Patrick Doyle : Au contraire, j’ai trouvé NANNY MCPHEE assez different de l’univers de Harry Potter. J’ai donc adopté une approche musicale complètement différente. La partition est donc, comme le film lui-même, plus légère, dans un style de film d’animation. Il ne m’est jamais venu à l’idée qu’il pourrait y avoir conflit avec Harry Potter puisque HARRY POTTER & LA COUPE DE FEU est un film très différent dans la série, beaucoup plus sombre, où même la magie y est plus sombre.
Votre partition pour HARRY POTTER & LA COUPE DE FEU a été saluée par de nombreux amateurs de musique de film : c’est pourtant difficile de passer après John Williams ! Comment vous êtes-vous approprié cet univers et quelles ont été vos principales idées de départ, musicalement ?
Comme j’admire grandement son travail, c’était un privilège de suivre les pas de John Williams et d’utiliser son thème pour Hedwige. Mais HARRY POTTER ET LA COUPE DE FEU, comme je l’ai dit, est une histoire bien plus sombre, les enfants sont devenus bien plus adultes, et de nouveaux personnages sont entrés en jeu, notamment Lord Voldemort. Il m’a fallu trouver du nouveau matériel thématique caractéristique pour Voldemort, les Beauxbâtons et les Durmstrangs. De plus, il y a, comme tout le monde sait, un deuil dans le film. C’est pourquoi il y a eu une grosse demande de nouveautés thématiques.
Comment êtes-vous parvenu à vous défaire de l’empreinte de John Williams et à faire oublier ses thèmes ?
Quand j’ai été approché pour ce film, j’ai lu le scénario et j’ai dit d’accord parce que je n’étais pas obligé de réutiliser les thèmes de John Williams. Si les producteurs les voulaient, il suffisait de prendre un orchestrateur pour faire ce travail. Quand j’ai lu le script de Harry Potter IV, j’ai réalisé qu’il s’agissait d’une toute nouvelle histoire avec une histoire d’amour. Les personnages traversent l’âge de la puberté, ils commencent à apprendre à devenir des hommes ou des femmes. Voldemort apparaît dans le film et je devais écrire un thème pour lui. Ce film était beaucoup plus sombre que les précédents. Et puis, je n’ai utilisé les thèmes de John Williams que vingt secondes ! Ce film fait parti d’une franchise. Je suis sûr que John a parfaitement compris que j’avais besoin de suivre mon instinct et mes envies. Je n’ai pas ressenti de pression, je ne me suis jamais demandé : « Est-ce une bonne idée de faire ça ou plutôt que ça ? » Ce genre de pensées ne m’a jamais traversé l’esprit. Ca a été un honneur pour moi de suivre les pas de John Williams. J’ai été heureux de faire ce que je voulais. J’ai simplement changé quelques harmonies à la mélodie de John. C’est un artiste de premier ordre, il aurait fait pareil s’il avait été à ma place.
Les valses entendues dans le film ont été composées avant le tournage ?
Oui… enfin non…. La valse de Neville, je l’avais en effet déjà écrite avant le tournage. En revanche, la valse de Potter m’est venue lors d’une réunion après que le film soit monté : j’ai demandé à mon monteur musique un papier et j’ai noté rapidement. Malheureusement, cela n’arrive pas comme ça à chaque fois.
Avez-vous été impliqué dans la création des chansons rock entendues dans le film, et qu'on retrouve sur le disque de la bande originale ?
Absolument pas. C’est Jarvis qui s’en est entièrement chargé, mis à part l’arrangement pour cordes de "Magic Works" que j’ai écrit moi-même.
Parallèlement à vos propres idées sur l’univers d’Harry Potter, quelles ont été les directives ou les envies de Mike Newell concernant la bande originale ?
Mike était toujours très clair et merveilleusement enthousiaste avec ce qu’il voulait. Il a spécifiquement demandé que la partition soit sombre, pressante, crispée. Il était très attentif à cette idée d’un « son de Poudlard », d’une identité propre de l’univers de HARRY POTTER, à son cohérence et à sa consistance. Il a sauté de joie sur la "Hogwart’s March", en disant que c’était exactement le degré d’excentricité qu’il voulait, et l’a utilisé comme un baromètre pour tout le reste. Il ne l’a pas exprimé précisément en ces mots, mais c’était son état d’esprit.
