Interview Arthur Harari & Olivier Marguerit (DIAMANT NOIR) : « la musique est devenue indispensable pour l'identité lyrique du film. »

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Propos recueillis à Paris le 6 juin 2016 par Benoit Basirico - Publié le 08-06-2016




Avec DIAMANT NOIR (en salles le 8 juin 2016), thriller singulier et fascinant, premier film de Arthur Harari, Olivier Marguerit (multi-instrumentiste au sein de Syd Matters, puis un premier album solo en février 2016) signe sa première BO solo pour un long-métrage avec une partition au lyrisme baroque qui rappelle le Pino Donaggio de De Palma (Dressed to Kill) et une touche allemande (Peer Raben chez Fassbinder) par son sens du romanesque noir. Cette musique est en totale cohérence avec un film au travail formel très prononcé. Rencontre dans le cadre de la participation mensuelle de Cinezik à l'émission "Vive le cinéma" de Aligre FM.

 Ecoutez l'interview au sein de l'émission de radio :

Cinezik : Arthur Harari (à gauche sur la photo), quel a été votre désir initial pour votre premier long-métrage DIAMANT NOIR, l'histoire de cette vengeance au sein d'une famille de diamantaires belges, ou le projet formel associé au film noir ?

Arthur Harari : Ce qui me rattache au cinéma depuis que je suis enfant, c'est comment raconter une histoire. Et plus je fais de films (que ce soit les courts, moyens ou longs métrages), plus l'entremêlement du récit et du travail formel, jusqu'au décrochage parfois assez fort avec le réalisme, m'intéresse. La musique va dans ce sens. C'est la première fois que je faisais appel à quelqu'un pour composer une musique. J'ai maintenant la sensation que la musique est vraiment un pilier puissant pour faire basculer le film du côté de l'imaginaire.

Comment avez-vous choisi Olivier Marguerit pour cette tâche d'une composition musicale originale ?

A.H : Je connais Olivier par l'intermédiaire de ma meilleure amie Shanti Masud, réalisatrice qui est aussi sa compagne. Par ailleurs je connaissais sa musique, qui est au final très différente de ce qu'il a écrit pour DIAMANT NOIR, mais son talent est tel que j'avais l'impression qu'il pouvait me proposer tout ce que j'aurais pu lui demander. Il a une telle virtuosité et ouverture que cette collaboration me semblait évidente.

Quelle a été l'intention de départ pour la musique de DIAMANT NOIR ?

Olivier Marguerit : On est parti d'un thème qu'Arthur avait au moment de l'écriture, un thème qu'il m'a transmis en le sifflant. Il avait envie de partir de cette matière là. C'était pour lui l'identité musicale du film. On a même évoqué au début le fait qu'il n'y aurait que ça, très peu de musique avec peut-être deux fois le thème. Je suis donc parti là-dessus. Je voulais qu'il y ait une instrumentation très précise qui tienne pendant tout le film. Je voulais que ce soit très cohérent d'un point de vue musical, dans les sons qu'on allait utiliser. Un des premiers enjeux pour moi était de proposer à Arthur des couleurs d'instruments. On a parlé de la flûte, du violon et des cuivres, des instruments qui me tenaient à cœur. On a fait des essais comme cela. Au fur et à mesure que je faisais l'instrumentation de ce thème, des contre-champs naissaient et devenaient des seconds thèmes qui plaisaient à Arthur. En parallèle du montage, on s'est rendu compte qu'il y avait besoin de plus de musique par rapport à ce qui était prévu. Du coup, toute une musique est née et s'est écrite en même temps que le montage. J'ai l'impression d'avoir composé cette musique en même temps que le film se faisait. J'ai vraiment eu l'impression de faire partie du processus. C'était très agréable.

A.H : J'avais ce thème en tête pendant deux ans, en écrivant, et il fonctionnait comme un leitmotiv obsessionnel. Il me semblait la parfaite incarnation de l'obsession qui traverse le film.

Il s'agit de votre première collaboration avec un compositeur. Quel est votre rapport à la musique de film ?

A.H : J'étais assez réticent d'aller du côté de la véritable composition. Comme beaucoup de réalisateurs, j'ai une appréhension à aller du côté de la musique de film, parce que ce serait trop potentiellement vulgaire d'indiquer les émotions, de venir plaquer quelque chose sur les images. Mais petit à petit pour DIAMANT NOIR la musique est devenue indispensable pour l'identité lyrique du film, car le film a par ailleurs une ambition d'être lyrique. Et ce que Olivier développait me plaisait tellement, un monde se créait de ce côté là, on a ouvert les vannes. C'est un film noir donc si on allait pas dans ces endroits risqués, j'aurais eu l'impression de rater quelque chose. Mais c'est vrai que j'étais plutôt jusque-là du côté de la raréfaction absolue ou alors de la musique intégrée à l'action. J'ai toujours eu des musiques dans mes films mais souvent des morceaux existants joués en direct ou chantés. Je me rends compte que dans tous les films que j'ai faits il y a un personnage qui chante une chanson.

Dans votre court-métrage PEINE PERDUE (2013), c'est Bertrand Belin qui chante...

A.H : PEINE PERDUE est une sorte de pont, puisque la chanson de Bertrand existait déjà, mais je lui ai fait rajouter un prénom dans les paroles. C'était ainsi une première intervention de ma part, même si on ne peut pas dire qu'il ait composée pour le film. En dehors de cette chanson, il y a un thème composé par Telemann que j'ai pris sur YouTube, un thème à la flûte assez magnifique. J'aime bien la flûte, j'aime bien les instruments qui sont comme des voix.

