"Steven Soderbergh m'a demandé de me débarrasser des mélodies"
Cinezik : Votre parcours a commencé avec le groupe Red Hot Chili Peppers, comme batteur. Y a t-il un lien entre cette carrière de batteur et votre travail au cinéma ?
C.M : C'est mon histoire, mon enfance, la batterie. A un certain moment, je n'aimais plus le son des percussions et j'ai décidé d'arrêter. Je les utilise très peu de toute façon et la plupart de mes créations avec Steven Soderbergh sont volontairement peu rythmées. Il n'y a vraiment pas beaucoup de connexions entre mon passé de rockeur et mon travail de compositeur de musique de films, ce sont vraiment deux choses différentes. De plus, je n'ai pas beaucoup l'opportunité de choisir des projets, la plupart du temps on me choisit. J'aimerais que ça se passe autrement. La plupart du temps j'essaye de choisir quelque chose de différent du travail précédent auquel je peux apporter une contribution originale. Il y a beaucoup de raisons de travailler sur un film : d'abord développer une relation forte avec le public.
La musique implique une modestie chez le compositeur, qui ne fait pas son oeuvre personnelle ?
C.M : C'est une qualité. Quand on travaille en groupe, il faut avoir un égo prêt à encaisser que votre musique soit triturée. Lorsque le réalisateur écoute deux notes de cette partition magnifique que vous avez composée, et vous dit, "c'est mauvais", il faut encaisser comme si votre fille de dix-huit ans vous apprenait qu'elle se marie avec un drogué alcoolique : on laisse faire. On a fait de notre mieux mais il y a des moments où il faut savoir se détacher. Il faut être passionné en composant puis se détacher. Mais j'ai peut-être abusé en parlant de drogués... !!
Etes-vous entouré de collaborateurs lorsque vous composez ?
C.M : J'aime travailler avec d'autres personnes, même si au début je travaillais seul. Maintenant, je collabore souvent avec d'autres personnes. Pour que ce soit plus sympa, pour rendre le travail à temps, pour m'aider à trouver des idées quand je manque d'inspiration. Au début je jouais dans un groupe de rock et en passant à la musique de films, j'espérais pouvoir travailler uniquement par moi-même. Et après quelques années, j'ai réalisé qu'il y avait une certaine énergie qui se créée quand on travaille avec quelqu'un qui n'existe pas lorsqu'on est seul. Parfois, j'aime tout faire seul mais j'aime également travailler avec d'autres, particulièrement pour les exercices où je ne me sens pas très fort, comme pour l'orchestre, qui ne fait pas partie de mon apprentissage. Du coup, lorsque je dois travailler sur une musique d'orchestre, je collabore toujours avec un spécialiste qui saura mieux avancer que moi. Quand on travaille avec des musiciens, et qu'on ne joue plus vraiment d'un instrument, même si je joue un peu de guitare ou de clavier, c'est beaucoup plus drôle.
Pour SPRING BREAKERS, vous avez collaboré avec Skrillex...
C.M : Oui. Le film est réparti en différentes sections, et chacun avait sa partie. A chaque fois, il s'occupait de la musique rythmique, tandis que je m'occupais de la musique plus psychologique. Il y a quelques morceaux sur lesquels on a travaillé ensemble.
Quel est votre rapport avec la musique électronique dans votre travail ?
M.C : J'ai été intéressé par la musique de film à cause de ma fascination pour la musique électronique à la fin des années 80. J'ai commencé dans l'industrie de la musique en tant que batteur dans le rock and roll, puis je suis tombé amoureux des séquenceurs, échantillonneurs et boites à rythme. Tous les gadgets de cette période m'ont incité à créer de la musique d'une façon complètement différente. Et plutôt que d'écrire des chansons pour la radio, je trouvais la façon dont les ordinateurs influençaient la création musicale plus apprêtée aux films et à la télévision. Mon premier travail en tant que compositeur était pour un épisode de "Pee Wee's Playhouse". C'était probablement l'une des plus étranges musiques que j'ai écrite, et je suis accroc depuis.