Avez-vous eu l’impression d’avoir une certaine pression derrière vous, de la production par exemple ?
Je n’ai eu aucune sorte de pression venant de l’équipe de production. Mike Newell et tous les producteurs n’auraient pas pu me donner plus de soutien.
Pouvez-vous nous parlez de votre approche de la musique pour AS YOU LIKE IT de Kenneth Branagh ?
Le film AS YOU LIKE IT se déroule au Japon, et à mon avis c’est un des meilleurs films de Kenneth Branagh. J’ai passé de merveilleux moments sur ce projet, et ce aussi en tant qu’acteur. J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire la musique, et Kenneth en est très heureux. La partition inclut trois chansons que je chante moi-même, puisque dans le film je joue le rôle d’Amiens. La musique est basée autour de ces 3 chants. C’était un plaisir inédit pour moi de travailler avec les sons et les percussions japonaises. J’ai passé trois semaines à Tokyo en tournée avec la troupe de Théâtre de la Rennaissance de Kenneth Branagh, et cette expérience-là a été formidablement utile pour écrire et capter l’ambiance de cette partition. J’ai toujours remarqué la proximité modale entre la musique écossaise et japonaise (entre parenthèses, 20 minutes avant la fermeture des jardins publics à Tokyo, ils diffusent de la musique folklorique écossaise par des haut-parleurs partout dans les arbres pour dire qu’il est l’heure de retourner chez soi).
Dans HENRY V et HARRY POTTER, pour ne citer que deux exemples, vous dévoilez plusieurs influences de musique traditionnelle et classique. Quels sont vos compositeurs de référence ?
C’est une question impossible à répondre. Il y a tant de compositeurs talentueux tout au long de l’histoire, et j’aime tant de leurs créations que c’est très difficile de retenir un seul compositeur. Si je devais faire un choix pour la vie ou pour la mort, ce serait Mozart. Je pense qu’il était le messager musical de Dieu.
La chose la plus importante que vous devez retenir, c’est que tous les compositeurs font leur travail avec passion ! Ils n’ont jamais la garantie qu’ils vont réussir. Les gens qui veulent vraiment devenir compositeur de musique de film doivent vraiment travailler dur. Vous devez apprendre à ouvrir vos yeux et vos oreilles, vous devez regarder le monde, ouvrir votre esprit, étudier et y croire. Parce que ce sera très difficile.
Vous avez composé pour trois pays différents (Grande-Bretagne, France, Etats-Unis). Quelles sont les spécificités de chaque pays dans votre manière de composer ?
C’est la culture de chaque pays qui fait la différence. Ici, en France, la tradition veut qu’il y ait assez peu de musique. A Hollywood, c’est l’inverse, ils préfèrent en mettre beaucoup. Et au Royaume-Uni, c’est un peu entre les deux ! Mais c’est une question très compliquée en réalité, car il n’existe pas de règles strictes pour chaque pays. Avec Régis Wargnier, j’ai parfois composé beaucoup de musiques. Aux Etats-Unis, il m’est arrivé de travailler avec des réalisateurs qui souhaitaient de la musique partout et d’autres qui n’en voulaient quasiment pas ! C’est très différent. Aux Etats-Unis, il y a également de plus en plus de musiques temporaires qui peuvent influencer les partitions des compositeurs. Avec Régis Wargnier, ça ne marchait pas comme ça. Quant je découvrais le film pour la première fois, je partais de zéro. Au Royaume-Uni, le système des musiques temporaires commence à devenir la règle, car de plus en plus de films anglais sont produits par des sociétés américaines et elles souhaitent imposer le système américain. Donc votre question est vraiment compliquée ! La situation est très différente selon les pays.
Vous sentez-vous plus libre quand vous composez en France ?
Avec Régis Wargnier, absolument ! Il me laisse une liberté artistique incroyable.
Ce n’était pas le cas sur Harry Potter et la coupe de feu ?
