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Journal des B.O de Cannes #1 : Monster (Sakamoto) et Simple comme Sylvain (Sornin), deux premiers coups de coeur oeuvrant dans le sentiment

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par Benoit Basirico

- Publié le 18-05-2023




Cette sélection des musiques entendues dans les films du festival (en se focalisant sur les films vus parmi la quantité de la programmation) présente deux coups de cœur (à la fois musicaux et cinématographiques). Le premier concerne le film "Monster" réalisé par Hirokazu Koreeda, avec une musique composée par Ryuichi Sakamoto. Le deuxième coup de cœur concerne le film "Simple comme Sylvain" de Monia Chokri, avec une bande originale composée par Emile Sornin. D'autres présences musicales ont jalonné les premières journées à Cannes, notamment la collaboration entre Stephen Warbeck et Maïwenn pour le film "Jeanne du Barry", la musique d'Antoine Bodson pour "Laissez-moi", la bande originale de Fanny Martin pour "Ama Gloria", la musique de Leonard Küssner pour le documentaire "Anselm", la contribution de Gabber Modus Operandi pour le film "Tiger Stripes", et enfin la musique de Jerry Lane et Andrew Lancaster pour "Inchallah un fils".

Coups de Coeur (Film et Musique originale)

Monster (Hirokazu Koreeda) - BO : Ryuichi Sakamoto (Compétition) 

L'illustre compositeur Ryuichi Sakamoto (Furyo, Le dernier empereur), décédé le 1er avril 2023, a fait la rencontre de son compatriote japonais Hirokazu Koreeda pour ce drame intime et sentimental déguisé en thriller. Il a proposé un mélange de compositions nouvellement écrites (pour deux scènes clés du film) ainsi que certaines de ses musiques préexistantes, les deux étant étroitement liés dans un style minimaliste associant le piano aérien et une texture planante de synthé, enrichi d’une discrète présence vocale. Le lien affectueux entre deux jeunes garçons est relaté par un récit mystérieux construit de manière éclatée (le dévoilement narratif est progressif, faisant vivre les même scènes de points de vue différents). La partition instaure ainsi le lien émotionnel de l’histoire en pointillé, comme un fil rouge tissé, et relate en souterrain les sentiments et maux enfouis des personnages. “Aqua” de l’album “BTTB” clôture le film. C’est très beau et délicat. Le premier coup de coeur du festival. Pour la petite histoire, l'idée de collaborer avec Ryuichi Sakamoto est venue à Kore-eda pendant le tournage du film. Pendant les soirées près du lac où l'équipe résidait, il pouvait entendre la musique au piano de Sakamoto résonner dans sa tête. Kore-eda a envoyé des séquences pré-montées du film à Sakamoto, qui a répondu en moins d'une semaine alors qu’il était déjà au stade final de sa maladie. Sakamoto a fini par composer la musique de deux scènes clés du film et a également permis à Kore-eda d'utiliser les pistes qu'il souhaitait de ses albums, notamment le dernier, "12", enregistré pendant sa lutte contre le cancer.

Simple comme Sylvain (Monia Chokri ) - BO : Emile Sornin 

Emile Sornin retrouve Monia Chokri sur cette comédie romantique québécoise après "Babysitter" (2022) sur une professeure de philosophie dont la relation avec Xavier est mise en péril le jour où elle rencontre le charpentier de leur maison. La partition joue pleinement la romance, dans un style pop orchestral provenant des années 70, avec une flûte traversière, entre gravité et joie, marquant un couple qui se désagrège ainsi que le coup de foudre et la montée d'un désir. On y entend aussi des titres de Scorpions, Linda Ronstadt, Michel Sardou, Oum Kalthoum, Warda, Morad, Robert Charlebois, Francis Poulenc et Thelonious Monk. • Interview du compositeur

Le Règne animal (Thomas Cailley ) - BO : Andréa Laszlo De Simone 

Andréa Laszlo De Simone signe la musique du film fantastique de Thomas Cailley avec une instrumentation riche (piano, guitares, basses, flûte, batterie, choeurs, sifflements, synthé, cordes, clarinette, cor) pour soutenir en crescendo le récit d'une transformation, allant des cordes pour des envolées aériennes aux percussions pour la jungle et la forêt. 