Comment envisagez-vous le mix entre l’orchestral et l’électronique qui fait votre signature ?
C.M : Cela varie de projets en projets. Quand le budget permet de travailler avec un orchestre, ma préférence est d’essayer d’avoir un équilibre entre l’électronique et le son organique. Je possède plein de caractéristiques dans ma boîte à outils, le Cristal Baschet, Steel Drums, gamelans, guitares d’ambiance.
Que pensez-vous des maquettes sensées imiter l'orchestre, et destinées à communiquer ses idées en amont ?
C.M : Je ne suis pas un compositeur orchestral, je travaille avec les samples électroniques la plupart du temps. Donc les "démos" sont vraiment très proches du son final. C'est seulement avec un orchestre qu'il y a une grande chance de tout faire synthétiquement et ensuite jouer la partition par l'orchestre. La technologie d'ajourd'hui est vraiment excellente pour avoir un résultat similaire à ce qu'un véritable orchestre réalisera. Donc ce n'est pas si choquant, les démos sont des préparations pour le projet final. J'ai trouvé que les démos faites pour "A l'origine" étaient si bonnes que j'étais presque nerveux à l'idée que les producteurs qui entendraient la version orchestrale la trouve moins bonne car un peu différente ! La démo ne devrait pas sonner si bien pour qu'ils soient plutôt impressionnées par l'orchestre. Les démos électroniques en sont presque effrayantes, elles sont si réalistes pour moi, du moins à cause de la façon dont j'écris, on peut être très proches.
Aujourd'hui, la tendance de la musique de film tend à privilégier les textures, les ambiances, au détriment des thèmes, des mélodies. Vous êtes ainsi dans l'actualité avec votre musique...
C.M : Cela n'est pas de ma responsabilité. Beaucoup de réalisateurs avec qui j'ai travaillé n'ont pas une attitude très positive concernant les mélodies. De mon point de vue, c'est parce que la mélodie met plus l'accent sur la musique, attire toute l'attention sur elle, et distrait les images. Quand j'ai commencé à travailler avec Steven Soderbergh, il me demandait ce qu'était cette chose par dessus : c'était la mélodie, et il m'a demandé de m'en débarrasser. Le minimalisme était son approche personnelle pour composer la musique d’un film. Je suis en grande partie d’accord. Cela laisse au public une plus grande opportunité de s’approprier le film. "Less is more". Ne pas utiliser la musique pour en raconter trop sur l’histoire. C'est ainsi que j'ai développé mon style, on m'a privé de la mélodie dans beaucoup de films donc aujourd'hui je me concentre davantage sur le développement des textures. Steven n'est pas le seul à penser de cette façon-là. Si vous devez écrire une scène de trois minutes avec une seule note, cette note a intérêt à être très intéressante.
Malgré tout, je considère les thèmes comme étant prédominants dans l’importance d’un film. Et j’ai également une affinité pour les mélodies même si ça ne se reflète pas dans mon travail. Je pense qu’en quelque sorte, ce qui est arrivé à l’évolution de la mélodie dans la plupart des films modernes est tragique. Je peux comprendre que certains réalisateurs s’opposent à l’utilisation de la mélodie car c’est un élément flagrant et cela peut trop attirer l’attention du public, mais la mélodie est aussi le composant musical qui a le plus de potentiel émotionnel. Jusqu’au jour où les gens sortiront du cinéma en sifflant un rythme de batterie, ca sera toujours le cas.
Quelle place joue la musique pour vous sur l’histoire d’un film ou de ses personnages ?