Si, parce que Mike Newell est un brillant réalisateur et qu’il est là depuis longtemps. Il travaille de manière assez traditionnelle et il aime écouter les propositions du compositeur et écouter sa voix ! Quant j’ai écouté les musiques temporaires de Harry Potter, je ne me suis pas senti vraiment exposé à une pression particulière. Il m’a laissé faire selon mes propres choix. Sur Igor par exemple, il n’y avait aucune musique temporaire, j’ai tout écrit en partant de rien. C’est l’inverse de L’île de Nym où la musique temporaire était omniprésente, mais j’ai été impliqué dès le début sur ce film. Je comprends qu’un réalisateur veuille nous guider par ses influences, mais c’est appréciable d’avoir une totale liberté.
Vous avez joué et même chanté dans quelques films. Est-ce que cela a pu influencer vos compositions ?
Je pense que plus vous êtes impliqué dans un film et plus vous avez cette possibilité de prendre comme un aimant l’ambiance d’un tournage et d’un film. Ca vous permet d’étudier la performance des acteurs, de voir si leur perception est proche de la vôtre ou non. Vous vous imprégnez de la disposition du décor, c’est souvent très différent de ce que vous pouvez voir à l’écran. Quand vous marchez sur le plateau de tournage, vous pouvez trouver l’inspiration pour écrire une mélodie. Je me souviens par exemple que sur Frankenstein, Kenneth Branagh m’a dit un jour : « J’aimerais que le personnage d’Elyzabeth chante une chanson ». Il m’a donné quelques indications. Dans l’après-midi, je suis retourné dans ma chambre et pendant dix minutes j’ai commencé à composer ça. (il se met à chanter le thème) Juste comme ça ! Je venais de composer une valse. Il y avait le rythme et la musique qui correspondaient aux images que j’avais captées sur le plateau de tournage. Et cette valse est un morceau essentiel du film ! Donc s’impliquer dans un film peut s’avérer très utile !
Comment choisissez-vous un projet plutôt qu’un autre ? Est-ce parce que, avant tout, l’histoire vous plaît ?
Non, c’est simplement parce que le réalisateur m’appelle ! Il n’y a pas d’autres raisons ! (rires). Je suis rarement en position de force !
Vous ne refusez jamais ?
Si, quelquefois. Je me rappelle avoir vu un jour un film particulièrement mauvais ! L’intensité dramatique de ce film s’apparentait à la dramaturgie d’un film porno, si vous imaginez. Je me souviens avoir dit au réalisateur : « Merci, mais bon courage à vous ! » J’étais obligé de dire non ! Je ne pouvais pas faire ça ! Parfois, j’hésite à faire un film, car le budget consacré à la musique est vraiment trop bas. Si vous vous lancez sur un projet avec un faible budget, le réalisateur vous demandera de faire malgré tout le même travail que si vous aviez les moyens d’une grosse production ! Il arrive aussi que vous n’ayez ni le temps, ni les moyens, ni même une seule indication de ce que recherche le réalisateur ! Il y a vraiment beaucoup de choses qui moi me rendent nerveux… Il faut savoir aussi faire des choix difficiles. Je travaillais sur un film il y a quelques années. J’étais vraiment fatigué et je n’avais pas fini de composer. Il restait des scènes très importantes. Pour continuer, je devais absolument prendre dix jours de repos, c’était indispensable pour moi. Je les ai pris, je suis revenu dix jours après en pleine forme. Le onzième jour, tout allait beaucoup mieux. Si je ne m’étais pas obligé à faire ça, j’aurais bâclé le travail. C’est la pire chose qui puisse arriver pour un compositeur.
Pour Gosford Park de Robert Altman, l’intrigue du film est très classique et je n’ai fait ce film que pour son réalisateur qui a traité son sujet de manière originale. Je n’aurai jamais fait ce film sans lui. Les choix que nous faisons sont toujours très différents. Si vous décidez un jour de ne pas faire un film, « c’est la vie » ! Il faut s’impliquer complètement ou ne pas s’impliquer du tout.
