Les compositeurs américains débarquent en France

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- Publié le 24-06-2009




On se souvient d'Angelo Badalamenti, alors compositeur italo-américain de David Lynch, qui est venu en France composer pour Jean-Pierre Jeunet sur "La Cité des enfants perdus". On se souvient plus anciennement de Bernard Herrmann chez François Truffaut ("La Mariée était en noir"), de Miklos Rozsa chez Alain Resnais ("Providence"). Cette importation de musiciens outre-atlantiques n'est pas neuve, mais aujourd'hui nous pouvons parler d'une généralisation qui peut inquiéter les compositeurs nationaux qui se voient ainsi écarter au profit de noms plus exotiques comme Klaus Baldelt, Cliff Martinez, Michael Galasso, Marco Beltrami, ou encore Clint Mansell.

Loin de nous plaindre de ces échanges, nous pouvons nous féliciter de cette mixité dans les nationalités de la même manière que nous nous félicitons lorsqu'il s'agit d'un compositeur français à l'étranger. Mais cette convocation souvent improbable n'a pas toujours des raisons purement artistiques.

On peut penser que lorsque Alain Resnais convoque Mark Snow pour la musique de COEURS ou LES HERBES FOLLES, il s'agit d'un intérêt exclusivement musical, car nous ne remettrons pas en doute l'intégrité de ce réalisateur habitué de l'exercice, ayant travaillé avec des compositeurs aussi variés Miklos Rosza et Stephen Sondheim.

Quant à Bertrand Tavernier, il nous avouait avoir pensé à Marco Beltrami pour DANS LA BRUME ELECTRIQUE en ayant vu et aimé sa musique sur TROIS ENTERREMENTS.
Bertrand Tavernier : "Dés que j'ai écouté la musique de TROIS ENTERREMENTS, j'ai immédiatement eu envie de travailler avec celui qui avait composé ce Score. Ce fut un choc formidable qui m'a rappelé le choc que j'avais eu avec Jerry Goldsmith. Comme je pensais à un film américain, j'ai tout de suite dit au producteur que je voulais Beltrami et que je voulais le rencontrer très vite alors que j'étais en train d'écrire. Cela l'a beaucoup touché. C'était la première fois qu'un metteur en scène l'appelait si tôt". C'est à double sens, puisque le compositeur américain jouit dans cette collaboration française d'une implication d'auteur plus artistique que d'habitude. Tout le monde est gagnant, même le public puisque sa musique s'avère une réussite indéniable.

Il est probable aussi que ce même Marco Beltrami se soit retrouvé sur la lourde production du diptyque MESRINE de Jean-François Richet par une contrepartie de production (le tournage se situant en partie à Monument Valley). Cette musique a été composée conjointement avec l'allemand Marcus Trumpp, important de le préciser, et Howard Shore fut d'abord pressenti (cela donne l'occasion de rappeler que ce compositeur canadien avait livré pour le ESTHER KAHN d'Arnaud Desplechin une partition mémorable).

MESRINE a en tout cas valu au compositeur italo-américain d'être nommé au César 2008 de la meilleure musique de film, au même titre que Michael Galasso, alors compositeur de SERAPHINE, qui l'emporta. Les américains commencent ainsi à squatter les prix suprêmes du pays, au dépend des compositeurs nationaux comme Bruno Coulais qui raflait souvent le César par le passé et qui ne fut même pas nommé une seule fois en 2008 alors auteur des musiques de plusieurs films cette année là (LES FEMMES DE l'OMBRE, MR73, mais surtout AGATHE CLERY et MAX & CO). Une page semble s'être tournée dans l'histoire musicale du cinéma français et cela se confirme davantage encore en 2009.

En effet, depuis janvier et dans les prochains mois, des films français sont composés par des américains. C'est le cas de Nicolas Saada qui pour une raison de cinéphilie a fait appel à Cliff Martinez pour ESPION(S) après avoir en mémoire ses musiques chez Steven Soderbergh. Même si au départ ce choix faisait suite au retrait de Air du projet, il s'est avéré judicieux comme nous l'a signalé le réalisateur : "Cliff a apporté un regard anglo-saxon, ce que le film est un peu car il se passe en partie à Londres."

