" d'Alberto Segre, j'ai eu le projet sur scénario. J'avais dû proposer quelques pistes musicales, et après discussion, nous avons convenu de travailler ensemble.

Pour des jeunes qui voudraient s'inscrire dans des conservatoires comme le CNSMD de Lyon en composition à l'image, quelle serait votre recommandation en termes d'apprentissage, de lectures, ou de bagage à avoir pour se préparer à ce type de formation ?

Emma Kélalèche : Alors, je ne suis vraiment pas de bon conseil, parce que je n'ai pas le bagage "type" ! Enfin, j'ai quand même fait 15 ans de conservatoire en violon... Je ne sais pas si ça suffit, mais pour moi, ça a marché. Mais franchement, je pense que c'est toujours bien, quand on veut rentrer dans ces classes, de regarder des films et de s'essayer à l'exercice de composer sur des images. 

Avez-vous pu échanger avec d'autres corps de métier du cinéma que des réalisateurs/réalisatrices, comme des monteurs, des mixeurs ?

Emma Kélalèche : Non, alors à part des sound designers et des bruiteurs, je n'ai pas trop eu affaire à d'autres corps de métier pour l'instant. Mais j'adorerais.

Justement, concernant le son et le bruitage, ça vous est arrivé de faire du sound design, de créer des sons avec vos instruments ?

Emma Kélalèche : Ça m'est arrivé de le faire, surtout pour des projets étudiants ou pédagogiques. Typiquement, pour le concours d'entrée au conservatoire, ce n'était pas facile : c'était un extrait de film d'horreur, et j'avais fait beaucoup de choses en utilisant uniquement de l'orgue. Du coup, il y avait beaucoup d'éléments qui se rapprochaient plus du bruit et de l'ambiance que de la musique mélodique. Ça dépend en fait du projet. J'aime bien faire les deux, pour le coup. Tant que ça sert le film.

Merci Emma Kélalèche, et encore bravo pour ce prix Cinezik et le prix Animation remportés au Festival de Clermont-Ferrand pour l'OST Challenge. Je vous souhaite un bel avenir dans la musique de film, vous avez tous les ingrédients pour y parvenir.

 

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Propos recueillis par Benoit Basirico


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