LA ROUTE DES INDES (Maurice Jarre, 1983)

route_indes,jarre, - LA ROUTE DES INDES (Maurice Jarre, 1983)


JULIEN MAZAUDIER

- Publié le 07-05-2008




Sorti en 1984, La Route des Indes est le dernier film à avoir été réalisé par David Lean qui ne souhaitait plus tourner après les critiques négatives de La Fille de Ryan. Comme à son habitude, pour ne pas tomber dans les clichés du film "carte postale", Lean rejette toute musique d'esprit folklorique. Déjà avec La Fille de Ryan il ne voulait pas de musique traditionnelle irlandaise et sur La Route des Indes, il déconseilla à Maurice Jarre d'utiliser des instruments ethniques. Mais le compositeur rajouta tout de même un tânpûrâ, instrument indien à deux cordes, de la famille du luth que l'on entend brièvement dès l'ouverture du générique histoire de mettre, comme il le dit lui même "un peu d'épices et de poivrons" pour mieux situer le contexte géographique du film.

Dans La Route des Indes, la place accordée à la bande son est moins importante que dans les films précédents de Lean mais il y a une séquence musicale importante lorsque, Adela, la jeune anglaise se rend seule dans le temple à vélo. Au moment où elle arrive sur les lieux et qu'elle contemple les statues indiennes érotiques, la musique devient plus psychologique. Jarre compose un motif polyphonique où se mêle une instrumentation hétéroclite d'une grande sensualité : la clarinette, l'Onde Martenot, des voix d'hommes et de femmes ou encore la flûte fujara, un instrument en bois d'origine slave à la sonorité nasillarde que le compositeur avait précédemment utilisé sur Le Tambour.

Lorsque les singes, perchés sur la hauteur du temple, semblent se précipiter sur Adela, le réalisateur filme la scène comme s'il s'agissait d'un "viol psychique". La jeune femme, qui s'attend à être agressée, cède à une peur panique et prend rapidement la fuite. Pour représenter ce trouble, Jarre déploie brusquement des effets de percussions et d'électroniques particulièrement virulents, avec une attaque de l'orchestre typiquement Herrmanienne qui accompagnent Adela tout au long de sa fuite jusqu'à la sortie du temple.

"J'ai ajouté la scène d'Adela se promenant à vélo dans les champs et découvrant les statues érotiques indiennes dans les ruines d'un temple ancien. J'ai utilisé cette scène pour évoquer sa sexualité, encore inconsciente. C'est une jeune fille très réprimée. Je voulais la montrer en train de s'épanouir. " - Citation de David Lean extraite du livre très enrichissant de Kevin Brownlow, "David Lean, une vie de Cinéma", aux éditions Corlet/CinémaAction (2003).

LES ONDES MARTENOT

L'Onde Martenot est un instrument de musique électronique inventé en 1928 par Maurice Martenot. Il dérive du Theremin crée par Léon Thérémine à la différence qu'il comprend un clavier d'expression pour les vibratos, d'un ruban qui se déplace latéralement, et de touches de nuances qui permettent tout en jouant de changer la valeur du timbre sonore. Sa sensualité, d'une immense intensité est dû au fait que l'on peut, en touchant le ruban avec le pouce, doser les hauteurs sonores avec une très grande précision. A l'époque, les ondistes étaient principalement des femmes car, elles n'étaient pas admises dans les orchestres. Dans les concerts, l'instrument était lui aussi peu présent ; en revanche on l'utilisait beaucoup au théâtre et à la radio pour créer des couleurs musicales d'ordre surnaturel.

Dans les années 40, durant son apprentissage musical, Maurice Jarre va étudier les Ondes avec Maurice et Ginette Martenot. Il se produira comme ondiste avec Pierre Boulez au sein de la compagnie théâtrale de Madeleine Renaud et Jean Louis Barrault. Au théâtre National Populaire de Jean Vilar, à l'occasion de la pièce Le Prince de Hombourg de Heinrich Von Kleist, il va donner à l'onde une présence importante en l'utilisant notamment pour des effets de stéréophonie, lors d'une scène de somnambulisme. Dans le film La Route des Indes, l'instrument est principalement utilisé pour accompagner la psychologie tourmentée d'Adela comme lorsqu'elle se remémore, le soir dans son lit, la troublante vision des statues érotiques du temple indien.

La première expérience du Martenot au cinéma date de 1930. Le cinéaste Abel Gance le demanda pour une scène de panique dans son film La Fin du monde. On demanda à Maurice Martenot de simuler, avec le jeu au ruban, les sifflements du vent. Vingt-cinq ans plus tard, on dénombrera plus de 320 musiques de films l'ayant utilisé.

Parmi les compositeurs qui ont intégré cet instrument dans leurs oeuvres, on peut citer André Jolivet, Le Concerto pour Ondes Martenot et orchestre ; Charles Koechlin, Vers le soleil (pour ondes seules), Le buisson ardent ; Arthur Honegger, l'oratorio Jeanne au bûcher ; Darius Milhaud, L'annonce faite à Marie, l'opéra Bolivar ; Olivier Messiaen, Trois petites liturgies, Turangalîla symphonie ; Tristan Murail, Mach 2,5 ainsi que de façon plus anecdotique, Michel Legrand, Mikis Theodorakis, Léo ferré, Jacques Brel et plus récemment le groupe de rock anglais Radiohead sur le disque Kid-A (1999).

Parmi les interprètes qui jouent de cet instrument, on peut citer entre autres, Jeanne Loriod, Sylvette Allart et l'anglaise Cynthia Millar qui collabora avec Maurice Jarre sur La Promise (1985) et que l'on peut apercevoir aux ondes, sur le dvd du concert : A tribute to David Lean, dirigé par Jarre. Cynthia a également jouée du Martenot sur les compositions d'Elmer Bernstein pour les films, Taram et le chaudron Magique (1985), My Left Foot (1989), Le Bon Fils (1993) et Digging to China (1998).

 

JULIEN MAZAUDIER


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