C'est sans doute aussi pour une raison de genre à l'américaine (le polar) que Klaus Badelt s'est retrouvé sur le film POUR ELLE, même si l'approche du genre est différente, plus intimiste, donnant au compositeur de PIRATE DES CARAÏBES l'occasion de se renouveler (occasion qu'il ne saisit qu'à moitié car nous reconnaissons ses tics dramatiques, ce qui permet de douter de la pertinence d'un tel choix de musicien). Egalement surprenant et douteux la présence de Klaus Badelt au générique du PETIT NICOLAS de Laurent Tirard, car à la vision de cette comédie adaptée de la célèbre BD, nous retenons une musique très hétérogène, passant du jazz manouche enjoué à un piano seul mélancolique, et quelques cordes thématiques, comme si plusieurs compositeurs avaient travaillé au service de chaque séquence. Cela nous invite à dire que la convocation d'un compositeur hollywoodien est aussi la convocation d'une méthode à l'américaine où le compositeur délègue davantage et est moins regardant sur son intégrité de musicien. Le réalisateur français se retrouve ainsi moins en rivalité avec un autre auteur (celui de la musique) et se trouve apaisé d'avoir à son service un compositeur clef en main. C'est une raison compréhensive mais qui met en péril la création musicale et l'audace.
Klaus Badelt s'est défendu dans nos colonnes : "J’ai mis en place une façon de travailler que j’affectionne particulièrement et j’ai essayé de le faire sans imposer le système américain, car avant toute chose, un film est un film, il est unique. Mais votre personnalité ne doit pas non plus empiéter sur la manière de voir du réalisateur ou des producteurs, il faut trouver le bon compromis. C’est pour ça que j’ai beaucoup aimé travaillé à Paris." La musique de film serait-elle une affaire de compromission ? C'est un autre débat.

Pour revenir sur Cliff Martinez, nous pouvons mentionner sa musique pour le nouveau film de Xavier Gianolli A L'ORIGINE présenté en compétition à Cannes, qui rompt une collaboration du réalisateur avec Alexandre Desplat. Sans rien enlever à la qualité de sa partition, c'est peut-être l'aspect le plus regrettable, lorsque le compositeur américain motive des cinéastes assoiffés d'exotisme à rompre une riche collaboration. C'est le cas de Christian Carion qui s'est tourné vers Clint Mansell pour l'AFFAIRE FAREWELL après deux films mis en musique par Philippe Rombi. De ce fait, peut-il exister en France des tandems dignes de ceux de Williams/Spielberg, Morricone/Leone, Rota/Fellini, Shyamalan/Howard lorsque le réalisateur ne favorise pas une telle collaboration sur le long terme. C'est peut-être Patrice Leconte (qui collabora avec Michael Nyman et bientôt Philip Glass) qui justifia malgré lui cette tendance lorsqu'il affirma dans nos colonnes "Autant on peut travailler toujours avec la même monteuse, autant je ne crois pas qu'un compositeur puisse faire toutes les musiques".

Mais loin de polémiquer (une bonne chose peut émerger de cet échange de sensibilité), une simple tendance est signalée. Et pour finir, on peut repérer que cela se produit chez des réalisateurs "auteurs" indépendants par ailleurs talentueux (c'est le cas de Tavernier, Gianolli, Carion, Saada, Richet), affirmant une certaine esthétique française, alors que dans des écuries plus formatés à l'américaine (chez Luc Besson par exemple), des compositeurs français sont convoqués pour faire une musique à l'américaine, sans véritable identité. Même Alexandre Desplat sur LARGO WINCH livre une musique pastichant le John Powell de la saga BOURNE, ce qui évite un certain manichéisme dans la reflexion émanant du sujet ici évoqué. Etrange paradoxe qui permet  de méditer sur l'impossible méthode miracle. Reste le seul désir d'un cinéaste de se faire plaisir.

Benoit Basirico

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