Autres présences musicales (originales)

Jeanne du Barry (Maïwenn ) - BO : Stephen Warbeck (Ouverture) 

Stephen Warbeck retrouve Maïwenn après "Polisse" (2011), "Mon roi" (2015), "ADN" (2020) dans un genre (la romance historique) qui lui a valu un Oscar ("Shakespeare in Love", 1998). La partition varie d'abord son instrumentation, allant du violoncelle à la harpe, de la flûte à la guitare, en passant par un chœur, convoquant par moments la période historique par l'emploi du clavecin et d'une écriture baroque, pour se resserrer ensuite autour de la dimension romantique et tragique de l'orchestre. La musique parvient à instaurer une cohérence là où le film s’avère éparpillé. Un plan est marquant : celui où Jeanne (Maïwenn) gravit des immenses escaliers, filmée en plan d’ensemble où elle apparaît comme une silhouette, et on se demande si elle va atteindre un sommet ou bien chuter. A ce moment-là, le visuel est au diapason d’une partition monumentale, même si le film n’est pas dans son entièreté à la mesure de sa musique. • Interview du compositeur

Laissez-moi (Maxime Rappaz ) - BO : Antoine Bodson (ACID) 

Antoine Bodson signe la musique du premier film suisse de Maxime Rappaz, le portrait d'une femme (Jeanne Balibar) tiraillée entre son travail de couturière, son fils handicapé, et son désirs pour des hommes. La partition accompagne le périple intime du personnage avec douceur à l'aide d'un piano solo délicat qui revient par intermèdes et tisse le fil rouge d'un récit elliptique. Le thème se retrouve joué à l'image par un homme au piano. On y entend par ailleurs des chansons populaires des années 80, de Viktor Lazlo (“Canoe Rose”), Johnny Logan (“Hold me now”), Muriel Dacq (“Tropique”). • Interview du compositeur et du réalisateur

Ama Gloria (Marie Amachoukeli-Barsacq ) - BO : Fanny Martin (Semaine de la Critique) 

Fanny Martin (également monteuse son) signe la musique du drame de Marie Amachoukeli-Barsacq sur une jeune fille de six ans élevée par sa nourrice et qui ressent un terrible sentiment d'abandon lorsque celle-ci doit retourner d'urgence au Cap-Vert. La partition exprime avec douceur cette relation presque maternelle, sans représenter la tension liée à la possessivité, en jouant avec les sons de la mer (notamment lors d'une scène de plongeon) comme pour reconstituer un état intra-utérin protégé. Un moment de danse a lieu sur la chanson "Mes yeux dans ton regard" de Nilda Fernandez. La musique comme le film n’est pas marquante ni consistante, mais sa légèreté et fragilité convient bien à la petite fille.

Anselm (Wim Wenders ) - BO : Leonard Küssner (Hors compétition) 

Leonard Küssner signe la musique du documentaire allemand de Wim Wenders sur Anselm Kiefer, un artiste allemand contemporain connu pour son travail dans les domaines de la peinture, de la sculpture et de l'installation, célèbre pour ses œuvres monumentales qui explorent des thèmes tels que l'histoire, la mythologie, la religion et la culture, reflétant les traumatismes de l'histoire allemande, en particulier la Seconde Guerre mondiale et l'Holocauste. La partition orchestrale magnifie la beauté des plans et le décor où s'entrepose les toiles ou sculptures, dans une certaine religiosité conférant aux oeuvres de l'artiste un mystère et une spiritualité. La musique soutient aussi des voix off enchevêtrées, parfois proches du chuchotement. On y entend également des pièces de Laurent Petitgand (Argonauts, Dream) et René Aubry (Naufragés Du Temps, Trouble).

Tiger Stripes (Amanda Nell Eu ) - BO : Gabber Modus Operandi (Semaine de la Critique) 

Le groupe de musique électronique indonésien Gabber Modus Operandi, conduit par Kasimyn et Ican Harem, fournit la musique du premier film malaisien d'Amanda Nell Eu. Le film raconte l'histoire d'une fille de 12 ans qui exprime son désir de liberté dans une petite communauté rurale sectaire en Malaisie. La musique, tout comme le personnage en rébellion qui ressemble à un tigre déchaînant sa rage, se manifeste par des éruptions et des apparitions soudaines, n'hésitant pas à pousser à l'extrême. Tout comme le film, qui est un mélange de différents genres (chronique, satire, film de monstres), la B.O est une explosion de différents registres, alternant entre des morceaux techno énergiques et des notes plus intimes. C’est revigorant. 

Inchallah un fils (Amjad Al Rasheed ) - BO : Jerry Lane, Andrew Lancaster (Semaine de la Critique) 

Jerry Lane & Andrew Lancaster signent la musique de ce drame jordanien, premier film de Amjad Al Rasheed sur le combat d'une femme en Jordanie, seule contre tous pour défendre son héritage. La partition est plus intérieure affirmant une détermination apaisée.

 

par Benoit Basirico


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