Ma très grande amie est Emma Thompson. C’est une actrice qui reçoit un nombre de propositions incroyables. J’ai dîné avec elle il y a un mois. Nous discutions de plusieurs films et à un moment donné, elle me dit : « J’ai refusé de faire ce film ». Et moi : « Vraiment ? Pourquoi ? » Elle : « J’étais très fatigué, je devais m’occuper de ma fille ». Bon, très bien. La conversation se poursuit et elle me dit à nouveau : « J’ai aussi refusé de faire ce film ! » Et moi : « Ah bon ? Mais ce film est génial ! » Bref, je ne pourrais pas vous dire la quantité de films qu’elle a refusé, mais elle l’a toujours fait pour de bonnes raisons. Pour sa vie privée, pour sa famille, parce qu’elle n’avait tout simplement pas le temps… C’est toujours difficile de refuser un projet, car vous n’êtes jamais en sécurité dans ce métier. Il y a vraiment des bons et des mauvais jours. Vous ne perdez jamais à l’esprit : « Oh, mon dieu, ce pourrait être mon dernier film ou mon dernier coup de téléphone ? Il ne me demandera peut-être plus jamais ? ». Mais si vous commencez à penser comme ça, vous êtes fini ! Vous devez être courageux et dire : « Non, je ne ferai pas ça ! » Vous ne pouvez pas tout faire, la santé avant tout. Il m’est arrivé une fois d’abandonner un projet, c’était pour un événement sportif financé par l’éducation nationale d’Ecosse. Mais j’étais exténué par le travail. J’ai dû jeter l’éponge.
Vous est-il arrivé d’utiliser des compositions personnelles pré-écrites et de les mettre dans un film pour lequel elles correspondaient ?
Non, jamais ! Ce sont deux choses à part. Je ne fais pas ça.
Quel a été votre plus grand challenge au cours de votre carrière ?
Tous mes films sont difficiles ! Un film avec un dragon est difficile (Eragon) ! Illustré en musique un dragon qui vole est un travail laborieux ! C’est une chose difficile à écrire. John Williams a écrit des thèmes merveilleux pour ça ! Mais croyez-moi, ça n’est pas facile ! John Williams nous fait croire que c’est facile, mais ça ne l’est pas ! Pour Eragon, j’ai essayé plusieurs versions. Les studios m’ont dit que je faisais un travail formidable, mais ils voulaient toujours quelque chose en plus là, là et encore là ! C’est très spécifique et donc, très difficile. Mais sinon, mon premier film a sûrement été le plus difficile puisque que je ne savais pas vraiment où je mettais les pieds ! Tout s’est fait de manière très instinctive !
Mais vous savez, en réalité, la musique n’est pas quelque chose de compliqué ! Le business, oui. La musique doit normalement est très simple. Je ne me souviens pas d’un challenge particulièrement difficile. Ce qu’il l’est, c’est de pouvoir faire ce que l’on veut. Vous devez toujours faire un deal entre un film et un autre, entre la musique temporaire et votre vision du film. Je pense pourtant que c’est au compositeur de décider de la couleur musicale qu’il veut donner au film. J’aime à penser que je donne tout à un film. Pour Igor, le réalisateur Anthony Leondis m’a dit : « Merci d’avoir pris part à mon film en vous impliquant totalement ! » J’ai beaucoup de respect pour les films d’animation, je ne crois pas que ce soit un genre moins respectable qu’un autre, au contraire. Ce serait un non-sens culturel ! C’est comme pour le music-hall, j’ai beaucoup de respect ! Dans l’animation, il y a une perception, une compréhension et une appréciation différentes ! L’animation permet d’utiliser son imagination, c’est formidable !
Comment s’est passé votre travail sur IGOR (2008) ?
Dans ce film, la musique illustre la magie, l’action, l’enthousiasme, l’amour ! Toutes les merveilleuses émotions de l’être humain sont dans ce film d’animation ! Ca a été l’occasion pour moi de développer des émotions fantastiques dans la tradition des grands films. Anthony Leondis, le réalisateur, a été très attentif, très à l’écoute.
Panorama BO : Clint Eastwood, les véritables héros de son cinéma [Podcast]