C.M : Comme les acteurs, le compositeur peut se voir donner un rôle majeur, crucial ou mineur, ou un second rôle. Parfois, il arrive qu’on me demande simplement d’apporter de l’énergie et du style à une histoire, sans utiliser la musique comme commentaire dramatique. Dans l’extrême inverse, un compositeur peut être appelé à devenir le cœur et l’âme du film afin de diriger l’audience vers des réactions et interprétations spécifiques tout au long du film. Dans certains cas, la musique peut aussi raconter une histoire, ou du moins exprimer un aspect qui ne peut être exprimé par les mots ou l’image.
Où puisez vous votre inspiration ? En lisant le scénario ou en regardant les rushes ?
C.M : J’essaie généralement d’éviter de commencer à travailler s’il n’y a pas d’images à regarder. Essayer d’écrire avec seulement le script s’est avéré être inefficace pour moi.
Que pensez-vous du Temp Track, ces musiques temporaires utilisées par les réalisateurs ?
C.M : C'est continuellement que je dois faire face à des réalisateurs qui n'ont pas le temps avec la musique. Certains compositeurs détestent, personnellement, ça ne me dérange pas. Quand un réalisateur t'engage, c'est pour un son qu'ils ont entendu (sur Solaris par exemple) et c'est parfois dur de proposer autre chose. C'est finalement intéressant de voir que je peux échouer à m'imiter, c'est difficile, car je ne sais plus forcément comment j'ai fait...
Quelles sont vos influences, vos goûts musicaux ?
C.M : Mon homme préféré depuis ces dernières années est Louis Amstrong, c'est vraiment mon préféré... Debussy... des compositeurs symphoniques ... des compositeurs de films comme Harry Gregson-Williams et Thomas Newman... Pour les plus vieux, j'aime Bernard Herrmann, je trouve qu'il est un minimaliste original. J'ai grandi avec le rock'n roll, donc il y a les Beatles, Jimi Hendrix, Led Zeppelin, et Black Sabbath, ils m'ont inspiré, m'ont donné envie de faire de la musique, je suis un enfant du rock'n roll. Le rock de tous les styles et de toutes les couleurs est celui qui a forgé ma passion pour la musique. Cependant, je ne sais pas quelle est la part de cette influence aujourd’hui quand je compose.
Comment s'est faite la rencontre avec Steven Soderbergh ?
C.M : J'ai rencontré Steven Soderbergh à Cannes. J'étais en train de composer ma première musique pour un film dans un mélange entre le sound-design et la musique, ce n'était pas juste de la musique. Steven Soderbergh était alors le colocataire de mon patron à l'époque, et avant même que l'on se soit rencontré il est entré dans la pièce et m'a donné des indications sur la musique. Je me demandais qui il était, un musicien ou autre… Il a vraiment un très bon instinct pour mettre de la musique sur des images. C'est comme ça que l'on s'est rencontré et c'est ce jour-là qu'il m'a demandé de faire la musique de SEXE, MENSONGES ET VIDEO. Ma signature musicale a été façonnée grâce à sa singulière vision à faire un film.
Steven Soderbergh aime la musique au point de faire une comédie musicale (MA VIE AVEC LIBERACE). Dans votre collaboration, vous faisait-il écouter de la musique ?
C.M : Oui, SEXE, MENSONGES ET VIDEO avait une musique de Brian Eno dessus, ce qui était ma première inspiration. C'est la première chose dont on a commencé à parler.
Comment expliquez vous que des réalisateurs français aient fait appel à vous ?
C.M : Souvent de jeunes compositeurs me demandent « comment je suis rentré dans le business ? ». La seule réponse que j’ai en stock est de hausser les épaules et de murmurer un truc incohérent. La plupart de mes plus grandes percées ressemblent au fait d’avoir trébuché dans le noir avant de tomber dans le bon trou. Je n’avais aucune connaissance de Nicolas Saada, mais lui en revanche connaissait mon travail et a pensé que j’étais le bon choix pour ESPION(S). Et aujourd’hui je compte ce projet comme un de mes préférés ! Nicolas a ensuite eu une conversation avec Xavier Giannoli à propos de son expérience avec moi et Xavier m’a tout de suite engagé.