Dans DIAMANT NOIR, il était aussi prévu au départ une musique existante pour la fin du film, un titre de Gluck, qui au final a été remplacé par la musique originale...

O.M : Même dans le scénario original et dans la première version du montage, il y avait ce morceau de Gluck qui finissait le film. Lors des premières projections tests, il a été émis l'idée que ce morceau cassait l'unité musicale. Arthur m'a donc proposé de composer quelque chose, ce qui était assez ambitieux. J'avais assez bien défini la musique du film à ce moment-là, il y avait une couleur, et je ne savais pas comment à la fois retrouver les émotions du morceau de Gluck et à la fois reprendre les éléments mélodiques instrumentaux qu'on avait déjà définis. J'ai cherché assez longtemps. J'ai donc essayé de reprendre des thèmes que l'on avait entendus tout en apportant une certaine nouveauté, notamment avec une guitare acoustique que je n'avais pas encore utilisée et qui fait le socle du morceau final. On retrouve aussi les trois instruments solistes qu'on a entendus pendant le film (la trompette, la flute, et le violon), qui se mêlent en reprenant des bouts de thèmes et qui finissent par se mélanger ensemble et terminer à l'unisson. C'était pour moi une façon de clore le film. J'aimais bien l'idée que ces trois instruments puissent raconter une histoire et se retrouver ensemble à la fin pour sortir du film.

Le thème entêtant est associé à cette soif de vengeance du personnage (incarné par Niels Schneider), on peut dire qu'il s'agit de la musique du personnage ?

A.H : Le film entier est une plongée subjective dans un monde au travers le regard et l'imaginaire assez problématique du personnage principal. On peut considérer que le film entier se passe dans sa tête, que le réel passe par le filtre de son regard et de ses affects. La musique est donc dans sa tête, de la même manière qu'elle était dans la mienne quand j'écrivais.
C'était une manière pour moi très simple d'essayer de fusionner avec la subjectivité du personnage. C'est émouvant quand une approche au départ très solitaire et assez intime est proposée ensuite à des gens qui s'en emparent, des gens que l'on ne connaît pas forcément si bien que cela. C'est quelque chose d'assez beau de partager une chose au départ très intérieure pour un film qui est aussi une expérience intérieure.

Olivier, qu'est-ce qui vous a amené à composer pour le cinéma ?

O.M : Je suis arrivé à faire des musiques de films naturellement, d'autant que j'en avais déjà faites avec Syd Matters (LA QUESTION HUMAINE de Nicolas Klotz, 2007). Puis il y a eu des expériences sur d'autres projets comme ceux de Shanti Masud. Le cinéma me suit depuis très longtemps. J'ai fait un bac audiovisuel, j'ai réalisé moi-même un film à ce moment-là. J'ai toujours eu l'impression que les films et la musique cohabitaient dans ma vie. Mais DIAMANT NOIR est malgré tout ma première expérience aussi riche sur un film, parce que c'est un long-métrage ambitieux, dans une volonté de faire une musique forte.

À propos de Shanti Masud, vous avez signé la musique de son dernier film JEUNESSE présenté au festival du court-métrage de Pantin (Côté Court, du 15 au 25 juin 2016) , tout comme LE DIEU BIGORNE de Benjamin Papin (présenté à Pantin après avoir obtenu le prix du jury au Festival de Brive )... pour lequel vous avez composé une musique d'ouverture étonnante...

O.M : Benjamin est un ami d'Arthur, on s'est rencontré ainsi, et il avait entendu la musique de DIAMANT NOIR. Il voulait faire une ouverture assez monumentale, sur un plan fixe de forêt, pour ensuite aller sur un récit plus naturaliste. Il aimait cette idée de choc, d'interroger dés la première image le spectateur pour ensuite le perdre en repartant de zéro. Il voulait un chaos sonore, comme un hurlement.

Arthur, vous affectionnez le fait de faire appel à un compositeur qui vient de la scène... quel avantage pensez-vous en tirer par rapport à des musiciens qui seraient spécialisés par le travail à l'image ?

A.H : Le film étant co-produit par la Belgique, le co-producteur m'avait au début mis en contact avec un compositeur belge exclusivement dédié aux musiques de film, Raf Keunen (« Bullhead », 2011). Je l'ai rencontré, il était très emballé par le projet, je lui ai indiqué la même chose que pour Olivier. Notre rencontre s'est bien passée, mais quand il m'a envoyé ses premières propositions, mon thème n'était nulle part. Ce qu'il m'a envoyé était bien, très orchestral, mais il n'y avait pas de thème. J'ai essayé de lui dire délicatement que c'était un peu à côté de ce que je voulais, je voulais vraiment que mon thème soit au cœur du truc. On aurait très bien pu continuer mais j'ai senti que ses habitudes de musiciens de film très talentueux prenaient le pas sur l'écoute d'une sensibilité que je lui proposais. Il y a le risque de faire appel à quelqu'un dont on n'a pas encore entendu une musique de film de long-métrage, mais c'est ce risque-là qui m'intéresse, de donner une possibilité de singularité.

 

Propos recueillis à Paris le 6 juin 2016 par Benoit Basirico

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