Interview B.O : Olivier Marguerit (LA NUIT DU 12 de Dominik Moll)

nuit-du-122022020615,marguerit,Cannes 2022, - Interview B.O : Olivier Marguerit (LA NUIT DU 12 de Dominik Moll)

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico - Publié le 29-05-2022




Avec le film policier crépusculaire LA NUIT DU 12 (présenté à Cannes Première, au cinéma le 13 juillet 2022), Olivier Marguerit fait la rencontre de Dominik Moll. Il s'agit d'une enquête policière (menée par un agent de la PJ - Bastien Bouillon) pour élucider le meurtre d'une jeune fille. Mais cette intrigue laisse place aux démons intérieurs de chaque témoin, à des fantômes invisibles qui amènent une dimension fantastique. La partition propose alors un thème vocal et des cordes au mouvement indolent, partagée entre les pulsions de mort et de vie, à la fois sombre et lumineuse. On y entend par ailleurs trois chansons originales.

Cinezik : Comment êtes-vous arrivé sur ce projet?

Olivier Marguerit : La rencontre avec le réalisateur Dominik Moll s’est faite autour de “Onoda” (de Arthur Harari) dont j'ai fait la musique il y a un an. Il a beaucoup aimé le film et la musique, il s'est demandé qui l'avait faite et a demandé à me rencontrer. Il était vraiment aux balbutiements du projet. Il n’avait pas encore tourné, il venait de finir le scénario. Il m'a donc juste parlé du film, de son ressenti suite au visionnage de “Onoda”, en exprimant son souhait de travailler avec moi. J’étais assez surpris parce que Dominik Moll est un réalisateur que je suis depuis assez longtemps, il a fait une dizaine de films. J'imaginais qu'il était déjà associé à un compositeur ou une compositrice. Mais par le jeu des co-productions, il a été amené à changer régulièrement de compositeurs. Et il a eu envie de travailler avec un français cette fois-ci. 

C’est un thriller et une enquête comme vous l’avez pratiqué avec “Diamant noir” (Arthur Harari), mais ici le polar est mêlé à un film de fantômes. Les témoins apparaissent comme des figures fantastiques. Comment avez-vous abordé cette dimension ? 

O.M : La forme du film semble être celle d’un film policier assez classique. Mais Dominik voulait qu'on évite les codes du genre pour faire un film beaucoup plus profond, sur des sentiments, sur des êtres bousculés au cours de l'enquête. Il voulait donc que la musique aille chercher dans cette direction, vers des sentiments plus intérieurs. Ce travail m’a fait beaucoup penser à “Diamant noir”. J'y vois beaucoup de liens dans le sens où effectivement, d'un premier abord on pourrait penser que c'est un film assez classique, un film de casse pour le précédent, un film d'enquête avec des flics ici. Mais Arthur Harari, comme Dominik cette fois-ci, m’ont demandé d'aller chercher d'autres choses, d'éviter les codes. C'est assez intéressant à faire. Il s’agit de faire un pas de côté, de ne pas faire un thème haletant au moment de l'enquête, avec des accélérations, mais plutôt d’avoir un récit en creux qui va raconter ce que traversent les personnages, les enquêteurs, comment ils se perdent. C'est une musique plus intérieure, plus fantomatique d’une certaine façon. 

L'enquête policière, l'élucidation du crime, devient secondaire. On est vraiment avec la tristesse qui se dégage chez certains personnages. Comment avez-vous aussi soutenu cette part mélancolique? 

O.M : Je ne me suis pas dit qu'il fallait la renforcer. Elle était assez présente dans le récit. Après, effectivement, ce n'est pas tant de la tristesse que des sentiments mêlés. Je ne voulais pas faire quelque chose de triste, mais de sombre. Il fallait aussi que ce soit lumineux à certains endroits pour sortir de cette sensation. Il y a beaucoup de moments où l'enquêteur fait du vélo, il fallait y apporter un souffle par la musique. Il fallait aussi pouvoir parler avec cette musique de ce qui se passait à l'intérieur du personnage, comme quelque chose qui grouille dans l'estomac. C'était un peu mes deux axes dans la composition.

Il y a justement un thème qui revient à chaque fois qu'il fait du vélo, c’est un  thème vocal. Pourquoi le choix de cette voix ?

O.M : Alors quand je travaille sur des films j'aime avoir dès le début quelques idées arrêtées qui me permettent de travailler assez rapidement. Je me suis alors dit que j'aimerais bien qu'il y ait des voix. Cette envie est assez lointaine chez moi. Elle vient du visionnage d'un film qui s'appelle “Manchester by the Sea” (2016) où il y avait une partition (de Lesley Barber) interprétée par une chorale. J'ai aimé cet aspect et je voulais m’y confronter. Alors j'en ai parlé assez rapidement à Dominik. C'est un film qui raconte une absence, parce que dès le début du film, il y a ce meurtre. Mais après, pendant tout le film, en enquêtant, la figure de cette fille est omniprésente. On parle d'elle. J'ai eu l'impression qu'il fallait que ces voix puissent l’incarner d’une certaine façon. C’est la voix du fantôme. C’est ainsi qu’un thème assez choral s'est imposé. Le film s'ouvre et se termine sur ce thème, chanté avec ma propre voix.

Ce film est dans un équilibre entre des pulsions de vie et des pulsions de mort. Cette voix, justement, vise-t-elle à amener un espoir, une lumière ? 