Parlez nous de votre expérience avec Nicolas Saada sur ESPION(S)…
C.M : J’avais mes réserves au début à cause des différences de culture et de langage. Mais aucuns des deux n’a été un problème. Même si je ne parle pas français, l’anglais de Nicolas était plus que satisfaisant malgré ses excuses constantes et nous avons tous les deux une grande reconnaissance envers Skype, que nous avons utilisé tous les jours pour communiquer. Nicolas était toujours tout frais et éveillé étant donné le décalage horaire, alors que moi j’étais prêt à me coucher. Cette relation de travail s’est avérée être une des plus étroites que je n’ai jamais eu avec un réalisateur grâce aux nouvelles technologies.
Le réalisateur a aussi mis du Temp Track avec votre propre musique. Est ce le risque de vous imiter vous même ?
C.M : Du point de vue d’un réalisateur je ne pense pas que ça soit un problème. Ils vous engage parce qu’il aime quelque chose que vous avez déjà fait et ils se foutent de la répétition. Artistiquement, je ne préfère pas me placer en modèle. Généralement je suis un imitateur incompétent sauf quand il s’agit de me faire mousser. J’aime penser que mes musiques les plus intéressantes ont été quand j’ai essayé d’imiter quelqu’un d’autre et j’ai toujours échoué d’une manière intéressante.
A quel moment êtes-vous intervenu sur A L ORIGINE ?
C.M : J’ai été amené sur le projet après que le film ait été tourné et le réalisateur avait déjà terminé son premier montage. Cela a souvent été le cas sur la plupart des films sur lesquels j’ai travaillé.
Que pensez vous de cette urgence de dernière minute ?
C.M : J’étais ravi de faire la musique de A L ORIGINE. Je l’étais moins quand j’ai su que j’avais très peu de temps pour la réaliser. Néanmoins, j’ai survécu avec un minimum de chute de cheveux. Je suis très fier du film et de ma contribution.
Quelles ont été vos premières intentions musicales ?
C.M : Généralement, je gaspille beaucoup de temps sur le choix des instruments. Dans le cas de A L ORIGINE, le choix a été simple : le score a été dominé par le son d’un orchestre à cordes, mais je voulais faire les choses de la manière la plus compliquée possible pour perdre le plus de calories avant de m’autoriser à me reposer avec cette simple palette.
Quelle a été la relation avec Giannoli ? Quelles étaient ses intentions, ses mots ?
C.M : Xavier Giannoli a été l’ingrédient clé du succès de ce score. Dans les 24 heures qui ont suivi la signature du deal, Xavier m’a envoyé pas moins de 74 Quick Time vidéos qui décrivaient sa vision du film et ses pensées sur le rôle de la musique. Et il ne faisait que s’échauffer ! Pendant le process, son inspiration et ses conseils étaient continus et acharnés. Sans même s’être rencontrés en chair et en os, il me parlait pendant des heures sur Skype pour expérimenter et sculpter la musique avec la précision d’un chirurgien. Pendant ce temps, les livraisons par Amazon des films de Godard s’entassaient devant ma porte. Il est tenace et sa créativité et son enthousiasme ont permis au score d’être ce qu’il est aujourd’hui.
Comment avez-vous vécu la cérémonie des César (lors de la nomination pour "À l'origine") ?
C.M : Après les César, j'étais épuisé. Je suis resté assis plus de trois heures et je ne parle pas du tout français... La prochaine fois que je viendrai, il faudra que je connaisse quelques mots. Mais je n'avais aucune idée de ce qui se passait. La seule chose que j'ai comprise fut "Cliff Martinez" et le discours de Harisson Ford. Je n'avais jamais passé autant de temps assis à ne comprendre absolument rien. Mais c'est un très grand honneur d'être nommé. Je n'avais jamais eu ce genre de reconnaissance depuis toutes ces années à Hollywood. J'ai composé deux fois, et j'ai été nommé les deux fois donc c'était vraiment un moment excitant pour moi. J'étais surtout terrifié que je puisse gagner et d'être obligé de monter sur scène et chercher mon prix, parler devant la foule... en anglais. C'était vraiment un moment intense.
