Episodes précédents :
Interview : ROB évoque la flûte et percussions de sa BO pour GRAND CENTRAL
Interview Rebecca Zlotowski sur BELLE ÉPINE
Cinezik : Pour PLANÉTARIUM, à quel moment les premières idées musicales sont apparues ?
ROB : J'ai commencé à travailler dès le scénario, ce qui est toujours une chance évidemment. Je me souviens qu'en lisant le scénario j'ai eu des moments de peur. Il y avait des craquements dans la maison, la peur que les fantômes existent, et des moments de gènes qui résultent du fait qu'on ne sait pas vraiment ce qui est de l'ordre de la fiction ou de la réalité.
Rebecca Zlotowski : Je ne voulais pas aller vraiment dans le film de fantômes, mais c'est une inspiration dont tu avais assez envie... Donc on retrouve un peu dans la musique ces éléments un peu "Carpates", avec des voix. On est partis très vite sur l'idée d'une chorale.
Ta musique pour mes films porte toujours une ambiguïté, une ambivalence. Elle est moderne et en même temps symphonique. Il y a de l'électro mais avec des instruments analogiques. Il n'y a pas qu'une couche. Mes scénarios laissent une grande place à l'énigmatique, donc la musique entre là-dedans. Elle s'insère dans ces espaces-là.
En quoi la musique joue avec l'époque du film, les années 30 ?
R.Z : La première chose que tu m'as dite en lisant le scénario c'est que dans mon film il y a l'équivalent de la période des années 30, on passe de quelque chose de très figuratif à l'abstrait. Et musicalement, c'est la bascule dans l'abstraction de Mozart à Schönberg. J'ai adoré cette idée de passer d'un champ de la représentation à un autre, c'est une période très riche pour ça.
Rob : C'est une période de transition. On essaie de détruire l'harmonie, de casser des codes, des règles esthétiques. C'est hyper inspirant. Ce n'était pas important de faire une musique d'époque, mais en revanche il était intéressant de penser aux fantasmes que l'on pouvait avoir de cette musique d'époque. Et Rebecca aborde l'aspect historique de façon très intime. Ce n'est pas une fresque. On est au plus proche des personnages. Il y a juste une chose que l'on ne maîtrise pas, cette étrangeté qui s'immisce dans chaque scène du film. Il y a quelque chose qui ne va pas, on ne l'identifie pas, on ne peut pas le chanter, mais quelque chose est là. Pour le reste on est avec les personnages.
Pour guider la musique originale, aviez-vous des musiques de références ?
R.Z : Je passais sur le plateau du Stravinsky. Tu m'avais envoyé "L'Oiseau de feu" (1945) qui correspond au début de l'ère moderne en musique, avec l'idée que l'on va quitter l'harmonie, la mélodie, et aller vers quelque chose de plus déconstruit.
Rob : Ce morceau était un peu une révélation pendant la fabrication du film. J'ai découvert ce titre et je te l'ai envoyé.
R.Z : J'ai filmé des scènes entières avec cette musique. Il y avait aussi des musiques de films de Riz Ortolani...
Rob : En effet, Riz Ortolani était une référence dès le début, pour "Cannibal Holocaust" notamment.
R.Z : Il y avait une inspiration un peu "Giallo", il y avait beaucoup d'Italie. Il y avait l'idée que dans la partition il y aurait du chant et de l'analogique, pas de musique électronique, qu'on n'aurait pas peur d'aller chercher un orchestre symphonique, ce qui nous a amené d'ailleurs jusqu'aux Studios d'Abbey Road où vous avez enregistré, c'était dément !
Rob : C'est une empreinte à la fois classique, et en même temps une sorte de rêve de cinéma. On est dans un grand rêve de cinéma avec des choeurs, des percussions, du Stravinsky, tout cela va au même endroit.
R.Z : Ce qui est fascinant avec ROB, c'est qu'il a une force de travail et une rapidité d'exécution colossales. Il a fait huit scores pour ce film. On a choisi une des versions à chaque fois. Si bien que je n'avais pas besoin de mettre de musiques temporaires. Je monte vraiment avec sa musique et pas avec de la musique de tiroir, même si Rob a aussi ses petits tiroirs. On construit le film avec sa musique.
Rob : C'est du modelage. Je ne travaille pas sur le marbre directement, je modèle la musique au fur et à mesure.
R.Z : Cela devient très précis. C'est comme un tamis, on passe 20 fois sur un morceau avant d'y arriver.
De quelle nature sont vos échanges pour définir les choix musicaux ?
Rob : Il est toujours intéressant de se confronter avec quelqu'un qui a de grandes idées de musique et qui en parle avec des chemins très différents des miens. On parle de la matière. Je me souviens que dans BELLE ÉPINE (2010), on parlait de cuir, de métal, parce qu'il y avait les motos, les casques et blousons. Dans PLANÉTARIUM, il y a des bruits de pas dans l'escalier, le son de la moquette luxueuse, et en même temps le son d'un plateau de cinéma, la respiration de Lily-Rose. Ce sont des choses avec nos conversations qui m'inspirent plus que de voir comment le rythme du montage est construit.
La musique est organique, texturale, sous-jacente, comme on l'a évoqué, mais en même temps il y a de la mélodie...