O.M : Surtout, une voix pose une empreinte tout à fait particulière sur une partition. Quand j'utilise la mienne, personne peut l'utiliser à ma place de cette façon, donc ça me permet d'amener quelque chose d'assez singulier. Et elle peut, en effet, être lumineuse. Elle peut être rythmique aussi, j'ai essayé de l'utiliser de différentes façons, parfois en chœur, parfois de manière mélodique, parfois en scansion. 

Quel réalisateur Dominik Moll est-il pour un compositeur ? Est-ce qu'il est directif ou est-ce qu'il laisse une grande liberté?

O.M : C’était une super rencontre parce qu'il était une force tranquille. Souvent je fais des films avec de jeunes réalisateurs et réalisatrices qui ont une tension, il y a une envie de réussir ce premier geste, l'envie de ne pas se tromper, tout est sujet à enjeux, tout est sujet à discussion. Chez Dominik, j'ai eu autre chose. J'ai eu face à moi quelqu'un qui a l'habitude de faire des films. Donc pas de batailles d'ego. On acceptait de se parler franchement, et ça allait très vite. Il se trouve que quand Dominik m'a contacté pour faire ce film, d'un point de vue de calendrier c'était assez compliqué pour moi parce que j'étais en train de faire un disque de chansons pour un acteur (Nicolas Maury). Donc je lui ai proposé de composer beaucoup de musiques en amont, de lui donner pour le tournage, qu’il puisse y réfléchir au début du montage avec le monteur, qu’il puisse travailler à partir de cette base que je lui aurais donnée. Dans un second temps, je le rejoins pour le montage pour adapter la musique. Ainsi pendant assez longtemps ils ont travaillé sans moi. C'était une super méthode en fait, parce qu’en amont du tournage, on a pu échanger beaucoup avec Dominik. J'ai pu savoir ce qui marchait et ce qui ne marchait pas dans le langage musical que je lui proposais, et ensuite je l’ai laissé faire son film. Ainsi le film s'est construit avec mes premières musiques. Ce n'était pas du tout des musiques faites à l'image. Il m'a fait confiance.  

Vous parliez du projet de chansons à venir avec Nicolas Maury, que vous aviez déjà fait chanté dans son film “Garçon chiffon”. Sur “La Nuit du 12”, vous avez aussi conçu des chansons originales, notamment une censée être interprétée dans le film par un suspect sur la tombe de la défunte...

O.M : Dominik est très joueur. Il me dit qu’à un moment du film il y a un suspect qui vient se frotter sur une tombe, et par le jeu de son mouvement des lèvres on va se rendre compte qu'il chante une chanson, une chanson des années quatre-vingts, un truc un peu inconnu. Il aurait pu complètement prendre un morceau de sa discothèque et essayer d'avoir les droits. Mais ça l'amusait que je le fasse. Il m'a donc donné ce cahier des charges de faire un morceau à la façon de 1983. J'ai écouté 2 ou 3 tubes pour m’en inspirer. Il y a un autre endroit dans le film où Bouli Lanners regarde un film à la télé, un film policier en noir et blanc. Et de la même manière Dominik l’a réalisé lui-même pendant le tournage et m'a demandé d’en faire une musique, à la façon de Bernard Herrmann. C’était assez rigolo. Et puis il y a aussi la chanson de générique de fin. 

Cette chanson de générique a aussi été faite pour le film, et vous avez mis à contribution la chanteuse Mina Tindle...

O.M : C’est une chanteuse avec laquelle j'ai beaucoup travaillé. On s'est un petit peu perdu de vue parce qu'elle a déménagé dans le sud de la France, on se voit beaucoup moins, donc régulièrement on trouve des occasions de travailler ensemble. Lorsque Dominique me parle du générique, il me propose l’idée d’une chanson. C'est un enjeu, ce n’est pas la même chose que composer une musique de film, mais c'était l'occasion de travailler avec mon amie et je me suis dit que ça pouvait être la voix de Clara, la jeune fille qui meurt au début, qu'elle soit incarnée par la chanteuse plutôt que par moi, ce qui aurait été un petit peu étrange.

Shanti Masud a participé pour l'écriture des paroles de cette chanson. Vous venez d'ailleurs d'un groupe, Syd Matters, puis vous avez eu un parcours en solo, est-ce que ce travail collectif est un moyen de renouer avec des collaborations ?

O.M : Il se trouve que la musique de film, c'est quelque chose que je découvre. Faire des disques est un travail assez collectif, avec des musiciens en tournée, sur scène. Le travail sur un film, c'est assez solitaire, avec beaucoup de moments de studio, beaucoup d'ordinateurs. Sur ce film notamment, la musique que j'ai proposée suffisait presque à elle-même, sans besoin d'instrumentistes. Mais à un moment, c'est aussi chouette de collaborer. J'ai effectivement convoqué des amis.

Sinon en termes de B.O de films policiers, vous aviez des références particulières ?

O.M : Il y a un film que l’on peut considérer comme un film policier, avec une enquête, “Ghost Writer” de Roman Polanski. Je suis estomaqué par la musique de ce film (écrite par Alexandre Desplat). Elle a pu servir de référence quelque part. Il y a un élan narratif et romanesque dans la proposition musicale que je trouve assez beau. 

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico

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