Connaissiez-vous déjà Alexandre Desplat, nommé avec vous ?
C.M : Alexandre Desplat est très connu aux Etats-Unis et je le sais. En revanche, je n'ai pas vu "Un Prophète", ni les autres films de la compétition d'ailleurs. Ce qui est bien finalement, je ne veux pas savoir qui me bat.
Connaissez-vous de manière générale le travail des compositeurs français ? Pensez vous qu’il existe une manière française de composer pour un film ?
C.M : Non et je suis trop peu informé pour faire des observations sur les musiques de films françaises. Xavier a essayé de me donner des cours de cinéma français pendant le temps libre que j’avais mais rien n’a été retenu par mon cerveau poreux. J’ai beaucoup appris avec Nicolas et Xavier mais jusqu’à ce que je trouve plus de temps pour m’immerger dans les films français, j’ai choisi d’utiliser mon ignorance comme une arme et j’espère amener quelque chose de nouveau, de frais et d’inattendu à l’abondant héritage du cinéma français.
Quelles sont les différences entre votre travail aux Etats Unis et celui avec la France ?
C.M : Je suis trop proche de mon travail pour faire cette différence objectivement. Ce serait comme essayer de décrire la Tour Eiffel en ayant le nez devant. Mais si je devais répondre à cette question avec une arme sur la tempe, je dirais que la différence la plus intéressante serait le contexte. Je reste le même mais ces deux films ont été très différents de tout ce que j’ai fait auparavant. Presque comme apprendre à un ours de faire des claquettes pour qu’il joue au Carnegie Hall.
Travailler avec des réalisateurs français est-ce différent que de travailler avec les américains ?
C.M : C'est différent. J'ai ressenti un rapport différent avec Nicolas Saada et Xavier Gianolli que je pourrais décrire par son côté français, parce que je ne trouve pas d'autres mots pour décrire cette sensation. J'ai trouvé que les deux réalisateurs avaient une approche similaire par rapport aux personnages, qui étaient plutôt peu expressifs. Ils voulaient donc que la musique soit à l'image de cette restriction également, qu'elle ne prenne pas trop de place sur le plan dramatique. Mais je ne saurais pas vraiment établir de généralité sur les différences entre réalisateurs français et américains. Les films sont uniques et ont une énergie très spéciale qui m'a fait penser qu'ils ne seraient jamais populaire en Amérique. Ils sont trop lents, trop intelligents, et ils offrent trop la possibilité au public de tirer ses propres conclusions. Mais ils ont tous les deux été mes meilleures expériences je pense.
Votre musique avait déja un esprit européen dans votre travail avec Soderbergh...
C.M : Je ne l'avais pas réalisé à l'époque, mais Steven est sans doute très influencé par le cinéma européen, pas spécialement français mais des films étrangers d'une certaine façon. Je vois des similarités. D'ailleurs mes réactions en voyant Sexe, mensonges et vidéo a été semblable à celles ressenties en voyant A l'origine ou Espion(s). Ce sont des bons films. Je me demandais quel serait l'impact sur le public, j'imaginais qu'il serait assez restreint et j'ai été très surpris car ils se sont avérés être très populaires mais pas en tant que films commerciaux. Ils permettent au public de penser, de s'impliquer, de tirer leurs propres conclusions et de réfléchir eux-mêmes sur le propos du film. Sexe, mensonges et vidéo est un film tout à fait ambigu. Pour moi c'est ce qui allait le rendre impopulaire alors qu'il fut un succès. Pour les films dont on parlait, j'ai pensé la même chose à tord. C'est soit ça, ou alors le public français est plus intelligent que le public américain, mais ne répétez pas ce que je viens de dire...
