Dans L'ENFANT RÊVÉ, François (Jalil Lespert) dirige la scierie familiale dans les bois, avec sa femme Noémie (Mélanie Doutey), et tous deux rêvent d'avoir un enfant sans y parvenir. C'est alors que François rencontre Patricia (Louise Bourgoin) avec laquelle il commence une liaison passionnelle et qui finit par tomber enceinte. Père en secret.
Cinezik : Quelle a été votre première approche sur ce film, est-ce la discussion avec le réalisateur, la lecture du scénario, ou directement les images ?
André Dziezuk : J'ai la chance d'avoir collaboré déjà à deux reprises avec Raphaël Jacoulot, donc on a développé une intimité qui nous permet de travailler très en amont sur le film. Dès le scénario, il m'avait parlé de l'idée du film, sans trop m'en dire car c'est quelqu'un d'un peu secret. Il m'avait juste parlé d'une intrigue, et qu'il voulait revenir sur ses terres natales dans le Jura. Très vite ça a infusé en moi, il m'a aussi donné des pistes sonores, des musiques qu'il aimait. On a très vite lancé des pistes, dès le scénario, c'est une chance, cela arrive de plus en plus rarement. Et bien sûr ça se concrétise ensuite au montage jusqu'au mixage.
On entend dans votre partition le violoncelle, pourquoi le choix de cet instrument ?
A.D : Ce choix s'est vite imposé comme une évidence. Le violoncelle incarne le personnage de François, cet être torturé et à la fois déterminé, passionné d'espaces naturels, de la forêt. On avait besoin d'incarner ce personnage avec une musique à la fois lyrique, intense, et en même temps rentrée, et sourde. Il nous fallait un instrument qui pouvait incarner cela. On entend également dans cette partition les appels lointains de Patricia, la femme dont il tombe amoureux, et qui va lui donner un enfant alors qu'il essaie d'en avoir un avec sa femme. Le violoncelle s'est donc imposé pour incarner le côté sombre du personnage et le côté volontaire, par son aspect solide.
À côté de ce motif régulier de violoncelle, ce qui domine dans la partition c'est l'aspect climatique, l'atmosphère...
A.D : Le réalisateur souhaitait qu'on incarne la forêt, les grands espaces, avec ces textures de cordes un peu mouvantes, avec des trémolos qui incarnent une nature grouillante et magnifique. La forêt est un personnage du film. Le réalisateur avait besoin d'incarner cette forêt mais aussi la scierie dans laquelle travaille Francois et dans laquelle il est enfermé.
Après "Avant l'aube" et "Coup de chaud", Raphaël Jacoulot confirme son amour pour le thriller... et musicalement les notes jouent le thriller dès le début...
A.D : Oui, on a longtemps hésité sur ce début de film... le thriller est annoncé, à la manière de Colombo, on sait tout de suite ce qui va se passer, on pressent dès les premières images que quelque chose d'inéluctable va arriver. Dans tous les films de Raphaël Jacoulot il y a une sorte de machination qui est déjà en place au moment où démarre le film. C'est une sorte de Colombo chabrolien où les choses sont annoncées assez vite, et après il faut détricoter tout ça.
Après la mort d'un personnage qui faisait naître le thriller dans les deux précédents films, ici c'est une naissance... Est-ce que cela a changé quelque chose pour votre musique ?
A.D : Effectivement, ce désir d'enfant d'un homme, ce qui est rarement mis en scène - on parle surtout du désir d'enfant des femmes, qui est beau et magnifique à voir - mais ici c'est un homme qui veut un enfant à tout prix. Patricia va arriver dans sa vie à un moment parfait où il n'arrive pas à avoir d'enfant avec sa femme, il se trouve désemparé, il est pris dans cette étau familial, cet atavisme qui va le conduire à faire des choses qu'il va regretter. Cette naissance est importante dans le film, mais ce n'est pas forcément le premier ressort, c'est une tension qui amène le personnage vers quelque chose, mais ce n'est pas un élément qui devait être traité musicalement.
