Interview B.O : Elie Grappe et Pierre Desprats (OLGA), traduire en musique la gymnastique

olga2021031613,desprats,Cannes 2021, - Interview B.O : Elie Grappe et Pierre Desprats (OLGA), traduire en musique la gymnastique

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico - Publié le 15-07-2021




Avec OLGA, au cinéma le 17 novembre 2021, après la Semaine de la Critique au Festival de Cannes 2021, Pierre Desprats signe la musique du premier long-métrage de Elie Grappe (qu'il retrouve après le court-métrage "Suspendu", 2015) sur une gymnaste ukrainienne de 15 ans qui s’entraîne en Suisse pour le Championnat Européen en vue des JO. La partition joue alors les respirations, le bruit des appareils et frottements.

Elie Grappe (à droite sur la photo ci-dessous), quel est votre rapport à la musique dans le processus de création du film ?

Pierre Desprats (à gauche), Elie Grappe (à droite)Elie Grappe : J'ai étudié la trompette au Conservatoire National de Lyon, pendant 10 ans, avant de rentrer à l'ECAL (Ecole Cantonale d'Art de Lausanne). Mon rapport à la musique s'inscrit depuis toujours, dès mes court-métrages qui se situaient dans des conservatoires. C'est un univers qui a continué à m'intéresser très longtemps. Dans le désir que j'ai de faire des films il y a des choses qui sont de l'ordre du rythme, du tempo... des envies musicales.

D'où vient le projet de ce film, sur une gymnaste ukrainienne (Olga) au J.O en pleine Révolution dans son pays ?

E.G : En sortant de l'ECAL j'ai fait un documentaire dans l'univers d'un Conservatoire et l'une des protagonistes était une violoniste ukrainienne. Le trouble avec lequel elle m'avait raconté la Révolution et la façon dont les images ont imprégné jusque dans sa pratique du violon m'a énormément touché. J'ai impliqué des ukrainiens dans le processus de développement du film. Et concernant la gymnastique, c'est la continuité de mes recherches sur la danse, sur l'exigence que peuvent s'imposer à eux-mêmes de très jeunes gens. C'est un sport à la fois individuel et collectif, c'est ce qui m'intéressait aussi par rapport à ce que raconte le film. Et comme l'Ukraine, c'était inconnu pour moi, ce qui m'amène à une démarche documentaire, en faisant beaucoup de recherches.

Et ce personnage est très musical car la gymnastique est quelque part comme une chorégraphie...

E.G : C'est plein de mouvements et de sons. Tous les sons de la gym nous ont questionnés pour la musique. Avec des sons proches des détonations, il y a un rapprochement sonore entre la gym et la révolution ukrainienne. On ne devrait pas mettre ces choses là ensemble et pourtant on ne peut pas s'empêcher.

Il y a aussi la musicalité du montage, dans sa manière d'être abrupte pour faire survenir des événements...

E.G : J'ai envie d'avoir des sensations sonores au cinéma très fortes. Il y a effectivement des moments très abrupts, il y a aussi des choses de l'ordre du frottement et du raclement. Je pouvais regarder pendant des heures un entraînement juste pour l'écouter. Ça ressemble déjà à de la composition bruitiste.

À quel moment Pierre Desprats est intervenu ?

E.G : Il est intervenu dès le début, je savais que je voulais travailler avec lui. On avait travaillé ensemble sur un court-métrage. Il a composé des choses très tôt au moment du tournage, sans avoir vu d'images, sans avoir rien d'autre que le récit que je lui ai donné. Il y a des musiques de ce travail préparatoire qui se retrouvent dans le film aujourd'hui. Et des choses qu'on a précisées jusqu'à la fin. Je me laissais surprendre par les propositions de Pierre. Je le connaissais avant de le rencontrer pour la musique qu'il fait sous le nom de "Karelle". J'étais fan. Donc on partait vers quelque chose que j'aime beaucoup dans la musique qu'il fait.