Rob : On partage une recherche d'émotions, et pour les émotions, la mélodie c'est ce qu'il y a de mieux. Ce n'est pas systématique. On ne se dit pas tout le temps qu'il faut une mélodie, mais on a toujours le rêve de chanter la musique du film. C'est souvent venu dans nos conversations. Rebecca me disait souvent qu'elle adorait une musique, mais qu'elle n'arrivait pas à la chanter.
R.Z : Me souvenir de la mélodie fait partie de mes envies. Et on va encore plus y aller à l'avenir, c'est quelque chose qui me tient très à cœur. Je ne fonctionne pas à l'instinct, je suis obligé de réfléchir avant d'avoir une idée. Cela crée des musiques pertinentes, qui ont des trajets que l'on peut raconter. Et j'ai toujours en tête (heureusement que ROB me l'apporte) de pouvoir chanter la mélodie.
Rob : La mélodie c'est ma passion, c'est comme certains avec l'aquariophilie, moi c'est la mélodie (rires).
L'autre particularité de votre musique est la recherche d'instruments singuliers qui ne soient pas forcément justifiés par ce qu'il y a à l'image...
Rob : Les flûtes dans GRAND CENTRAL (2013) créent des émotions que l'on n'a pas l'habitude de voir associées à une centrale nucléaire. J'aime ce type d'association inédite. Je le fais de façon très empirique. Contrairement à Rebecca, c'est très instinctif. Pour le coup, c'est un rapport animal. Je tape sur un bout de bois et cette résonance me plaît. C'est pour cela que j'ai pris un tambour un peu archaïque ou une flûte taillée dans un roseau près d'une autoroute américaine. Ce n'était pas fait exprès.
R.Z : Ce que j'aime aussi beaucoup avec ROB, c'est qu'il n'a pas peur de complètement contredire son protocole et son dispositif. Ce n'est pas parce qu'on est parti sur un système symphonique qu'on n'a pas le droit d'utiliser un synthé. Il n'y avait pas de désir de cohérence absolu. Il n'a pas eu peur de se contredire à ce moment-là, de changer son fusil d'épaule.
Après BELLE ÉPINE et GRAND CENTRAL, en quoi la dimension plus internationale du film et ce casting "glamour" avec Natalie Portman et Lily-Rose Depp a influé sur la musique ?
Rob : De temps en temps, on avait besoin que les cordes nous mettent en extase, le "swell", on parlait beaucoup de ce terme pour dire que l'orchestre s'emporte un petit peu. Quand on admire une superbe actrice, c'est ce qu'on ressent un peu, une sorte d'admiration.
R.Z : Tu voulais faire chanter Lily-Rose aussi...
Rob : C'est vrai, c'est un fantasme de musiciens. C'est mon fantasme de Mia Farrow dans "Rosemary's baby". Le personnage de victime du mal de Lily-Rose m'a inspiré comme quand Mia Farrow chante au générique.
R.Z : Lors de la scène de fête, Lily-Rose chantonne elle-même ce que le pianiste avait choisi au moment du tournage. C'est ainsi qu'on a travaillé souvent les choses. Le générique de début, dans l'esprit des films Sergio Leone, est né de la même manière, dans la spontanéité et l'intuition. On était en séance d'enregistrement avec le percussionniste (Fabrice Colombani). Il se trouve qu'entre deux prises, il se met à siffler le thème. Ce sifflement est resté dans la partition.
Votre collaboration accorde une place rare à l'invention musicale, qui va jusqu'à définir le style du film lui-même...
R.Z : La raison pour laquelle j'ai une confiance absolue en ROB est qu'il me laisse lui donner des intentions, des mots, c'est souvent lexical. On le fait à peu de distance l'un de l'autre. J'ai l'impression de n'être pas loin dans le travail musical. J'aime le fait que pour Rob ça lui tient très à cœur de comprendre ce que je veux. Ce n'est pas le cas de tous les musiciens je crois.
Rob : Pour avoir connu les œuvres discographiques, notamment sous mon nom, je fais très bien la différence entre ces disques et ce que je fais avec un cinéaste. J'ai tout à fait conscience d'être au service de l'œuvre, d'être dirigé, j'aime beaucoup être dirigé.
Et avez-vous conscience de faire la musique d'une oeuvre globale pour Rebecca ?
Rob : Je ne peux pas m'empêcher de lier tout ce que je fais. Chaque note que je produis est le déroulé d'une grande vague d'émotion qui est à l'échelle de ma vie. Et d'un film à l'autre, je le retrouve tout à fait. Je retrouve avec Rebecca les sentiments que je me souviens avoir laissé avec GRAND CENTRAL, et encore avant avec BELLE ÉPINE. Je mets en perspective toutes ces notes.
R.Z : Tu me donnes de la personnalité. Ta musique donne une singularité à mes films.
Rob : C'est une grande joie pour moi de travailler avec un réalisateur qui accepte que la musique fasse réellement partie de la direction artistique du film. Ce n'est pas toujours le cas. Parfois la musique est juste un outil pour traiter le rythme, la narration, des effets de montage... Avec Rebecca, j'ai l'impression que cette confiance me permet de donner une direction artistique.
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