Interview / Cannes 2021 : Laure Portier & Martin Wheeler (SOY LIBRE)

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Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico - Publié le 19-07-2021




Martin Wheeler signe la musique du documentaire SOY LIBRE, présenté à l'ACID au Festival de Cannes 2021, dans lequel Laure Portier filme son frère jusqu'au Pérou, avec le réalisme des images de téléphone, des instants de parenthèses où apparaît le violoncelle du compositeur et où s'exprime la solitude du personnage perdu dans son environnement.

Cinezik : À quel moment la rencontre avec Martin Wheeler s'est faite, à quel moment la nécessité musicale s'est présentée sur ce film entre documentaire et fiction ?

Laure Portier : L'idée de la musique est venue au tout début de la fabrication du film, de manière assez abstraite, puis on s'est rencontré avec Martin en même temps que le montage image.

Martin, votre inspiration venait de votre réaction aux images ? Y avait-il tout de même des intentions ?

Martin Wheeler : Avec Laure on ne se connaissait pas, mais quand j'ai découvert les images, j'ai beaucoup aimé. Ce film m'a vraiment touché depuis le début. Il fallait qu'on commence par parler de ce qu'elle imaginait. Ce n'était pas vraiment des a priori mais on est arrivé assez rapidement sur l'idée d'avoir un instrument unique, comme c'est un personnage quasiment unique. Ce personnage unique étant le frère de la réalisatrice, c'est aussi son regard, on s'est alors dit qu'il y aurait aussi une voix féminine. J'ai même fait chanter Laure pour avoir des idées de ce qu'on allait faire. Mais Laure a trouvé que ce n'était pas une bonne piste.

Cet instrument unique, c'est donc le violoncelle...

M.W : Effectivement, même si dans la réalité c'est un assemblage de divers violoncelles et quelques autres choses. Mais dans l'idée c'était que ce soit une voix unique.

Dans le film on est embarqué, on est avec la réalisatrice qui porte son regard sur son frère avec sa caméra portative, c'est réaliste. Est-ce que pour la musique il s'agissait de décoller du réel, pour des moments de suspension, de parenthèses ?

L.P : C'est très bien dit, c'est en partie une volonté de décoller la narration, de l'élever. Pour revenir sur le violoncelle, il y avait dans ce choix d'instrument l'idée que cela épouse le corps d'Arnaud, mon frère. C'est un sentiment qui est venu très vite.

M.W : Le personnage principal est un mec assez rugueux, et en face il y a une femme, en l'occurrence la réalisatrice. Sans aller dans les clichés du masculin et du féminin, il y a quand même à travers le violoncelle quelque chose de chantant que l'on peut associer au regard de la réalisatrice, tout en préservant un aspect rugueux dans son timbre, même un peu punk. Cette idée est venue assez rapidement, mais ensuite c'était un peu plus long de doser le côté rugueux sans être trop agressif. J'espère qu'on a trouvé le bon dosage.

L.P : C'est vrai que j'ai retenu Martin dans le développement du côté punk, en l'ayant pourtant sollicité au départ. J'avais envie d'aller dans ce registre mais en le mettant sur les images je faisais un peu marche arrière.

Il y a la question du point de vue, l'idée de créer sa propre subjectivité, de voir le monde à partir de son propre regard. Et le point de vue passe d'un personnage à un autre, de la réalisatrice à celui du frère. Est-ce que musicalement ce passage de relais a été joué ?

L.P : Dans la musique, j'y vois à la fois le regard de mon frère, et le mien. Que ce soit dans la composition ou dans le choix de l'instrument, il est question de se lier, et non de se faire relais.

Et donc la fratrie en quelque sorte devient une seule entité. Dans ce cas le violoncelle représente cette entité unique ?

M.W : Unique mais multiple. Rires. Pour moi il ne s'agissait pas d'être binaire, avec le regard de l'un puis le regard de l'autre, même si c'est ce qui se passe à l'image puisque la caméra change de main, mais c'est toujours le regard de Laure en tant que réalisatrice du film, par ses choix.

C'est aussi un voyage (au Pérou), est-ce qu'il a été question à un moment de connoter la géographie ?

L.P : Non. On a le poids de son corps dans la rythmique, et quand on découvre le Pérou pour la première fois on change juste de rythme pour être plus dans son intériorité.

M.W : Il y a des films qui soulignent tel ou tel pays, quand le personnage arrive en Asie il y a un instrument local. Ce n'était pas vraiment une option qu'on a choisie.

Il y a aussi dans ce film assez riche la solitude des personnages qui s'exprime. Cette solitude passe par le son, l'individu est noyé dans les bruits urbains, est-ce que votre musique joue avec cet environnement sonore ?

M.W : Dans ma musique je ne peux pas dire que je me suis inspiré des sons de la ville, mais beaucoup plus de mon aperçu du personnage. Il est au départ dans une zone urbaine, puis ensuite il est en pleine forêt vierge, mais il demeure la même personne. La musique est beaucoup plus proche de lui que du milieu qu'il traverse.

Dans un documentaire, très souvent il y a énormément d'images à monter, et ensuite un choix à faire pour renoncer à certaines images, est-ce qu'il y a eu renoncement aussi sur certaines pistes musicales ?

M.W : Il y a certains détails musicaux qui ont changé en raison d'un besoin de correspondance avec le montage.

L.P : Et aussi il y a des éléments de la partition qui m'ont permis de monter des images dessus. La séquence de la danse n'aurait pas existé si la musique n'avait pas été proposée. J'ai ressorti des rushes pour en faire la matière de cette musique.

Dans le dialogue entre vous, Laure, avez-vous un langage musical pour exprimer vos envies ?

L.P : Je n'ai pas pris de cours de musique, l'enjeu était de trouver le bon vocabulaire entre nous.

M.W : Oui, et pas forcément le vocabulaire musical, mais de trouver les mots et une façon de parler pour pouvoir exprimer son intention. Et c'est l'enjeu avec tous les réalisateurs.

L.P : Je suis très vite mis en difficulté pour trouver ce vocabulaire. et en même temps c'était très intéressant. Je ne savais pas que j'allais être mise à l'épreuve là-dessus. C'est différent que d'écrire un scénario, ou de parler avec un monteur. Ou même de penser le son du film. C'est encore autre chose.

 

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico

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