Pourquoi Nicolas Winding Refn a fait appel à vous pour DRIVE ?
C.M : C'est une plus longue histoire. J'ai fait une vidéo promotionnelle que Nicolas avait vu et c'est ainsi qu'il m'a connu, il était intrigué. Il n'a jamais mentionné Steven Soderbergh ou mes autres B.O. Je n'ai eu sur DRIVE que cinq semaines pour faire la musique. Le film était presque terminé, ils avaient même le générique de fin. Et je me souviens avoir lu sur ce générique que la musique était composée par Angelo Badalamenti, j'ai donc dit à Nicolas qu'il avait sûrement dû mal écrire mon nom. (rires)
Affectionnez-vous le genre du polar ?
C.M : Ce sont surtout les réalisateurs qui viennent me chercher pour cela. J'aimerais être en position de pouvoir choisir les projets sur lesquels je travaille, mais cela va dans l'autre sens, c'est eux qui me choisissent. Et concernant les polars, je suis choisi comme le prince des ténèbres.
A quel moment avez-vous composé la musique de DRIVE ?
C.M : Le film était presque fini lorsque j'ai commencé à travailler. Les musiques avaient été choisies, et Nicolas était clair et précis sur ce qu'il voulait pour la bande originale. Je puise mon inspiration des images plutôt que du scénario. Je suis comme un musicien de musique électronique moderne qui change les sons, les instruments, les logiciels... Donnez-moi un nouveau plug-in et du café, je serai de nouveau inspiré.
Quelles étaient les discussions avec le réalisateur Nicolas Winding Refn à propos de la musique ?
C.M : Je me souviens que la première chose que Nicolas m'a dite c'était : "J'ai toujours voulu faire un conte de fées sur Los Angeles". J'ai compris que, en dépit de toute l'action et la violence dans le film, le rôle de la musique serait de mettre un accent plus doux, des aspects romantiques. J'ai aussi beaucoup marqué la brutalité, le spectaculaire, mais j'ai toujours essayé d'utiliser la musique pour intensifier ce contraste entre la beauté et l'obscurité. Il y a une qualité poétique dans DRIVE, dans sa représentation de Los Angeles et dans son héros qui veut juste être un être humain normal. Cela a été une grosse partie du film que Nicolas a voulu faire ressortir à travers la musique.
Aviez-vous connaissance des musiques pré-existantes (Kavinski, Chromatics...) lors de l'écriture de la musique ? Comment votre musique contribue à l'homogénéité de la bande originale ?
C.M : Oui, les musiques étaient déjà dans le montage du film quand j'ai intégré le projet et on m'a assuré qu'elles seraient dans la version finale aussi. Dans le passé, du moins pour moi, les chansons et la partition prennent leur propre chemin stylistique séparé. Mais le style pop avec le synthé des années 80 semblait être un élément essentiel du film et Nicolas aimait ce son, il voulait qu'il soit référencé dans le film. Je n'ai pas essayé d'en faire quelque chose de très présent mais j'ai juste placé stratégiquement quelques synthés vintage ici et là, et cela a aidé à unifier le score et les chansons.
Votre partition est un contrepoint au rythme effréné de la voiture de course...
C.M : Oui, dans DRIVE, c'est comme si la musique était une réponse à une séquence d'action plutôt qu'elle ne s'incruste dans les séquences. Comme pour la scène de l'ascenseur, la musique précède et met en place la scène d'action. C'est bien, je trouve. La musique des séquences d'action est souvent moins travaillée parce qu'elle se perd dans tous les effets sonores. Je pense que le prélude et la suite sont souvent les meilleures voies à suivre pour le type de films auxquels j'ai travaillé, et c'était certainement le meilleur choix pour DRIVE.
Le film est aussi une romance. Comment avez vous souligné l'histoire d'amour ?
