Conversation entre Henry Selick et Bruno Coulais (de Coraline à Wendell and Wild)

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- Publié le 20-06-2020




Le compositeur français Bruno Coulais retrouve le réalisateur américain Henry Selick 11 ans après "Coraline" pour un nouveau long-métrage, "Wendell and Wild" (sur Netflix), comédie suivant deux frères démons qui doivent faire face à leur ennemi juré, la religieuse Sœur Helly, a l'aide de leurs deux acolytes, les adolescents goths Kat et Raoul. Voici un échange entre les deux artistes qui a eu lieu à l'occasion du festival du film d'animation 2020 et dans lequel ils évoquent le nouveau projet.

Bruno Coulais : Dans "Coraline", la musique était un personnage au service du mystère, de l'étrangeté, et de la splendeur des images.

Henry Selick : J'ai beaucoup de chance de t'avoir trouvé et que tu ait accepté de travailler sur "Coraline". Comme on le fait en général, j'ai utilisé une musique temporaire tirée d'autres films, j'ai donc essayé de mettre du Hans Zimmer et du Thomas Newman, mais rien ne fonctionnait, aucune musique ne marchait. C'était trop doux, trop infantile, pas assez risqué. "Coraline" est un film qui prend des risques. Quand j'ai essayé d'autres sortes de films, plus effrayants et plus durs, ça devenait trop intense. J'ai écouté des centaines de B.O, puis je me suis souvenu avoir vu "Le Peuple migrateur" dont tu es le compositeur. Un collaborateur m'a aussi apporté "Microcosmos" avec ta musique et j'y ai trouvé le vrai son de l'enfance, avec un mélange de beauté et de terreur, une fascination pour la vie, avec une certaine douceur, émouvante et belle. Ta façon d'utiliser les choeurs est unique au monde, ainsi que ton choix d'instruments. On a utilisé ainsi un morceau tiré de "Microcosmos" sur une scène de "Coraline" et d'un seul coup c'était parfait ! Je me suis dit "C'est le bon compositeur ! C'est l'authenticité musicale que je cherche". Mais un souci s'est vite imposé : je parle très mal français. Il fallait un interprète. Mais au final, il n'y a jamais eu de problèmes pour échanger les idées. Et tu as presque toujours raison. Quand j'ai une idée ou une question par exemple, tu y réponds toujours. Tu as toujours la réponse musicale. Et je pense que ta contribution à "Wendell and Wild", le nouveau film que l'on fait ensemble, sera au moins aussi grande que celle à "Coraline". Tu lui as donné de la profondeur, tu as enrichi son âme et son cœur, tu l'as rendu intemporel. Ta musique n'est pas datée, elle vit hors du temps.

B.C : Merci, j'en suis très fier. "Coraline" c'était le genre de films que j'attendais. J'ai eu beaucoup de chance.

H.S : On allait faire entre temps un autre film, "The Shadow King", mais le projet n'a pas abouti, il faisait trop peur à Disney.

B.C : Tu m'as montré cinq minutes du film, pour moi c'était un chef-d'œuvre !

H.S : Tout le monde se demande pourquoi ça n'a pas abouti. Mais ce nouveau projet va également briser toutes les règles. Il aura un véritable impact. C'est une comédie, un drame et du merveilleux. C'est un alliage des trois, un équilibre difficile.

B.C : Pour un compositeur c'est un beau défi. Je vais te donner plusieurs exemples de musique. J'ai déjà fait très vite des maquettes. C'est utile mais on est loin de l'expression exacte qu'auront les instruments plus tard. Je travaille sur des animatiques, et je commence à imaginer l'orchestration quand je vois les couleurs.

H.S : Tes maquettes sont excellentes et tu es toujours obligé de me rappeler que ce sera mieux avec l'orchestre. Et tu as raison. Mais je tombe amoureux de tes maquettes qui m'aident beaucoup. Tu les utilises bien. Ce que j'adore dans notre collaboration, c'est ton intérêt et ton savoir quant aux différents instruments, même inhabituels, comme de vieux instruments obscurs, ou provenant d'autres pays.

