Ces trois films sont un peu à part dans leur filmographie, car lorgnant constamment sur le registre de l'aventure pure et dure, du divertissement, voire même vers le film de genre (les autres oeuvres de Spielberg se voulant plus engagées ou nostalgiques).
En 1981, John Williams vient d'achever L'Empire Contre-Attaque (et c'est peu dire qu'il s'agit probablement de sa meilleure partition pour la saga Star Wars). Couronné de plusieurs Oscars déjà (notamment pour Les Dents de la Mer et La Guerre des étoiles), son style orchestral est à son apogée, son inspiration brillante à tous les coups. Après un grand film d'extra-terrestres mystico-fantastique (Rencontres du Troisième Type) et une farce historique sur la seconde guerre mondiale (1941), Steven Spieberg désire réaliser un film de pur divertissement, un James Bond par exemple. George Lucas lui propose mieux : un archéologue aventurier du nom d'Indiana Smith.
Ce sera finalement Indiana Jones (du voeux de Spielberg), et non pas Tom Selleck dans la peau du héros (celui-ci étant bloqué sur le tournage de la série Magnum) mais Harrisson Ford, sorti tout droit de la folie Star Wars. Avec sa saga intersidérale, George Lucas permet à n'importe qui de retrouver le goût des films à grand spectacle des années 30 et 40. C'est désormais au coeur de cette époque qu'il ancre les personnages de la saga Indiana Jones, confrontés aux objets magiques du passé.
La musique de John Williams est ainsi un subtil mélange de marches héroïques, de passages d'action trépidants et de mélodies mystérieuses évoquant les pouvoirs maléfiques d'objets précieux. Fourmillant de thèmes et de motifs, les musiques de la saga Indiana Jones restent encore aujourd'hui un modèle absolu de la musique d'aventures autant qu'un tour de force orchestral inégalé en musique de film (hormis peut-être par Williams lui-même dans la saga Star Wars ou Harry Potter !). La parution d'un nouveau score en 2008, développant ou transformant d'anciens thèmes ou motifs créés vingt ans auparavant, a donc de quoi susciter l'excitation.
"Main Title: South America, 1936", annonce un premier thème, inquiétant et lancinant, qui présage d'une malédiction ou d'un terrain sacré à ne pas profaner. Arrivent les trompettes et là aucun doute : on est bien dans la tradition du film d'aventures hérité du Golden Age : le motif de cuivres qu'utilise Williams pour la séquence de l'idole est typique de Max Steiner (King Kong). Le haubois esquisse les premières notes du thème de l'Arche, développé bien plus tard. "In the Idol's Temple" est une pièce assez fascinante et étrange, qui annonce pas mal de choses, en mélangeant motifs mélodiques et notes plus bruitistes. Williams esquisse un thème modal un peu torturé évoquant un pouvoir maléfique, servi rapidement par des cuivres évoquant l'urgence de la fuite (c'est la fameuse séquence du rocher qui roule).
"Journey to Nepal" annonce une nouvelle fois le thème de l'Arche, plus clairement cette fois-ci, tandis qu'une déclinaison martiale et légère de la "Raiders March" illustre les images montrant l'avion se déplaçant sur la carte du globe. Avec les retrouvailles de Marion (une ex d'Indiana), Williams introduit furtivement un thème romantique dans "To Cairo" (développé plus tard dans "Marion's Theme"). "The Map Room: Dawn" est le développement magistral du thème de l'Arche d'alliance (avec choeurs à l'appui), lorque Indy découvre l'emplacement de l'Arche à la lumière du médaillon. "The Well of the Souls" démontre la capacité de John Williams à produire des sonorités âpres et dérangeantes, tandis que "Airplane Fight" est le principal morceau d'action du film, pour la scène où Indy affronte un pilote. C'est le premier d'une longue série, chaque film comportant deux à trois pièces d'action maîtresses. Les cuivres et les percussions sont naturellement mises en avant, sur un rythme martial trépidant, au sein duquel la marche d'Indiana Jones retentit occasionnellement comme pour encourager le héros. L'une des marques de fabrique qu'on retrouvera sur les deux films suivants est un rythme joué au cor et aux trompettes, évoquant un sentiment d'urgence, d'accélération, d'adrénaline (les successeurs de "Airplane Fight" sera "The Mine Car Chase" dans le 2 puis "Scherzo for Motorcycle and Orchestra" dans le 3). Finalement, "Marion's Theme" puis "Ark Trek" permettent à Williams d'exposer à nouveau les thèmes esquissés quelques minutes plus tôt pour mieux impressionner le spectateur, lui évoquer souvenirs et sensations des événements précédents et des dangers annoncés. Et parce que tout finit bien et en fanfare, le film se clôt sur la "Raiders March", de manière triomphale. Ce deviendra un élément récurrent de la saga.
