Interview B.O : Emmanuelle Nicot & Frederic Alvarez (DALVA, Semaine de la Critique - Cannes 2022)

alvarez,dalva2022042322,Cannes 2022,Belgique, - Interview B.O : Emmanuelle Nicot & Frederic Alvarez (DALVA, Semaine de la Critique - Cannes 2022)

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico

- Publié le 25-05-2022




Frederic Alvarez signe la musique du drame franco-belge de Emmanuelle Nicot sur une fille de 12 ans (Zelda Samson) qui est brusquement retirée du domicile paternel en raison de violence subies. Face à cette dureté et à ce personnage refermé sur lui-même, la partition aérienne joue la douceur pour marquer son parcours intérieur vers une émancipation et se déploie jusqu'au procès final.

Cinezik : Pour votre premier long-métrage, à quel moment la question musicale et la rencontre avec Frédéric Alvarez sont intervenues ?  

Emmanuelle Nicot : J'ai été étonnée moi-même par mon envie de mettre de la musique pour la toute première fois dans un de mes films. Dans mes courts métrages, je n'avais jamais mis de musique extra-diégétique. C'est ma monteuse, Suzanne Pedro, qui a eu l'idée d’en mettre. On a commencé par chercher des musiques à mettre sur notre montage. On est tombé sur celle de Frédéric pour “La Troisième guerre” (de Giovanni Aloi, 2020). On a donc commencé par la mettre sur notre montage. Puis j'ai eu envie de rencontrer le compositeur de cette musique que j’aimais. C’est ainsi qu’on a entamé une collaboration alors qu’on travaillait depuis 6 semaines sur le montage.

Concernant le rôle attribué à la musique dans ce film, l’idée était-elle de relater l’intériorité de Dalva, jeune fille traumatisée ? 

E.N : On a essayé d’avoir un motif qui peu à peu se construit, au fur et à mesure du film. Au départ, ce motif est déconstruit à l’image de cette jeune fille dont toutes les valeurs sont complètement inversées. Elle prend son bourreau pour l'homme de sa vie, et elle considère ses éducateurs comme des bourreaux alors qu'ils sont ses sauveurs. Il y a quelque chose de déconstruit dans sa tête et au fur et à mesure tout se reconstruit. C'est donc une musique qui relaie cette intériorité. 

Frédéric, c'est donc le personnage qui a guidé votre composition ?

Frederic Alvarez : La musique est de l’ordre de la pulsion de vie et de la résilience. Cela se traduit par une note de clavier qui se répète comme un cœur qui bat, comme un pouls, qui va de l'avant malgré la souffrance, malgré le chamboulement et l'emprise. Ce motif est complété par le synthé qui donne le souffle. C'est à la fois le cœur qui bat et le souffle. Puis la BO s'épaissit au travers de la résilience du personnage. J'ai aussi utilisé des samples de sons de verre qui viennent apporter une fragilité.

Le traitement du film pourrait être réaliste et se priver complètement de musique, comme le font les frères Dardenne (et votre film est une coproduction avec la Belgique). D’où est venu le désir à un moment d’accueillir cette musique qui trace son chemin complémentaire et se déploie avec l'émancipation du personnage ?

E.N : Moi, j'ai envie d'être ému. J'ai envie de pleurer en allant au cinéma et j'avais envie de faire un film émouvant. J'ai compris en voyant mon film tout nu, puis avec des petits morceaux de la “Troisième guerre”, que mon émotion n'était pas du tout la même, que ça me transportait beaucoup plus avec de la musique. La musique amène une perception du temps qui passe.

Frédéric, quel est votre rapport à l'émotion ?

F.A : J'ai trouvé le film tellement émouvant, même au premier stade du montage, qu’il y avait vraiment une évidence pour la composition. On a aussi beaucoup travaillé ensemble, j'ai jamais autant travaillé avec quelqu'un proche de moi. Elle venait dans mon studio. On travaillait avec une matière déjà consistante, avec des choses presque abouties. C'était un travail d'orfèvrerie. Chaque note était placée à tel endroit. Tout était décidé ensemble sur le film, à tel point que je pense que Manu (Emmanuelle) est presque compositrice sur ce film.

Parmi les musiques du film, on entend un rap qu’écoute une camarade, en revanche on ne connaît pas du tout les goûts musicaux de Dalva. Est-ce que l’idée était que sa seule musique soit celle de son intériorité ?

E.N : Dalva a pensé pendant des années avoir une identité qui lui était propre alors qu'en fait c'est une identité que son père a créé intégralement pour elle. On s’en rend compte quand on comprend qu'elle ne sait pas quoi choisir, qu'elle n'a pas de couleur préférée, qu'elle n'a pas de tenue préférée, parce que son père a toujours décidé pour elle. C'est l'histoire d’une enfant-objet qui va devenir sujet. Au niveau de la musique, en effet elle n'a pas de goûts musicaux, alors que c’est très propre à l'adolescence d’en avoir, c'est par là qu'on se construit. 

F.A : Au sein du foyer, lors d’une scène de boum, Dalva danse avec un autre adolescent sur un morceau de rap féminin. A ce moment-là, le thème de Dalva vient se morpher au mixage son avec la musique de rap, qui disparaît, puis revient brutalement à la fin de la scène comme un retour brutal à la réalité.

C’est la musique d’un déni, elle entretient une bulle autour du personnage...

F.A : Quand je parlais de cette note de clavier qui se répète comme une goutte d'eau, comme un battement, une pulsation, c'est toute sa personnalité qui s’exprime. La musique prend de plus en plus d'ampleur à travers ce motif rythmique. Dalva est persuadée d’être une femme, elle va réapprendre à être une enfant. La musique représente un peu son côté enfantin, en gardant une fragilité, avec des sonorités très fragiles, un peu irrégulières, parfois même un petit peu fausses.   

E.N : La musique souligne aussi sa détermination, notamment dans la scène de la prison, ces notes répétées expriment de l'entêtement. 

La musique est là pour lui donner de la motivation...

F.A : Effectivement, elle va revoir son père pour la première fois. Les notes répétées permettent aussi de donner du dynamisme aux mouvements de caméra, quand elle marche dans la prison. Et pour la scène finale du procès, au contraire on a cherché à réduire les éléments, les instruments s'effacent un à un, car la tension de cette scène est tellement maximale qu’elle aurait pu vite devenir cliché et de mauvais goût. 

E.N : C'était une bonne idée d'opter pour une musique extrêmement épurée à ce moment-là de la scène. On a trouvé un très bon dosage.


Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico

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