B.C : Je trouve ça important, surtout dans tes films, de mélanger les instruments classiques, comme un orchestre, avec des instruments spéciaux. Par exemple, pour le personnage de Raoul dans le nouveau film, j'aimerais utiliser le Hang qui a un son si spécial. C'est un instrument de percussions en métal avec un son très profond, très métallique, et très étrange. Il m'arrive d'utiliser les jouets de mes enfants pour en faire des instruments. Je continue d'ailleurs à faire des enfants pour pouvoir utiliser leurs jouets (rires). Dans "Coraline", pour le cirque des souris, j'ai utilisé les jouets de ma fille Sofia. Elle avait à peine un ou deux ans. Elle a été surprise de me voir voler ses jouets pour composer. Elle a tout de suite compris que je n'étais pas un professionnel.

H.S : Tu es un pro avec un esprit ouvert et joueur. C'est ce que j'adore. Tu ne t'enfermes pas dans un sérieux rigide. Tu es très ouvert. Pour "L'étrange Noël de Monsieur Jack" c'était très différent. L'idée est venue de Tim Burton qui a donc collaboré directement avec Dany Elfman. Tim lui a décrit à quels moments il voulait des chansons. On m'a donné les morceaux et j'ai vite compris que si la chanson ne fonctionnait pas, je ne pouvais pas demander à Dany de la changer. Il fallait ruser. C'était déjà un compositeur réputé. Moi j'étais un inconnu. Mais je suis musicien, pas très bon mais quand même. Je me suis mis au clavier et je disais "tu vois Dany, j'ai réfléchi à ce passage, pourquoi ne pas faire quelque chose comme ça..." Il disait toujours qu'il pouvait faire beaucoup mieux que ça.
Et il le faisait. C'était moins collaboratif. Avec toi, tu étais impliqué dès le début du processus. Tu as fourni un travail remarquable tout le long. Au fur et à mesure que le film prend forme quand on l'écrit, qu'on fait les storyboards, tu bosses déjà sur les thèmes. Tu contribues à l'âme du film très rapidement. Ce n'est pas une entité distincte qu'on rajoute à la fin. J'adore travailler comme ça. La plupart des compositeurs refuserait un travail aussi long. Pourtant c'est mieux.

B.C : Je pense aussi. Travailler sur un film d'animation, c'est un procédé qui prend du temps, trop à ton goût peut-être, mais moi j'adore. J'ai le temps de changer d'avis, de faire des expériences, de faire des essais. C'est génial, c'est rare. Quel cadeau d'avoir tout ce temps ! C'est une construction en parallèle de la musique et du film. J'adore travailler comme ça.

H.S : Un film d'animation doit être préparé avec grande minutie. On fait les storyboards, le découpage pour voir le film à venir. Il peut y avoir du texte et une musique provisoire. En fait, on fait le film deux fois. On monte le film avant de le faire. Et ensuite on peut encore déplacer les séquences, changer le montage ou rajouter quelque chose. Et dans ce processus avant l'animation, j'ai toujours peur que tu perdes patience. Tu m'apportes de la belle musique et on t'envoie la bobine parce qu'on a changé quelque chose. J'ai toujours peur que tu dises "ce ne sont pas des conditions ! Tu n'arrêtes pas de tout changer !" Mais c'est comme ça. On collabore aussi avec Netflix qui ont de bonnes idées. Tout le monde nous soutient. Je garde toutes les bonnes idées. J'essaye tout. Ça rend le film meilleur. Parfois la musique permet de partager une émotion qu'on ne veut pas formuler. C'est une toile jamais sèche. Quand on commence le tournage, on doit décider quelle partie de la peinture est assez solide pour lancer l'animation.