Là, ça commence vraiment comme un James Bond, avec smoking, champagne... et chanson ! Kate Capshaw (future madame Spielberg) chante en mandarin "Anything Goes", chanson glamour de Cole Porter qui ouvre le film. Et ça ne traîne pas : "Fast Streets of Shanghaï" démarre en trombe pour un morceau d'action trépidant où les cuivres scandent la même note rapidement puis descendent (ou montent) : c'est l'une des marques stylistiques récurrentes du style orchestral de John Williams pour ses morceaux d'action. Comme dans le premier opus, les motifs rythmiques évoluent, s'arrêtent, laissent place soudainement à la "Raiders March" puis repartent de plus belle. Le compositeur fait simple et efficace : lorsque le héros apparaît ou fait un coup d'éclat à l'image, son thème retentit. Pas besoin d'aller chercher midi à quatorze heures.
"Nocturnal Activities" développe un thème romantique (pour le personnage féminin du film), à la fois très classique et sirupeux (le personnage de Willie est une femme respectable assez imbue d'elle-même), et en même temps scandé de motifs drôles proches du mickey-mousing (c'est la fameuse séquence du campement où apparaissent serpents et chauves-souris !). D'emblée, la musique de John Williams donne le ton de ce deuxième film de la saga : la caricature. Spielberg va jouer avec tous les clichés à sa disposition pour faire rire et faire peur (car cet épisode est aussi le plus sombre de la saga, celui qui lorgne le plus vers le film d'horreur). Williams va donc orienter progressivement sa partition vers des cordes lancinantes et dérangeantes, évoquant l'effroi plutôt que le mystère. Dans "Short Round's Theme" il développe un nouveau motif, assez sautillant, pour le personnage de Demi-Lune, puis introduit le thème majestueux du Temple Maudit.
Dans "Children in Chains" il embrasse la matière à bras le corps en utilisant enclumes et chaînes pour évoquer le sort des enfants dans les mines. Le thème du Temple Maudit dévoile alors deux facettes : l'une évoquant le Temple comme un palais fastueux et raffiné, l'autre comme une prison sanguinaire. Après un impressionnant morceau d'action ("Slalom on Mt. Humol" qui se termine par quelques notes de cythare, histoire de situer le décor - en Inde), John Williams compose un étonnant morceau choral pour la fameuse scène du sacrifice ("The Temple of Doom"). Avec presque rien (des choeurs et un gong qui montent en puissance et accélèrent pour finir sur un cri plaintif) il rend la scène insupportable, évoquant le mal et le pouvoir malsain du prêtre de cérémonie (qui passe son temps à arracher des coeurs !). S'enchaîne un nouveau morceau d'action d'anthologie pour la scène où Indiana Jones se retrouve sur le tapis roulant avec un gros baraqué : Williams répète un même motif de cuivres jusqu'à créer une tension, puis un dénouement. Et encore une tension. Et encore un dénouement (une ample envolée de cordes qui évoquent une délivrance). On crois que c'est fini, mais ça repart de plus belle (nouvelle tension), jusqu'à l'arrivée du thème d'Indy, qui souligne sa victoire et clôt la séquence héroïquement.