À côté de cette partition inquiétante, vous avez aussi composé des musiques entendues par les personnages, que ce soit une ritournelle morriconnienne, une salsa, une valse... une partie de la musique joue un autre rôle.
A.D : Le fait de travailler avec Raphaël depuis longtemps a instauré une confiance et il m'a demandé d'écrire toutes les musiques entendues au loin dans le film. C'est-à-dire un slow dansé entre les personnages, dont il a besoin sur le tournage, une espèce de salsa qu'on entend au moment d'une fête, et ainsi de suite. Pour moi c'est de l'ordre de l'exercice de style et ça me permet d'écrire des choses différentes. Le réalisateur me confie la BO intégrale de son film. Et j'ai la chance d'avoir aussi écrit un slow, "What if", co-écrit avec Jo Cimatti, un chanteur-guitariste fou de prog-rock, qui est le guitariste de Cascadeur. On l'entend en IN sur la terrasse de la famille de Francois. Raphaël aime bien que je m'investisse à tous les niveaux de la musique du film.
Pour cette chanson, est-ce que le format vous étiez familier ?
A.D : Pas spécialement, je ne suis pas song-writer. Quand j'écris des chansons, c'est toujours dans le cadre d'une commande. Je n'ai jamais osé franchir le pas de la chanson pour la chanson. Là c'était l'occasion d'écrire un slow assez connoté pour le contexte.
Les personnages sont un peu isolés dans cette forêt, il y a un aspect hors du temps, le fait de ne pas employer de musiques préexistantes qui connoteraient un repère culturel, votre musique originale pour ces moments-là permet de maintenir cet espace indéterminé...
A.D : Exact. En plus il y a très peu de personnages dans le film, on avait besoin de les incarner. Et plutôt que de faire un thème par personnage, on a plutôt fonctionné par ambiance, par humeur, à part le thème de François qui est celui du violoncelle. La partition dans sa globalité demeure dans le registre du ressenti.
Pour terminer, abordons vos autres actualités, notamment le récent BALLE PERDUE, premier film de Guillaume Pierret, sur Netflix...
A.D : Pour ce film, j'ai écrit des morceaux d'action, du début à la fin. Le film est haletant, il a été un gros succès sur la plate-forme, 37 millions de vues en un mois. Aux États-Unis, le New York Times a dit que Hollywood devrait s'inspirer des films français qui sont faits comme ça, où il y a de la sueur, des personnages vivants. C'est un film avec de la testostérone. Pour moi c'était une aventure d'autant plus incroyable que j'écrivais cette partition d'action en même temps que je faisais la musique de L'ENFANT RÊVÉ. On frise la schizophrénie. Je me suis retrouvé avec un grand écart de style. C'est le pied de faire ce métier pour ça ! Je suis arrivé tardivement sur ce film, le compositeur précédent s'était fait débaucher, donc j'avais très peu de temps pour le faire, ce qui est à la fois terrible, et en même temps c'est une liberté puisque Netflix n'était pas trop présent.
Et maintenant, à venir dans les salles en novembre, le film d'animation FRITZY, qui sort tardivement puisque vous aviez fait ce film bien avant les deux films précédemment mentionnés...
A.D : C'est un magnifique film d'animation allemand, il y a une coproduction luxembourgeoise, il y a les tchèques aussi. Mais le travail musical s'est fait avec les deux réalisateurs allemands, j'ai eu très peu à faire avec les producteurs. J'ai eu la chance d'aller enregistrer à Prague, avec un orchestre, dans les studios de la radio de Prague, c'était une expérience phénoménale ! Pour un score très classique, la commande était de faire une musique à thèmes, c'était très intéressant à faire, et une super rencontre avec les deux réalisateurs. C'est l'histoire d'une petite fille qui découvre le renversement de la chute du mur à Berlin. C'est un film qui parle d'un moment de l'histoire à travers les yeux de cette enfant. C'est sublime.
Interview B.O : Pierre Desprats (Les Reines du drame, de Alexis Langlois)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)