Interview B.O : Andrés Ramírez Pulido & Pierre Desprats (LA JAURÍA, Grand Prix Semaine de la Critique)

jauria2022042322,Cannes 2022,desprats, - Interview B.O : Andrés Ramírez Pulido & Pierre Desprats (LA JAURÍA, Grand Prix Semaine de la Critique)

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico

- Publié le 26-05-2022




Grand Prix de la Semaine de la Critique, LA JAURIA est un thriller colombien de Andrés Ramírez Pulido sur l'incarcération du jeune Eliú dans un centre expérimental pour mineurs au cœur de la forêt tropicale colombienne. Pierre Desprats signe une musique qui contribue par ses nappes à nous faire ressentir l'ambiance moite de la forêt, le climat de torpeur, tandis que des percussions primitives marquent la sauvagerie des soudains instants de violence. Par ailleurs, une présence vocale instaure une étrangeté. 

 

Cinezik : Andrés Ramírez Pulido, en tant que réalisateur, quelle place la musique occupe dans votre cinéma et à quel moment vous y pensez ?

Andrés Ramírez Pulido : La musique est un sujet qui demande réflexion. Dans un premier temps, j'étais très réservé à l'idée d'utiliser de la musique dans mes films, j’ai fait deux courts métrages sans musique. C'est venu petit à petit dans la phase de pré-production. Pendant le tournage aussi, je me suis dit que sur certaines scènes la musique pouvait avoir sa place pour créer une atmosphère. Et j'ai commencé à chercher des références. J'ai laissé un peu de côté ma propre peur par rapport à la musique. Et la première rencontre avec Pierre a été décisive. Les films que j'aime vraiment sont en général sans musique. Pour que la musique soit bien utilisée, il faut que ce soit à la fois subtil et puissant. Et le travail avec Pierre, de ce point de vue là, était très gratifiant. C'était un processus qui a mûri et qui m'a beaucoup satisfait. 

On est au cœur de la forêt tropicale colombienne, dans un univers criminel, en quoi Pierre Desprats cette géographie et cette ambiance a pu vous inspirer ?

Pierre Desprats : Comme le disait Andrés, au premier montage que j'ai vu, j'avais la même sensation de réserve sur la musique. Le film était déjà très fort, notamment par les ambiances. Les ambiances sonores de la jungle colombienne sont très riches. J’ai vu un premier montage de trois heures avec un travail hypnotique, des corps qui transpirent. La première sensation que j'ai eu, c'était que la musique ne pouvait pas être extérieure aux plans, ne pouvait pas venir se plaquer sur les corps, ne pouvait pas venir élargir le scope. On devait toujours rester dans une sensation de jungle. J'ai commencé alors à essayer de travailler avec les ambiances, un peu comme de la musique concrète. Des pistes sur lesquelles Andrés n'a pas beaucoup réagi. Au final, il me disait que la musique devait être subtile mais forte, qu’elle se différencie des ambiances, du paysage sonore. Dans le film, les musiques s'entendent, pour des moments musicaux clairs, subtils mais forts. Le premier morceau dans la prison est très simple, avec des percussions, quelques maracas et un tambour. L'idée, c'était vraiment de faire sentir le poids de la culpabilité, quelque chose qui grouille à l'intérieur, qui travaille les personnages. On n'est pas vraiment au courant du crime qui a été commis au début du film, mais il faut quand même qu'on le sente. Tous ces enfants portent un bagage très lourd et donc ça passait par des sons qui reviennent comme une sorte de vague.  

C'est intéressant pour un réalisateur qui, au départ, n'imaginait pas forcément de musique et qui, au final, quand il y en a, la volonté est qu'elle ne soit pas cachée, qu'elle soit justement un personnage. La musique, comme la violence abrupte de votre film, est aussi dans une sauvagerie, notamment à travers le choix des percussions... Qu'est-ce que vous pouvez dire sur le rôle de la musique pour les personnages ? 

A.R.P : Votre question enchaîne sur la précédente. Il fallait que la musique ne soit pas là juste pour souligner une émotion ou quelque chose qu'on verrait déjà à l'image. Si on en a voulu, c'était pour que la musique ouvre des perspectives, par rapport à l'image. Elle joue ce rôle dès le début. Elle aide à élargir l'horizon. On se posait toujours la question de ce que ressent le personnage. La musique devait servir de miroir émotionnel. C'était assez difficile pour moi de traduire en mots les émotions ressenties par le personnage. Donc ça a été une recherche commune pour faire en sorte que cette émotion puisse s’exprimer par la musique.

Comment décrypter les intentions d’un réalisateur qui ne parle pas le langage musical, ni sa propre langue ?

P.D : Je ne suis jamais allé en Colombie, je ne connais pas le paysage, je ne parle pas espagnol, donc nos échanges se sont faits par des regards, des onomatopées, de la musique, des manières de se toucher. J'essayais de voir comment réagit le corps d'Andrés. On bafouillait un anglais approximatif et on utilisait beaucoup Google Translation. 

Est-ce que vous avez fait écouter des références ? 

A.R.P : En fait la référence, c'était la musique de Pierre, parce que j'avais vu “Les garçons sauvages” dont j'avais beaucoup aimé la musique. 

Malgré tout, l'idée, évidemment, n'était pas de faire la même chose que ce que vous aviez déjà fait, mais d'aller chercher une singularité, cette musique est vraiment différente de vos autres musiques...

P.D : On fonctionnait par soustraction. Mon travail de compositeur était de proposer des choses qui ne marchaient pas forcément pour découvrir ce qui se cache dans l'image. Andrès découvre ainsi toute la puissance que peut apporter la composition. Le travail était de lui montrer comment une musique peut amener une scène complètement ailleurs, comment elle ouvre des champs de possibles. Comme il est très proche de son film, j'ai l'impression qu'il a besoin de comprendre tout ça. Donc il y a eu un travail où on présente des choses, qui éclairent sur les possibilités de la musique. On défriche, on coupe, on dit ça, ça ne marche pas... Et ce qui reste, c'est un peu la quintessence de la musique.

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico

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