Et donc Pierre quels éléments ont provoqué votre inspiration ?

Pierre Desprats : J'avais une idée de l'univers sonore de la pratique de la gym, j'avais déjà une idée de la mise en scène d'Elie et de son rapport à la narration musicale, et au fait qu'Olga était un personnage plutôt taciturne et que la musique n'allait pas être plus bavarde qu'elle. Il fallait travailler plutôt sur des sensations et se rapprocher de la musique bruitiste, de la boucle, de la rotation, du rebond. Tracer des lignes et les tordre. Après, il fallait trouver des dispositifs pour traduire ces idées théoriques. J'ai essayé plein de choses. J'ai essayé des micros suspendus au-dessus des amplis. J'ai convoqué la viole de gambe que j'aime pratiquer. Très rapidement tous ces essais on les a mis sur les séquences, quelques unes sont restées et jouent un rôle important.

La musique joue vraiment un rôle sur la tension du personnage, grâce à la musique nous sommes dans un moment de suspens lié à la compétition de gymnastique...

E.G : La musique ne devait pas illustrer, comme une couche en plus, mais participer réellement de la même façon que les images à l'angoisse du personnage, à son désarroi.

P.D : La musique déplace le point d'écoute. Elle se concentre sur une sensation physique. Pendant les manifestations, une base plus rythmique provoque une excitation dans l'estomac. Avec le grattement sur Olga on sent une sensation de peau et de surface. La musique produit de la tension qui pourrait être illustrative, elle crée du suspense, mais en même temps on l'a pensée comme quelque chose toujours reliée au corps, à la perte de repères.

E.G : Un peu comme pour le cadre, il y a un jeu d'échelle sur la musique, par le fait d'être dans la sensation du corps de Olga, comme si on avait produit le son des articulations elle-même.

P.D : L'idée était de ne pas surplomber le personnage, de ne pas le devancer, de ne pas raconter une histoire, mais de faire sentir.

L'image étant sobre, l'actrice ne surjoue pas sa situation, la musique a donc toute sa place, sans redondance, pour illustrer ce que l'image retient, la souffrance, qui passe par les frottements et les respirations qu'on devine dans la musique...

P.D : C'était une idée théorique au départ, de comment créer une contamination entre l'univers de la gym et l'univers des manifestations. Nous sommes dans le registre du sound design. On a essayé de travailler avec un impact, un son d'engins, et dans toute la dernière partie du générique de fin, c'est un son d'entraînement à la bar asymétrique, avec une respiration et un craquement. C'est un son du tournage.

Il y a aussi des chansons dans le film...

P.D : Oui, la chanson de générique de fin est chantée en ukrainien. C'est Artem Lurchenko qui a écrit les paroles. C'est un réalisateur ukrainien talentueux qui a participé au film comme traducteur et coach.

E.G : et c'est Pierre qui chante en ukrainien.

Ah donc c'est votre voix dans la chanson ? C'est très bien fait car j'ai cru à une chanson préexistante ukrainienne...

P.D : En effet, je chante ce que Artem a écrit. Le texte est un mélange entre le conte et des éléments emblématiques de la révolution.

Une autre chanson apparaît lors d'une séquence très rythmique...

P.D : C'est la séquence de la danse de Zoé. On a toujours parlé de cette séquence comme un entre-deux entre l'Intra et l'extra diégétique. Il fallait qu'on croit au fait que ce soit un morceau qui pouvait être choisi par Zoé. Acoustiquement ça devait raisonner dans l'espace.

E.G : Pour cette séquence, j'ai pensé à "Christine" de Carpenter. J'ai l'impression que la musique, c'est la salle elle-même qui l'active. Il y a une relation entre la musique et le personnage qui danse, un rapport de force. Il fallait que ça reste Intradiégétique mais il y a l'étrangeté de ce lieu.

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico

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