"Slave Children's Crusade" reprend le thème du Temple Maudit en fanfare (avec toujours un rythme en sourdine qui souligne une urgence), laissant planer ici un sentiment de libération, avant de laisser place à "The Mine Car Chase", nouveau morceau d'action bourré de pizzicati de cordes, de flûtes et de cuivres qui défilent aussi vite que le décor, dans cette scène hallucinante de course-poursuite en wagons dans la mine. Les notes trépignents et s'accumulent jusqu'à l'overdose, le spectateur est happé par le spectacle, il n'en peut plus ! Puis c'est le final, grandiose, le clou du spectacle : retour de la "Raiders March" dans un générique de fin tout ce qu'il y a de plus classique, sous la forme d'une suite reprenant tous les thèmes du score.
Flashback : des cordes lancinantes illustrent un paysage solaire et désertique. Des scouts en shorts se baladent : motif léger de cordes gentillet. Retour à la terre : la croix de Coronado sort de la poussière, un thème majestueux l'accompagne. Et hop, un objet, un thème, un ! Le thème de la croix scandera les dix minutes suivantes, et symbolisera l'objet même de la quête de toute la séquence d'ouverture, entrecoupée de morceaux d'actions savoureux à l'orchestration parfois légère et sautillante, comme pour évoquer la jeunesse d'un héros. Rien n'est pourtant laissé au hasard, pas même l'annonce du thème du Graal, esquissé ici en deux secondes (toutes les occasions d'annoncer et de répéter un thème sont bonnes à prendre).
"Scherzo For Motorcycle and Orchestra" (piste 3 du CD mais qui arrive bien plus tard dans le film) est la pièce d'action maîtresse de cette troisième partition d'Indiana Jones, sous forme de scherzo comme son nom l'indique ! Tout en développant une nouvelle mélodie, John Williams use et use encore du thème des nazis (exposé avant dans le film, bien sûr) puis le déconstruit, le répète partiellement, tandis qu'à l'image on voit s'amenuir le nombre de nazi qui pourchassent Indy et son papa. C'est simple, radical et efficace. Juste brillant.
Le thème du Graal est ouvertement exposé dans "Ah, Rats!!!" lorsque Indy découvre la tombe du chevalier dans les égoûts de Venise. "Escape from Venice" développe un nouveau motif d'action (avec couleur locale pour Venise), puis c'est la séquence du duel sur le bateau qui dérive vers l'hélice d'un paquebot : "remake" de la scène du tapis roulant dans le film précédent, Williams scande à nouveau sa partition de rythmes martiaux aux cuivres, créant tensions et dénouements. "No Ticket" est l'occasion pour Williams de créer un thème malicieux pour la scène où Indy et son père embarquent clandestinement dans un Zeppelin. Pour info, ce même thème sera repris plus tard par Williams dans Harry Potter et la Chambre des Secrets pour le personnage de Gilderoy Lockhart, curieusement de manière à peine déguisée...
"The Keeper Of The Grail" permet à John Williams de laisser s'exposer doucement la magie et le mystère du Graal, développant subtilement le thème exposé précédemment en ajoutant des cordes scintillantes qui évoquent l'aspect mystique et spirituel de l'objet. Le morceau suivant ("Keeping Up With The Joneses") développe un thème commun au père et au fils Jones, une mélodie à la fois touchante et légère qui suggère la complicité des deux hommes. Puis le motif de "Scherzo for Motorcycle and Orchestra" revient de manière déguisée dans "Belly Of The Steel Beast", autre morceau d'action anthologique qui passe en revue quantité incroyable de thèmes et motifs, créant un sentiment de cacophonie générale plutôt en accord avec ce qui se passe à l'écran (c'est la séquence de la poursuite en cheval et en char). Dans une débauche de cuivres, John Williams signe ici l'apothéose du morceau d'action pour film d'aventures, même si on n'en retiendra pas grand chose pour cause de motifs trop éparpillés. C'est pour mieux perdre le spectateur et capter son attention ensuite avec la séquence finale se déroulant dans le temple ("The Penitent Man Will Pass"), où Williams réutilise le thème du Graal dans toute sa majesté et sa splendeur (avec notamment l'ajout de choeurs). Pour finir, le générique de fin, fidèle à la propre convention de la saga, réutilise tous les thèmes majeurs de la partition sous la forme d'une suite qui succède à la "Raiders March".
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