C.M : Divers éléments ont été mis en place pour créer l'idée d'un thème d'amour, avec une saveur religieuse. Nicolas a fait plusieurs fois référence à la religion tout au long de notre collaboration, et l'une des références était le célèbre "Ascent" de Brian Eno qui résonne comme un hymne. Cette musique a été utilisée dans de nombreux films, et elle tournait déjà dans ma tête puisqu'en 1989 Steven Soderbergh l'utilisait pour clore SEX MENSONGES ET VIDEO. J'étais donc prêt pour cela. J'ai étudié quelques chorales pour avoir une idée de comment elles étaient construites et j'ai écrit une partition que j'ai jouée et enregistrée avec un "cristal Baschet", un instrument acoustique expérimental où il faut jouer avec les doigts sur des tiges de verre humidifiées. Cela marchait étonnamment bien avec tous les moments romantiques.
Quelles étaient vos références musicales ?
C.M : Définitivement Tangerine Dream, mais aussi Kraftwerk dont je suis un grand fan. Et bien sûr Brian Eno, le parrain de la musique ambiante.
Quelles émotions avez-vous voulu faire ressentir à travers votre musique ?
C.M : L'amour, la haine, la peur, le désespoir, la joie, la revanche, et une violence à l'image d'une fourchette pointée dans le globe oculaire de quelqu'un.
ONLY GOD FORGIVES est beaucoup plus sombre que le film précédent de Nicolas Winding Refn. On a aussi l'impression qu'il s'agit d'un anti-DRIVE. Etait-ce l'intention pour la musique également ?
C.M : En effet, je pense. Nicolas a souvent évoqué ce film comme "un film d'horreur". Il voulait que la musique paraisse plus comme une bande son d'un film d'horreur. Il n'y a pas comme dans DRIVE ce psychopathe qu'on a envie d'aimer avec des valeurs familiales. Il n'y a pas du tout de romance.
Quelle était l'intention musicale pour ONLY GOD FORGIVES ?
C.M : Refn a fait référence au film THE DAY THE EARTH STOOD STILL (1954, musique de Bernard Herrmann). Il voulait une musique de science-fiction. Je pensais que ce n'était pas possible pour moi de faire exactement la même chose que Herrmann. Donc j'espère avoir échoué dans cette imitation d'une manière intéressante. Contrairement à DRIVE, il m'a appelé cette fois-ci à l'étape du scénario. Pour DRIVE je pense qu'au départ Nicolas ne voulait pas de musique originale mais uniquement des chansons pré-existantes. Puis on est devenu amis, et il a su qu'il me voulait pour son prochain film.
Qu'est-ce qui vous a inspiré pour la musique de ONLY GOD FORGIVES ? Le scénario ou les images ?
C.M : Regarder les images du film m'a beaucoup inspiré mais c'est aussi discuter avec le réalisateur. Nicolas a beaucoup d'idées, et j'en ai quelques-unes moi-même. Mon idée était d'essayer de combiner la musique des années 50 de Bernard Herrmann et les chansons Thaïlandaises. Avec un peu de Kraftwerk, de Philip Glass, et de Wagner aussi.
Dans le disque de ONLY GOD FORGIVES, disponible, on peut lire dans le tracklist le nom de Grégory Tripi, qui est cette personne ?
C.M : Grégory Tripi (ainsi que Mac Quayle) sont deux personnes qui vivent en Californie près de là où j'habite. Ce sont des musiciens avec qui j'ai collaboré sur mes douze derniers films et avec lesquels j'écris mes musiques.
C'est un moyen, après avoir quitté les Red Hot Chili Peppers, de retrouver un groupe ?
C.M : Oui, je suis parti des Red Hot Chili Peppers parce que je ne supportais plus de travailler avec certaines personnes. Après 25 ans de solitude, j'ai décidé de re-travailler avec des humains, et cela apporte beaucoup à ma musique.
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