B.C : Ne t'inquiète pas, j'adore le changement. Et "Wendell and Wild", c'est le rêve pour un compositeur, le film a besoin de beaucoup de musique, il y a beaucoup de facettes. La terreur, le monde magique. Je peux me permettre des tas de choses différentes. Je n'aime pas trop les musiques qui font rire le public. Quel est ton avis sur l'approche musicale du comique ?

H.S : Ce n'est pas évident. J'ai regardé quelques classiques, comme les films d'horreur d'Universal des années 30 et 40, Frankenstein, La fiancée de Frankenstein, le loup-garou, la momie, des grands succès à l'époque qui étaient construits comme des films d'horreur au premier degré. Mais ensuite, ils ont fait une série de films avec deux comiques, Abbott & Costello, célèbre en tant qu'humoristes. Ils étaient placés face à ces monstres dans le même cadre, et ils n'ont pas du tout changé la musique, ils n'ont pas mis de musique comique, et c'est resté de l'horreur pure. Ça marche très bien. La comédie est renforcée par ce contraste. C'est une très belle leçon. Des personnages comme Wendell & Wild ne sont pas des monstres. Ce sont nos Abbott et Costello. Ce sont des comiques. Et parfois on trouve un son aigre, amer comme un citron par exemple, qui peut suffire pour apporter la touche comique.

B.C : Parfois quand la musique est très sérieuse ça rends une scène plus drôle.

H.S : Quel est ton sentiment sur l'instrumentation ? Il y a beaucoup de clichés sur quel instrument sert à quoi. Quand un piano commence, on se dit que ça va être triste. Un cliché devient parfois un cliché parce que ça marche.

B.C : Je ne peux pas me passer du piano. Parfois un instrument pour l'horreur, comme un Thérémine, ça marche bien. Parfois les clichés fonctionnent très bien. Mais il faut savoir les gérer. Pour "Wendell and Wild", je voulais essayer plusieurs choses, mais je n'ose pas toujours imposer ces différentes esthétiques. J'ai beaucoup d'idées différentes pour une même séquence. Je n'ose jamais tout envoyer, j'ai trop de versions et ça pourrait être trop confu.

H.S : J'ai plus de temps à cause du Covid. Je peux écouter plus de propositions. On utilise aussi dans le film de la musique pop, même si elle n'est pas populaire. On utilise des bouts d'enregistrements existants, certains sont récents, d'autres ont 40 ans. J'étais inquiet à l'idée de te le dire. Je pense que pour le personnage de Kat c'est important car elle aime la musique afro-punk.

B.C : C'est une musique que j'aime et c'est important pour le personnage. La musique révèle une grande partie du caractère de Kat, je pense que c'est bien.
J'adore aussi ajouter des voix à ma musique. Dans "Coraline", il y a la scène où les filles chantent dans leur langue inventée, la langue d'un autre monde.

H.C : Tu utilises la voix à la perfection. Ce n'est pas quelque chose que j'adore en général, il faut que ce soit bien fait. Beaucoup de films d'animation Disney plutôt ancien s'en servait. C'était parfois agaçant. Ça faisait tache dans certains films. Mais tu fais des choses très précises. Pour "Coraline", le texte ne veut rien dire, la langue est inventée, c'est ce que j'aime. Ce n'est pas une langue, on ne cherche pas à comprendre.

B.C : Si on utilise une vraie langue, je trouve que ça ajoute un sens sur la séquence. J'adore aussi les choeurs classiques. J'adore Debussy par exemple. Mais je n'aime pas les chorales trop sérieuses. Je préfère faire comme les chansons pop. J'ai travaillé avec Nick Cave (pour Le Peuple migrateur). C'est très intéressant pour moi de bosser avec un chanteur comme lui. Sur "Microcosmos", j'ai travaillé avec une mezzo-soprano très sérieuse, Marie Kobayashi, elle était sympa, mais j'ai préféré les voix d'enfants, comme celle de Hugo, mon fils aîné. Elles sont très mystérieuses, c'est parfait si je veux créer une tension. Je trouve les voix d'enfants efficaces. Comme les boîtes à musique.

 

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